Chine - États-Unis: enjeux stratégiques

2008/04/27 | Par Michel Chossudovsky

La question des droits de l'homme est devenue la double page centrale de la désinformation médiatique.

La Chine n'est pas un modèle des droits de l'homme, mais pas plus que les États-Unis et son indéfectible allié britannique, coupables de crimes de guerre et de violations considérables contre les droits de la personne en Irak et dans le monde entier.

Les États-Unis et ses alliés, qui défendent la pratique des tortures, les assassinats politiques et la mise en place de camps de détention secrets, sont toujours présentés à l'opinion publique comme les modèles de démocraties occidentales à suivre par les pays en développement, contrairement à la Russie, à l'Iran, à la Corée du Nord et à la République Populaire de Chine.

Droits de l'homme à « deux vitesses »

Pendant que les présumées violations des droits à la personne de la Chine au Tibet sont mises en exergue, les récentes vagues d'assassinats en Irak et en Palestine ne sont pas mentionnées. Les médias occidentaux ont à peine reconnu le cinquième « anniversaire de la libération » de l'Irak et le bilan des meurtres et des atrocités parrainés par les États-Unis, perpétrés contre l'ensemble de la population au nom d'une « guerre mondiale contre le terrorisme. »

Plus de 1,2 million de civils irakiens sont morts, 3 millions sont blessés. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies indique le chiffre de 2,2 millions de réfugiés irakiens ayant fui le pays et 2,4 millions de « personnes déplacées à l'intérieur ».

L'échiquier géopolitique

De profond objectifs géopolitiques se tiennent derrière la campagne contre les dirigeants chinois.

Le projet de guerre États-Unis-OTAN-Israël contre l'Iran est à un stade avancé de préparation. La Chine a des liens économiques ainsi qu'un accord de coopération militaire bilatéral de grande envergure avec l'Iran.

De plus, la Chine est aussi alliée de la Russie, du Kazakhstan, de la République kirghize, du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan, dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shanghai (SCO). Depuis 2005, l'Iran a le statut de membre observateur à la SCO.

À son tour, la SCO a des liens avec l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (CSTO), un accord de coopération militaire associant la Russie, l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, la République kirghize, et le Tadjikistan.

En octobre de l'année dernière, la CSTO et la SCO ont signé un Mémorandum d'Entente posant des fondements de coopération militaire entre les deux organisations. Cet accord SCO-CSTO, à peine évoqué par les médias occidentaux, implique la création d'une véritable alliance militaire entre la Chine, la Russie et les États membres de la SCO/CSTO. Il est bon de noter, qu'en 2006 la CSTO et de la SCO ont tenu des manœuvres militaires communes qui coïncidaient avec celles menées par l'Iran.

Dans le contexte de ses plans de guerre contre l'Iran, les États-Unis ont aussi l'intention d'affaiblir les alliés de ce pays, à savoir la Russie et la Chine. Dans le cas de la Chine, Washington cherche à bouleverser les liens bilatéraux entre Beijing et Téhéran, de même que le rapprochement de l'Iran avec la SCO, dont le siège se trouve à Beijing.

La Chine est un allié de l'Iran. L'intention de Washington est d'utiliser les prétendues violations des droits de l'homme de Beijing comme d'un prétexte pour prendre pour cible la Chine, un allié de l'Iran.

À cet égard, une opération militaire dirigée contre l'Iran ne peut réussir que si la structure des alliances militaires liant l'Iran à la Chine et la Russie est perturbée.

C'est une chose que le Chancelier allemand Otto von Bismarck avait comprise par rapport à la structure des alliances militaires concurrentes de l'époque précédant la Première Guerre mondiale. La Triple Alliance était un accord établi en 1882, entre l'Allemagne, l'Empire Austro-Hongrois et l'Italie. En 1907, un accord anglo-russe a ouvert la voie à la formation de la Triple Entente, constituée de la France, du Royaume-Uni et de la Russie.

Finalement, la Triple Alliance a pris fin en 1914, quand l'Italie ayant déclaré sa neutralité s'en est retirée, ouvrant ainsi la voie à l'éclatement de la Première Guerre mondiale.

L'histoire montre l'importance des alliances militaires adverses. Dans le contexte actuel, les États-Unis et ses partenaires de l'OTAN cherchent à saper la formation d'une alliance militaire eurasienne soudée, SCO-CSTO, qui pourrait efficacement remettre en cause et contenir l'expansionnisme militaire États-Unis-OTAN en Eurasie, en joignant les capacités militaires, non seulement de la Russie et de la Chine, mais aussi celles de plusieurs anciennes républiques soviétiques, notamment de la Biélorussie, de l'Arménie, du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan et de la République kirghize.

Encercler la Chine

Sauf sur sa frontière Nord, bordée par la Fédération de Russie, la Mongolie et le Kazakhstan, la Chine est entourée de bases militaires étatsuniennes.

Depuis l'invasion de 2001 et l'occupation de l'Afghanistan, les États-Unis sont présents militairement sur la frontière occidentale de Chine, en Afghanistan et au Pakistan. Les États-Unis ont l'intention d'établir des bases militaires permanentes en Afghanistan, une place stratégique limitrophes aux anciennes républiques soviétiques, à la Chine et à l'Iran.

De plus, depuis 1996, les États-Unis et l'OTAN ont aussi formé une union militaire, le GUUAM, avec plusieurs anciennes républiques soviétiques (Géorgie, Ukraine, Ouzbékistan, Azerbaïdjan et Moldavie). Dans l'ère de l'après 11 septembre, Washington s'est servi du prétexte de la « guerre mondiale contre le terrorisme » pour développer davantage sa présence militaire dans les pays du GUUAM. L'Ouzbékistan s'étant retiré du GUUAM en 2002, l'organisation est désormais connue sous le nom de GUAM.

Les intérêts pétroliers de la Chine en Eurasie, ainsi qu'en Afrique sub-saharienne, empiètent sur ceux des anglo-étatsuniens.

Ce qui est en jeu, c'est la maîtrise géopolitique du corridor eurasien.

En mars 1999, le Congrès étatsunien a adopté la Silk Road Strategy Act (SRS, loi sur la stratégie de la Route de la Soie), qui définit les grands intérêts économiques et stratégiques des États-Unis dans une région s'étendant de l'Est méditerranéen à l'Asie Centrale. La SRS définit le cadre de développement du business de l'empire étatsunien le long d'un vaste corridor géographique.

La mise en œuvre réussie du SRS exige la « militarisation » concomitante de l'ensemble du corridor eurasien pour sécuriser la maîtrise des immenses réserves pétrolières et gazières, de même que pour « protéger » le couloir de pipelines et commercial. Cette militarisation est dirigée en grande part contre la Chine, la Russie et l'Iran.

La militarisation du Sud de la Mer de Chine et du Détroit de Taiwan fait partie intégrante de cette stratégie, qui, dans l'ère de l'après 11/9, consiste en déploiements « sur plusieurs fronts. »

De plus, la Chine demeure dans l'après-guerre froide la cible d'une attaque étatsunienne avec première frappe nucléaire.

Dans la Nuclear Posture Review (NPR, analyse de l'attitude concernant le nucléaire) de 2002, la Chine et la Russie sont assimilées dans la liste des « États voyous » à des cibles possibles d'attaques nucléaires préventives des États-Unis. La Chine est citée dans la NPR comme « un pays pouvant être impliqué dans une urgence immédiate ou potentielle. » Plus précisément, la NPR note l'affrontement militaire sur le statut de Taïwan comme l'un des scénarios pouvant mener Washington à se servir d'armes nucléaires contre la Chine.

La Chine est encerclée. L'armée étatsunienne est présente dans le Sud de la Mer de Chine et dans le Détroit de Taïwan, dans la Péninsule coréenne et en Mer du Japon, ainsi qu'au cœur de l'Asie Centrale et sur la frontière ouest du Xinjiang, la région autonome Ouïgour de Chine. En outre, dans le cadre de l'encerclement de la Chine, « le Japon s'est peu à peu amalgamé en harmonisant sa politique militaire avec celle des États-Unis et de l'OTAN. »

Soutien secret aux mouvements sécessionnistes

En harmonie avec sa politique d'affaiblissement et, en fin de compte, de morcellement de la République populaire de Chine, Washington soutient les mouvements sécessionnistes, tant au Tibet que dans la région autonome Ouïgour du Xinjiang, qui borde le Nord-Est du Pakistan et de l'Afghanistan.

Dans le Xinjiang Ouïgour, le renseignement pakistanais (ISI), agissant en liaison avec la CIA, soutient plusieurs organisations islamistes. Parmi ces dernières figurent le Parti Réformateur Islamiques, l'Alliance pour l'Unité Nationale du Turkestan Oriental, l'Organisation de Libération Ouïgour et le Parti du Djihad Ouïgour d'Asie Centrale. Plusieurs de ces organisations islamiques sont soutenues et entraînées par Al-Qaida, un atout du renseignement étatsunien sponsorisé par lui.

L'objectif déclaré des Chinois appartenant aux organisations islamiques est la « création d'un califat islamique dans la région. »
Le califat regrouperait dans une seule entité politique l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan (Turkestan Occidental) et la région autonome Ouïgour de Chine (Turkestan Oriental).

Ce « projet califat » empiète sur la souveraineté territoriale chinoise. Soutenu par diverses « institutions » wahhabites des États du Golfe, le mouvement sécessionniste aux frontières occidentales de Chine, est, une fois encore, conforme aux intérêts stratégiques étatsuniens en Asie Centrale. Pendant ce temps, un puissant lobby étatsunien achemine son soutien vers les forces séparatistes du Tibet.

En encourageant tacitement la sécession de la région Ouïgour du Xinjiang (avec l'ISI du Pakistan comme « intermédiaire »), Washington essaye de déclencher un processus de déstabilisation politique et de démembrement de la République Populaire de Chine plus large. En plus de ses différentes opérations clandestines, les États-Unis ont installé des bases militaires en Afghanistan ainsi que plusieurs anciennes Républiques soviétiques, directement sur la frontière occidentale de Chine.

La militarisation du Sud de la Mer de Chine et du Détroit de Taiwan fait partie intégrante de cette stratégie.

Les émeutes de Lhassa

Les violentes émeutes dans la capitale du Tibet à la mi-mars étaient un événement soigneusement orchestré. Dans leur sillage immédiat, une campagne de désinformation médiatique a été lancée, appuyée par des déclarations politiques de dirigeants occidentaux contre la Chine.

Selon certaines indications, les services de renseignement étatsuniens ont joué un rôle en coulisse, dans ce que plusieurs observateurs ont décrit comme une opération soigneusement préméditée.

Les événement de Lhassa à la mi-mars ne sont pas un mouvement protestataire « pacifique » spontané, comme l'ont décrit les médias occidentaux. Ces émeutes, impliquant une bande de gangsters, ont été préméditées. Elles ont été soigneusement organisées. En Inde, des activistes tibétains associées au gouvernement du Dalaï Lama en exil ont laissé entendre qu'ils s'attendaient en effet à les troubles. Mais ils refusent de préciser comment ils le savaient ni qui étaient leurs collaborateurs. »

Les images ne suggèrent pas un rassemblement de manifestation de masse mais plutôt un déchaînement de violence mené par quelques centaines d'individus. Des moines bouddhistes ont été impliqués dans ce déchaînement de violence. Selon China Daily (31 mars 2008), le Congrès de la Jeunesse Tibétaine (TYC), basé en Inde, considérée par la Chine comme une « organisation intransigeante » affiliée au Dalaï-Lama, est aussi derrière la violence. Les camps d'entraînement de la TYC sont financés par la National Endowment for Democracy (NED, fondation nationale pour la démocratie).

Les séquences vidéo des événements confirment que des civils ont été lapidés, battus, et dans quelques cas tués. La majorité des victimes étaient des Chinois Hans. Selon les déclarations du gouvernement du Tibet, au moins dix personnes ont été brûlées vives, suite à des incendies volontaires. Ces déclarations ont été confirmées par le récit de plusieurs témoins oculaires. Selon un reportage du Journal de Peuple :
« Cinq vendeurs d'un magasin de vêtements sont morts brûlés avant d'avoir eu la moindre chance de s'échapper. Un homme de 1,7 mètres, nommé Zuo Yuancun, a été transformé en torche et réduit en horrible squelette avec des restes de chair. Un travailleur itinérant a été saigné, poignardé au foie par les gangsters. Une femme a été battue durement par ses assaillants et a eu une oreille tranchée ». (People's Daily, 22 mars 2008.)

Pendant ce temps, avec désinvolture, les médias occidentaux décrivent les pillages et les incendies criminels comme une « manifestation pacifique, » réprimée avec usage de la force par les autorités chinoises. Il n'y a aucun rapports précis (de sources d'information chinoise ou occidentale) sur le nombre de victimes résultant de l'opération de la police chinoise lancée pour réprimer les émeutes. Des rapports de la presse occidentale indiquent un déploiement à grande échelle de plus de 1 000 soldats et policiers sur des véhicules blindés dans la capitale tibétaine.

Des entreprises, des écoles ont été attaquées, des voitures ont été incendiées. Selon les rapports chinois, il y a 22 morts et 623 blessés. « Les émeutiers ont mis à feu plus de 300 sites, pour la plupart des maisons privées, des magasins et des écoles, démoli des véhicules et endommagé des établissements publics. »

Le planning de ces émeutes a été synchronisé avec la campagne de désinformation médiatique accusant les autorités chinoises d'avoir fomenté des actes criminels de pillage et d'incendie. Le Dalaï Lama a accusé Pékin d'avoir « déguisé ses troupes en moines » pour donner l'impression de moines bouddhistes à l'origine des émeutes. Ses affirmations se basaient sur une photographie de soldats vêtus en moines à l'occasion d'une interprétation théâtrale vieille de quatre ans (Voir South China Morning Post, 4 avril 2008).

Le journal continental [People's Daily] a signalé que les forces de sécurité qui réprimaient les émeutes à Lhassa ne pouvaient porter les uniformes de la photo, car ce sont des uniformes d'été, inadaptés au climat froid de mars.

Il a aussi révélé que la PAP [Police Armée de Chine] a échangé en 2005 ses uniformes contre d'autres caractérisés par des écussons aux épaules. Les agents armés montrés sur la photo portaient des uniformes de style ancien, abandonnés après 2005. . . Xinhua a affirmé que la photo avait été prise il y a des années au cours d'une représentation, quand des soldats ont emprunté des robes de moines avant de jouer sur scène. (Ibid)

L'affirmation du Dalaï Lama citée dans les médias occidentaux, selon qui les autorités chinoises ont fomenté les émeutes, est appuyée par une déclaration d'un ancien fonctionnaire du Parti Communiste Chinois (PCC), M. Ruan Ming, qui « prétend que le PCC a soigneusement mis en scène les incidents au Tibet pour obliger le Dalaï Lama à démissionner et justifier la répression future contre les Tibétains. M. Ruan Ming était un ancien rédacteur de discours du Secrétaire Général du PCC, Hu Yaobang. » (Cité dans The Epoch Times)

Rôle des services de renseignement étatsunien

L'organisation des émeutes de Lhassa s'inscrit dans une trame logique. Il s'agit d'essayer de déclencher un conflit ethnique en Chine. Cela sert les intérêts de la politique étrangère étatsunienne.

Dans quelle mesure le renseignement étatsunien a-t-il joué un rôle secret dans la vague de manifestation actuelle concernant le Tibet ?

Étant donné la nature cachée des opérations d'espionnage, il n'y a aucune preuve tangible de l'implication directe de la CIA. Cependant, nous savons que plusieurs organisations liées au « gouvernement en exil » du Tibet sont soutenues par la CIA et/ou par son organisation civile façade, la National Endowment for Democracy (NED).

L'implication de la CIA dans l'acheminement d'aide clandestine vers les mouvement sécessionniste tibétains remonte au milieu des années 50. Le Dalaï Lama a figuré sur la liste de personnel de la CIA depuis la fin des années 50 jusqu'en 1974 :

À partir de 1956, la CIA a mené une campagne d'activités secrètes de grande envergure contre les Chinois communistes au Tibet. Cela a entraîné une insurrection sanglante désastreuse en 1959, qui a laissé des dizaines de milliers de Tibétains morts, pendant que le Dalaï Lama et environ 100 000 fidèles étaient contraints de s'enfuir vers l'Inde et le Népal à travers les cols himalayens semés d'embûches.

La CIA a mis sur pied un camp d'entraînement militaire secret pour les combattants de la résistance du Dalaï Lama, à Camp Hale, aux États-Unis, près de Leadville au Colorado. Les maquisards tibétains ont été formés et équipés par la CIA pour la guérilla et les opérations de sabotage contre les communistes chinois.

Les guérilleros formés par les États-Unis ont effectué des raids réguliers au Tibet à l'occasion d'accords de mercenariat dirigés par la CIA et appuyés par ses avions. Le programme d'entraînement initial a pris fin en décembre 1961, bien que le camp au Colorado semble être resté ouverte au moins jusqu'en 1966.

La CIA Tibetan Task Force, créée par Roger E McCarthy, aux côtés de l'armée de guérilla tibétaine, a continué l'opération baptisée « ST CIRCUS, » de harcèlement des forces de l'occupant chinois, pendant encore 15 ans, jusqu'en 1974, date de ratification officielle de la cessation de l'implication.

McCarthy, qui au sommet de ses activités a aussi servi de chef de la Task Force au Tibet, de 1959 à 1961, a continué plus tard en lançant des opérations similaires au Viêt-nam et au Laos.

Au milieu des années 60, la CIA a remplacé sa stratégie de parachutage de guérilleros et d'espions au Tibet par la mise sur pied de la Chusi Gangdruk, une armée de guérilla comportant quelque 2 000 combattants de l'ethnie Khamba, sur des bases du genre de celle de Mustang au Népal.

Cette base n'a été fermée qu'en 1974 par le gouvernement népalais, après qu'il ait subi une pression énorme de Beijing.

Après la guerre d'Indochine de 1962, la CIA a développé d'étroites relations avec les services du renseignement indien, à la fois dans la formation et la fourniture d'agents au Tibet.

La National Endowment for Democracy (NED)

La National Endowment for Democracy (NED), qui canalise l'aide financière vers les groupes d'opposition pro-étatsuniens du monde entier, a joué un rôle important dans le déclenchement des « révolutions feutrées » qui servent les intérêts économiques et géopolitiques de Washington.

La NED, bien que ne faisant pas officiellement partie de la CIA, exerce une fonction importante dans l'arène des partis politiques civils et des ONG. Elle a été créée en 1983, quand la CIA a été accusée de secrètement soudoyer des hommes politiques et de mettre en place des organisations bidons, façades de la société civile. Selon Allen Weinstein, responsable de la mise en place de la NED durant l'administration Reagan, « Une grande partie de ce que nous faisons aujourd'hui était fait secrètement par la CIA il y a 25 ans. » (Washington Post, 21 septembre 1991.)

La NED opère à travers quatre instituts prédominants : le National Democratic Institute for International Affairs, l'International Republican Institute, l'American Center for International Labor Solidarity, et le Center for International Private Enterprise.

La NED a fourni des fonds aux organisations de la « société civile » vénézuélienne à l'origine d'une tentative de coup d'État contre le Président Hugo Chavez. En Haïti, la NED a appuyé les groupes de l'opposition derrière l'insurrection armée qui a contribué à évincer le Président Bertrand Aristide en février 2004. Le coup d'État en Haïti résulte d'une opération des services de renseignement militaire soigneusement mise en scène.

La NED finance nombre d'organisations tibétaines, tant en Chine qu'à l'étranger. La plus importante organisation pro-Dalaï Lama pour l'indépendance du Tibet financée par la NED est International Campaign for Tibet (ICT), fondée en 1988 à Washington. ICT a des bureaux à Washington, Amsterdam, Berlin et Bruxelles. À la différence des autres organisations tibétaines financées par la NED, ICT a des relations étroites, chaleureuses et « imbriquées » avec la NED et le Ministère des Affaires Étranges étatsunien :

Certains des directeurs d'ICT sont aussi membres constitutifs de l'establishment de la « promotion de la démocratie, » notamment Bette Bao Lord (présidente de la Freedom House, et l'une des directrices du Freedom Forum), Gare A. Smith (qui servait auparavant comme principal adjoint d'Human Rights and Labor du Bureau de la Démocratie du Ministère étasunien des Affaires Étranges), Julia Taft (ancienne directrice de la NED, ancienne adjointe au ministre des Affaires Étranges et Coordonnatrice Spéciale sur les questions tibétaines, a travaillé à l'USAID, et a aussi exercé les fonctions de présidente et de directrice générale d'InterAction), et enfin, Mark Handelman (qui est aussi directeur de la Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens, une organisation dont le travail est lié de manière idéologique aux interventions de longue date de la NED à Haïti).

Le comité des conseillers d'ICT propose aussi deux individus étroitement liés à la NED, Harry Wu et Xiao Qiang (ancien directeur exécutif de Human Rights In China (droits de l'Homme en Chine), financé par la NED).

À l'instar de son conseil d'administration, le comité international des conseillers d'ICT comporte de nombreux notables « démocrates, » comme Vaclav Havel, Fang Lizhi (qui en 1995, au moins, a été membre du conseil d'administration de Human Rights in China), Jose Ramos-Horta (qui siège au conseil consultatif international du Democracy Coalition Project), Kerry Kennedy (l'un des directeurs du China Information Center, financé par la NED), Vytautas Landsbergis (l'un des patrons internationaux de la Société néoconservatrice Henry Jackson -- voir Clark, 2005), et jusqu'à sa mort récente, Jeane J. Kirkpatrick, « l'accoucheuse des Néo-conservateurs » (qui était aussi liée à des groupes « démocratiques » comme Freedom House et la Foundation for the Defense of Democracies). (« Impérialisme démocratique » : Tibet, Chine et National Endowment for Democracy, Global Research, Michael Barker, 13 août 2007)

« Les autre organisations financées par la NED incluent Students for a Free Tibet (SFT, étudiants pour un Tibet libre) évoqué plus haut. La SFT a été créée en 1994 à New York comme un projet du Comité Tibet étatsunien et financée par la NED et ICT. La SFT est plus connue pour le déploiement d'une bannière de 150 mètres en haut de la Grande Muraille de Chine, appelant à un Tibet libre. »

En janvier dernier, la SFT avec cinq autres organisations tibétaines ont proclamé « le début d'un soulèvement du ''peuple tibétain'' . . . et fondé ensembles un bureau provisoire chargé de la coordination et du financement. » (Ibid)

La NED finance aussi le Tibet Multimedia Center pour la « diffusion de l'information concernant la lutte pour les droits de l'homme et la démocratie au Tibet, » lui aussi à Dharamsala. Et la NED finance le Tibetan Center for Human Rights and Democracy. (Ibid)

Les tâches sont réparties entre la CIA et la NED. Tandis que la CIA fournit le soutien clandestin aux groupes rebelles paramilitaires armés et aux organisations terroristes, la NED finance les partis « civils » et les organisations non gouvernementales, en vue d'établir une « démocratie » à la façon étatsunienne dans le monde entier.

La NED constitue, pour ainsi dire, le « bras civil » de la CIA. Les interventions de la CIA et de la NED dans différentes parties du monde se caractérisent par un modèle cohérent, qui est appliqué dans de nombreux pays.

PsyOp de discrédit du leadership chinois

L'objectif à court terme est de discréditer les dirigeants chinois durant les mois précédant les jeux olympiques de Beijing, tout en utilisant la campagne du Tibet pour détourner l'opinion publique de la guerre au Moyen-Orient et des crimes de guerre commis par la Zunie, l'OTAN et Israël.

Les prétendues violations des droits de l'homme par la Chine sont mises en évidence pour détourner de la guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient et pour lui donner un visage humain.

Les plans de guerre parrainés par les Étas-Unis contre l'Iran, sont maintenant reconnus et justifiés par le refus de Téhéran de se conformer aux exigences de la « communauté internationale. »

Avec le Tibet faisant les gros titres, la véritable crise humanitaire au Moyen-Orient n'est pas en première page des nouvelles.

D'une manière plus générale, la question des droits de l'homme est faussée : les réalités sont bouleversées, l'ampleur des crimes commis par les États-Unis et ses partenaires de la coalition est soit dissimulée soit justifiée comme un moyen pour protéger la société contre les terroristes.

Le « deux poids, deux mesures » dans l'évaluation des violations des droits de l'homme a été instauré. Au Moyen-Orient, l'assassinat de civils est étiqueté dommage collatéral. Il est justifié dans le cadre de la « guerre mondiale contre le terrorisme. » Les victimes sont considérées responsables de leur propre mort.

La flamme olympique

Soigneusement préméditées, les manifestations contre la violation des droits de l'homme en Chine ont été mises en branle dans les capitales occidentales.

Un boycott partiel des jeux olympiques semble en route. Le ministre français des Affaires Étranges, Bernard Kouchner, (un ferme protagoniste des intérêts étatsunien ayant des relations avec les Bilderberg), a appelé au boycott de la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques. Kouchner a déclaré que l'idée devrait être débattue lors d'une réunion des ministres européens des Affaires Étrangères.

La torche olympique a été allumée lors d'une cérémonie en Grèce, qui a été perturbée par « des militants pro-Tibet. » L'événement était parrainé par « Reporters sans Frontières, » une organisation dont les liens avec les services de renseignement étatsunien sont bien connus. La flamme olympique est un symbole. L'opération psychologique (PsyOp) consiste à prendre pour cible la flamme olympique dans les mois précédants les jeux olympiques de Beijing.

À chaque phase de ce processus, les dirigeants chinois sont dénigrées par les médias occidentaux.

Implications pour l'économie mondiale

La campagne du Tibet, dirigée contre les dirigeants chinois, pourrait provoquer un retour de manivelle.

Nous sommes à la croisée des chemins de la plus grave crise économique et financière de l'histoire moderne. Le déploiement de la crise économique a un lien direct avec l'aventure militaire parrainée par les États-Unis au Moyen-Orient et en Asie Centrale.

La Chine joue un rôle stratégique quant à l'expansionnisme militaire étatsunien. Jusqu'à présent elle n'a pas exercé son droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies contre plusieurs résolutions dirigées contre l'Iran, parrainées par les États-Unis.

La Chine joue aussi un rôle central dans l'économie mondiale et le système financier.

Résultant d'un cumul d'excédent commercial avec les États-Unis, la Chine détient désormais la valeur de 1,5 billions de dollars de titres de créance (dont des bons du Trésor étatsunien). Elle a la capacité de perturber sensiblement les marchés monétaires internationaux. Le dollar plongerait à un niveau encore plus bas si la Chine liquidait ses effets de dette libellés en dollars.

De plus, la Chine est le plus gros producteur d'un large éventail de produits manufacturés, qui constituent une part importante de la consommation mensuelle des ménages occidentaux. Les géants occidentaux de la vente au détail comptent sur le flux continu et ininterrompu de produits à main-d'œuvre bon marché de Chine.

Pour les pays occidentaux, l'introduction de la Chine dans les structures du commerce mondial, dans l'investissement, la finance et le droits de propriété intellectuelle sous l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est absolument cruciale. Si Beijing décidait de réduire ses exportations de produits manufacturés « Made in China » vers les États-Unis, la fragile industrie manufacturière étatsunienne sur le déclin ne serait pas capable de combler le vide, du moins à court terme.

En outre, les États-Unis et ses partenaires de la coalition, notamment le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France et le Japon, ont des intérêts d'investissements importants en Chine. En 2001, les États-Unis et la Chine ont signé un accord commercial bilatéral avant l'adhésion de la Chine à l'OMC. Cet accord permet aux investisseurs étatsuniens, notamment aux grandes institutions financières de Wall Street, de se positionner dans le système financier et commercial de Shanghai ainsi que dans le marché bancaire national de Chine.

Si la Chine est, à certains égards, « la colonie à main-d'œuvre industrielle bon marché de l'Occident, » les relations de la Chine avec le système commercial mondial ne sont en aucun cas coulées dans le bronze.

Les relations de la Chine au capitalisme mondial ont leurs racines dans la « Politique de la porte ouverte » formulée initialement en 1979.

Depuis les années 80, la Chine est devenue le principal fournisseur de produits industriels des marchés occidentaux. Toute menace et/ou entreprise militaire hasardeuse contre les alliés eurasiens de la Chine, l'Iran notamment, pourrait potentiellement perturber le vaste commerce de produits manufacturés chinois.

Les exportations chinoises, orientées sur la fabrication de base, sont la source de l'immense constitution de richesses dans les économies capitalistes avancées. D'où provient la richesse de la famille Walton, les propriétaires de WalMart ? WalMart ne produit rien. Elle importe des produits de main-d'œuvre bon marché « Made in China, » et les revend sur le marché de détail étatsunien jusqu'à dix fois leur prix d'usine.

Ce processus « d'importation amenant le développement » a permis aux pays occidentaux « industrialisés » de fermer une grande partie des dépôts de leurs industrie manufacturière. En retour, les ateliers exploitant la main-d'œuvre industrielle en Chine, servent à générer les profits en multiples milliards de dollars des sociétés occidentales, notamment des géants du commerce de détail, qui achètent et/ou délocalisent leur production en Chine.

Toute menace de nature militaire contre de la Chine pourrait avoir des conséquences économiques dévastatrices, bien au-delà de la fameuse spirale ascendante du prix du pétrole brut.


Article original en anglais, China and America: The Tibet Human Rights PsyOp, publié le 13 avril 2008.

Traduction: Pétrus Lombard.

Michel Chossudovsky est professeur d'économie politique, conférencier prisé sur la scène internationale et conseiller auprès de pays en développement, d'organismes internationaux et des Nations Unies.

Il est le directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (CRM-CRG) et auteur de plusieurs best-sellers, dont deux traduits en français : Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial et Guerre et mondialisation : À qui profite le 11 septembre ?. Il contribue à l'Encyclopedia Britannica. Ses écrits ont été traduits en plus de 20 langues.