Après le Québec Inc., le Forget Inc.?

2008/04/21 | Par Georges leBel

L’auteur est avocat et professeur à l’UQAM.

Il faut lire le document de consultation de madame la Ministre Forget sur la réforme de la loi sur les compagnies.

Le silence médiatique autour de ce brulôt hyper-libéral inquiète. Après la sous-traitance de l’État par la tactique du faire/faire instaurée par la « Nouvelle (sic) administration publique » et autres PPP, la Ministre Forget propose en sus du paradis fiscal qu’il est presque devenu, de transformer ni plus ni moins le Québec en un «paradis réglementaire» pour les entreprises qui échapperaient ainsi, en se constituant au Québec, aux règles que nos voisins américains s’apprêtent à leur imposer suite à leur irresponsabilité dans la crise actuelle.

La Ministre nous propose « d’attirer les entreprises en quête d’un régime législatif d’accueil » à « la recherche d’une loi (et d’une administration de celle-ci) susceptible de réduire les coûts de transaction essentiels et accessoires pour les actionnaires majoritaires, les dirigeants et les administrateurs de compagnie. »

Pour cela, elle examine entre autres, l’hypothèse de « mettre en place au Québec un cadre législatif s’inspirant de celui, ‘‘management friendly’’, du Delaware, État de prédilection pour la constitution de grandes entreprises américaines » et donc de réduire (p. 13) « les pouvoirs et la protection dont bénéficient les actionnaires […] en augmentant la protection accordée aux administrateurs? », en permettant (p. 16) d’écarter le contrôle des tribunaux par la codification du « Business Judgment Rule », « d’insérer dans les statuts une clause d’exonération ‘‘ RaincoatProvision’’) des administrateurs pour leurs manquements à leurs devoirs de prudence et de diligence, qui empêcherait les actionnaires et les créanciers de les poursuivre en dommages », de « retirer de la loi les tests financiers » et enfin de « limiter la destitution des administrateurs à mandats décalés »… Les actionnaires floués de Norbourg apprécieront.

Elle propose même d’« accorder aux administrateurs une défense de diligence raisonnable, opposable à tous les cas de responsabilité civile, y compris celle pour les salaires impayés des employés. » (p. 22) Les employés jetés à la rue par la faillite, l’impudence ou l’imprudence des patrons apprécieront.

Mme Forget en est consciente puisqu’elle ajoute : « Ces mesures seraient certes impopulaires auprès des groupes de protection des investisseurs, mais elles feraient du Québec le ‘‘Delaware du Nord’’, c’est-à-dire un pôle d’attraction non seulement pour les grandes entreprises canadiennes, mais aussi pour les entreprises américaines.[…] Il est toutefois moins évident que ce choix convienne aux petites entreprises, clientèle principale de la Loi. Le droit actuel confère aux actionnaires minoritaires des recours curatifs relatifs. L’adoption de dispositions assurant une plus grande protection aux administrateurs risque de rendre leur situation encore plus précaire. » (p.17).

Le texte parle de lui-même et implique peu de commentaires. Madame Forget propose parmi ses hypothèses que le Québec devienne le refuge de tous les requins de la finance internationale, en leur assurant que l’État ne les empêchera pas d’exploiter au maximum les vertus du capitalisme prédateur. L'Institut économique de Montréal n'en demandait pas tant. Le silence qui dure depuis quatre mois autour de ces propositions devrait inquiéter.