Dieu n’est peut-être pas bilingue

2008/04/03 | Par L’aut’journal 

En d’autres occasions, Gérard Bouchard s’est prêté à des conversations animées qui faisaient avancer le débat. Ce fut notamment le cas quand le maire de Huntingdon, Stéphane Gendron, a déposé un mémoire.

Farouchement laïque, M. Gendron a dénoncé le manque de leadership des élus en ce qui concerne le dossier des accommodements raisonnables. « Il n’y a pas de problème avec l’immigration. Je pense que du cas par cas, on peut régler ça à la pièce », a-t-il résumé en expliquant qu’on défend chaudement des valeurs québécoises sans savoir ce qu’elles sont et sans vraiment y adhérer collectivement. Le coloré maire a raconté avoir été horrifié, il y a quelques année, par une visite au zoo de Granby :

« Quand j’ai vu une Québécoise en soutien-gorge, les seins à moitié sortis et avec son enfant dans les bras, et que j’ai vu une femme musulmane avec son tchador et qui tenait sa fille par la main, bien, j’ai eu honte de mes valeurs québécoises. Je pense qu’on a à apprendre de ces gens-là qui arrivent ici.

- Merci, monsieur Gendron, mais dites-moi, entre le soutien-gorge et le tchador, on pourrait trouver une ligne mitoyenne, lui a suggéré Gérard Bouchard.

- C’est pour ça que je vous dis : le GBS, le gros bon sens. Parce que, vous savez, le voile islamique dans les écoles, c’est comme le voile que portaient les madames à l’église, à l’époque.

- C’était le foulard.

- Oui, exactement. On ne se lancera pas sur le mur, là. Ça ne pose pas de problème en soi.,

- Votre conseil de ville a adopté une résolution dont l’une des recommandations est qu’aucun signe ostentatoire ne devrait faire l’objet d’une présence particulière au sein de la sphère publique. Ça veut dire les institutions publiques?

- Exactement.

- Ce n’est pas l’ensemble de la vie publique?

- Non, non, non, non, on parle vraiment d’endroits publics ou parapublics où il y a des fonds publics d’impliqués. Par exemple, si j’avais une secrétaire de l’hôtel de ville qui voulait porter le voile, j’aurais un problème. Mais que quelqu’un vienne à l’hôtel de ville avec le voile, je n’ai pas de problème. L’État doit être neutre.

- Si vous aviez un sikh avec son turban… c’est difficile de lui demander de l’enlever.

- Si on parle d’un employé de la fonction publique, c’est tolérance zéro.

- Donc, à ce moment-là, ça exclurait certaines personnes, certains membres de certaines religions, des postes publics.

- J’ai de la difficulté à croire qu’une religion nous empêche à ce point-là de progresser, humainement. Je veux dire, si on est rendu à refuser des emplois parce qu’il y a port d’un costume quelconque, on n’est peut-être pas fait pour l’emploi, à sa face même.

- Et le député juif du Parti libéral, par exemple, à Québec, qui porte toujours la kippa, il devrait l’enlever désormais?

- Pourquoi? Ce n’est pas un employé de la fonction publique.

- Bien, c’est un représentant de la démocratie.

- Oui, exactement. Mais, par exemple, au Conseil municipal chez nous, on est une ville officiellement francophone, et on prend un malin plaisir à violer la loi 101 autant de fois qu’on le peut. On délibère en anglais, on écrit à nos concitoyens en anglais – comprenez-vous ? L’élu comme tel, je ne le considère pas comme un employé de la fonction publique qui représente une institution. »

Gérard Bouchard a relevé que, dans son mémoire, le maire se moquait du débat sur la place du crucifix à l’Assemblée nationale.

« Je ne vois pas pourquoi on redécouvre par insécurité notre héritage catholique, a expliqué le maire. Et qu’on veuille le préserver et l’imposer, c’est une autre chose. Qu’est-ce que le crucifix a d’affaire là? Moi, je me sens insulté parce que je ne crois pas; je ne suis pas un croyant, moi. Je ne sais même pas si Dieu existe. C’est pas des farces, là, je suis rendu à quarante ans et je n’ai pas trouvé de réponse encore.

- Ma dernière question, je crois qu’on peut la supprimer. C’était de vous demander si vous récitez la prière à vos réunions du Conseil de ville…

- Non, à Huntingdon, il n’y a pas cette pratique-là, mais à la MRC on l’avait. On est treize maires autour de la table et il fallait se lever et réciter la prière en français. Puis, pour être bien sûr, il fallait la réciter en anglais aussi, parce que Dieu n’est peut-être pas bilingue. Et j’ai trouvé ça tellement ridicule que je me suis mis à rester assis. Et au bout d’un an, on a aboli la prière parce qu’on était rendu dans le ridicule consommé. Quant tu demandes les lumières de Dieu pour gérer les fonds publics, tu n’est pas fait pour la politique. Tu es un danger public.

- On peut inscrire ça dans notre mémoire?

- Oui.

- Merci infiniment, monsieur Gendron.

- Merci beaucoup! », a ajouté Charles Taylor.

Jeff Heinrich, Valérie Dufour, Circus quebecus, sous le chapiteau de la commission Bouchart-Taylor, Boréal, 199 pages.