L’Office de financement de l'assurance-emploi

2008/05/09 | Par Georges Campeau et Hugo Desgagné

Georges Campeau est professeur au Département des Sciences juridiques de l’UQAM

Hugo Desgagné est coordonnateur au Mouvement Autonome et Solidaire des Sans-Emploi (MASSE).

Dans le cadre du dernier budget, le gouvernement fédéral a annoncé la création d’un Office de financement de l'assurance-emploi, mesure devant permettre que les cotisations prélevées ne correspondent qu’aux seules dépenses du régime.

Cependant, contrairement aux revendications mises de l’avant notamment par des syndicats, le projet de loi ne contient aucune mesure visant l’amélioration de la protection du régime. En effet, il précise que l'Office ne pourra prendre aucune décision quant à la couverture du régime ni tenir compte du surplus cumulatif du Compte d'assurance-emploi qui s’élève maintenant à plus de 54 milliards de dollars.

En fixant des règles rigides pour son financement indépendamment du surplus cumulatif le projet de loi aura pour effet de verrouiller la protection de l'assurance-emploi à son niveau actuel sinon de la diminuer.

Plusieurs de ceux qui avaient critiqué le détournement du Compte et réclamé une bonification du régime ont qualifié cette annonce de pas dans la bonne direction? Est-ce vraiment le cas?

QU’EST-CE QUE LA CRÉATION DE CET OFFICE APPORTE DE NEUF?

Le projet de loi prévoit la création d’un Office de financement de l'assurance-emploi qui sera dorénavant chargé de la fixation des cotisations, fonction qui relève actuellement de la Commission. Une réserve de 2 milliards de dollars est également créée pour contrer toute hausse de cotisations en période de ralentissement économique.

L'Office devra donc gérer les sommes qui lui sont confiées, les investir et ce tout en maintenant le niveau de la réserve, montant dont on prévoit l’indexation. Cependant, le projet de loi interdit explicitement à l'Office d’intervenir pour modifier le niveau des prestations ou de mettre en œuvre de nouveaux programmes, ces questions continuant de relever de la seule compétence du ministre.

En fait, le projet de loi change peu de choses quant au mécanisme de fixation des cotisations, l'Office ne disposant pas davantage de discrétion que la Commission n’en a actuellement, le taux devant être juste suffisant pour couvrir les dépenses prévues du régime sous réserve que toute variation annuelle ne doit excéder 0.15 %.

Si la situation économique commandait une hausse de taux plus importante, le coût de l’excédent serait alors temporairement assumé par la réserve, qui à son tour serait renflouée par des hausses de cotisation les années suivantes.

Cependant, le gouvernement conserve le droit en dernier ressort au nom de l’intérêt public, concept pour le moins ambigu compte tenu du désengagement de l'État de sa responsabilité à l’égard des chômeurs, de fixer le taux des cotisations comme celui des sommes versées au titre des prestations. Enfin, les coûts de fonctionnement de cette structure complexe (Conseil d'administration, Comités, etc), seront à la charge du Compte, donc des cotisants.

UN PAS DANS LA BONNE DIRECTION?

Rappelons que la revendication pour la création d’une « Caisse autonome » mise de l’avant notamment par le Bloc québécois, le NPD et plusieurs organisations syndicales visait à contrer pour le futur la malversation à laquelle s’est livré le gouvernement fédéral au cours des dernières années en utilisant les surplus du Compte d'assurance-emploi à d’autres fins que celles prévues par la loi et ce au détriment de la protection que le régime doit accorder à ses cotisants.

Cependant, on prenait alors bien soin de préciser que cette création devait s’accompagner d’une amélioration de la couverture du régime financée notamment par la réinjection graduelle du surplus cumulatif dans la couverture du régime.

Or, le projet de loi prévoit de façon explicite que l'Office ne pourra procéder à aucune bonification ou amélioration du régime ni tenir compte du surplus cumulatif du Compte. Pourtant, dans une étude publiée en 2007, l’Institut canadien des actuaires recommandait que pour respecter le principe contributif de l'assurance, selon lequel toutes les cotisations de même que les excédents doivent être utilisées aux fins de l'assurance-emploi, ce surplus devait être réaffecté au programme.

Le projet de loi poursuit l’opération amorcée en 2005, puisque suite aux modifications apportées alors à la loi, le surplus cumulatif n’apparaît plus dans les rapports de l’actuaire en chef de l'assurance-emploi.

Comment ne pas voir que ces changements faisaient suite aux commentaires de la Cour supérieure dans la contestation initiée par la CSN sur cette question et selon lesquels la loi alors en vigueur ne permettait pas au gouvernement de faire disparaître ce surplus cumulatif en défrayant des dépenses autres que celles expressément prévues par la législation. Le gouvernement poursuit donc sa stratégie visant à faire disparaître ce surplus « gênant » de la comptabilité du Compte.

En substituant le volet cotisations à celui des prestations comme élément central du régime, le projet de loi confirme son caractère autofinancé, qui rappelons le, est depuis 1990 assumé entièrement par les travailleurs et les employeurs.

Déjà privé de la contribution de l'État qui servait principalement à assumer le coût de la prolongation des prestations dans les régions à taux de chômage élevé, le régime verra par ces règles de financement sa couverture figée à son niveau actuel, toute bonification devant se traduire par des hausses de cotisation.

Pire, cette protection pourrait même régresser car selon cette logique, le coût de toute hausse du chômage devra être assumé par les cotisants. Il n’est donc pas surprenant qu’une telle annonce ait été bien reçue par les associations patronales, d’autant plus qu’elles auront voix au chapitre pour toute hausse de cotisation.

En fin de compte, c’est le détournement du Compte d'assurance-emploi qui est au centre du débat sur cette question. L’adoption d’une mesure qui comporte tant d’effets pervers est-elle si urgente compte tenu que la Cour suprême devra au cours des prochains mois préciser les obligations constitutionnelles du gouvernement en matière d'assurance-chômage, soit la nature des cotisations et les fins pour lesquelles elles doivent être utilisées?

Le gouvernement prétend vouloir mettre fin à l’utilisation des cotisations à d’autres fins pour l’avenir, mais à quel prix? Non seulement le projet de loi aura pour effet de verrouiller la protection de l'assurance-emploi à son niveau actuel, qui rappelons le, correspond au tiers de ce qu’elle était en 1990 mais il complète ainsi le mouvement de désengagement de l'État face aux chômeurs. Ce projet de loi est-il vraiment un pas dans la bonne direction?

Pour un autre point de vue