Richard Bergeron boycotté par La Presse

2008/05/13 | Par Carl Boileau

Vous aurez sans doute remarqué qu’il ne se passe pratiquement pas une journée sans que, sous un prétexte ou un autre, le journal La Presse ne publie la photo de Gérald Tremblay. Ces derniers temps, à la faveur de la course à la chefferie d’un parti politique pourtant moribond, Vision Montréal, La Presse multiplie les articles sur Benoît Labonté.

Pourtant, on chercherait en vain le nom de Richard Bergeron dans La Presse, sauf parfois à la toute fin d’un article d’importance secondaire. Comment cela s’explique-t-il ?

La Presse : un journal orienté

L’édition du lundi 14 avril 2008 de La Presse permet à merveille de montrer combien ce journal est orienté au niveau de son contenu. Passons en revue plusieurs articles publiés dans cette édition du lundi14 avril 2008.

Énorme titre en page A-6 : Benoît Labonté tend la main à Gérald Tremblay. Le motif est la réforme de la carte électorale provinciale présentement en cours. C’est l’occasion de souligner combien Benoît Labonté est un ardent défenseur « des intérêts supérieurs de Montréal ». Normal chez qui fut « président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain », prend-on soin de rappeler. Du même coup, on rappelle aussi, comme on le fait pratiquement chaque jour, que Gérald Tremblay est l’actuel maire de Montréal.

Nouveau gros titre en page A-8 : Le maire Tremblay devrait-il prendre le métro ? Il s’agit dans ce cas de la chronique de François Cardinal, chroniqueur environnemental à La Presse. François Cardinal se désole de constater que si peu d’élus montréalais prennent les transports collectifs.

Outre Gérald Tremblay, il nomme dans son texte Claude Dauphin, Alan DeSousa, Robert Perreault et Jack Layton, les deux premiers pour souligner qu’on ne les voit jamais dans le métro, les deux seconds, au contraire, pour dire qu’on les y voyait souvent.

Toujours est-il que le chroniqueur oublie de mentionner qu’un élu municipal, qui plus est chef de parti, candidat à la mairie de Montréal à l’élection de 2005 et candidat déclaré, au même poste, à celle de 2009, un dénommé Richard Bergeron, utilise tous les jours le métro.

Peut-être François Cardinal n’a-t-il jamais entendu parler de Richard Bergeron ? Ce serait étonnant puisque l’an dernier, ils ont tourné ensemble un reportage des Francs Tireurs sur le centre d’achats Dix-30, situé à Brossard, plus récente horreur de l’urbanisme métropolitain.

En page suivante, A-9 donc, La Presse publie un reportage sur la Manifestation contre le projet de modernisation de la rue Notre-Dame, tenue la veille. Rappelons que ledit projet consiste à transformer la rue Notre-Dame en autoroute urbaine. Toute personne un tant soit peu informée sait que Richard Bergeron est le seul membre du conseil municipal de Montréal à s’y opposer. Sur place, ceux qui l’auraient jusque-là ignoré n’auraient pas manqué de voir l’imposante bannière de Projet Montréal, en plus d’une bonne trentaine de pancartes aux couleurs de ce parti politique.

Or, le reportage de La Presse ne dit mot ni de Richard Bergeron, ni de Projet Montréal. Quant à la photo illustrant cet article, elle montre bien Richard Bergeron, mais sans dire de qui il s’agit, en plus qu’elle réussit ce véritable exploit de ne montrer aucune pancarte de Projet Montréal.

Rendons-nous maintenant à la page A-12, où le chroniqueur Yves Boisvert se désole du Recul aberrant de la liberté de presse. Le motif, qu’un juge puisse obliger un journaliste à révéler ses sources, est ici hors de propos. Le hasard a simplement voulu que La Presse nous parle de la liberté de presse le jour même où sa propre partialité fut plus évidente que jamais.

Comme à chaque lundi, vient ensuite le cahier auto de La Presse. Richard Bergeron faisait remarquer dans son Livre Noir de l’automobile, publié en 1999, que ledit cahier est ni plus ni moins qu’une publicité déguisée à la gloire de l’industrie automobile.

De deux pages au début des années 1990, le cahier était passé à cinq pages en 1999 : ce lundi 14 avril 2008, il n’en comptait pas moins de vingt-quatre. L’avant dernière présentait la Suzuki Hayabusa, une supermoto de 200 chevaux vapeur de puissance, dont la vitesse de pointe excède les 300 km/h. De telles motos sont interdites de circulation autant en Europe qu’au Japon. Au Québec, un adolescent âgé de 16 ans et quelques mois qui calcule bien son coup peut s’en procurer une en toute légalité… et aller se tuer dans les jours qui suivent. Comment se positionne La Presse face à cette réalité odieuse ? Citons la fin de l’article : « La Hayabusa se veut plus que jamais l’incarnation de la vitesse. Mais dans le mesure où l’exploitation de ce potentiel est la responsabilité du pilote, pourquoi aurait-elle à s’excuser de quoi que ce soit ? ». Traduisons : « Si les jeunes veulent aller se tuer, ça les regarde. Nous, notre job, c’est de faire vendre des chars et des motos ».

On comprend que Richard Bergeron, qui est allé jusqu’à titrer un chapitre de son Livre Noir : La Presse : au service de l’industrie automobile (p. 187), ne soit pas forcément dans les bonnes grâces de ce journal. Ardent défenseur des transports collectifs et du modèle de développement qui s’ensuit, Richard Bergeron dénonce et la croissance continue du nombre d’automobiles, et les investissements autoroutiers à répétition qui alimentent cette croissance.

Gérald Tremblay a pour sa part renié la parole donnée en 2002 et accepté que la rue Notre-Dame soit transformée en autoroute. Par ailleurs, on ne l’a jamais entendu dire le moindre mot sur le fait que depuis le début de son règne, le parc automobile de l’île de Montréal s’accroît de 10 000 véhicules par année.

Quant à Benoît Labonté, sa position est fort habile : d’une part, il demande à ce qu’à l’ouest du pont Jacques-Cartier, la future autoroute soit recouverte sur toute sa longueur, ce qui accroîtrait de plusieurs centaines de millions de dollars notre investissement collectif dans les infrastructures de l’automobile; pour ce qui concerne l’est du pont Jacques-Cartier, il se défile en affirmant ne pas avoir encore d’opinion arrêtée sur la pertinence ou non d’une autoroute.

La Presse est un journal orienté en faveur de l’auto et de ses infrastructures. Gérald Tremblay et Benoît Labonté partageant tous deux la même orientation, elle leur ouvre largement ses pages. Quand à ce, comment il s’appelle déjà ? Richard Bergeron dites-vous ? il lui suffit de l’ignorer.

La partialité de La Presse a des racines beaucoup plus profondes.

Benoît Labonté, un Demarais’ Kid

La Presse est la propriété de la société Power Corporation du Canada, appartenant aux Paul Desmarais, père (81 ans) et fils (53 ans).

Paul Desmarais père est reconnu comme l’une des personnes les plus riches et influentes au Canada. Où que l’on regarde autour de soi, on trouve la famille Desmarais : Paul Desmarais fils est marié à la fille de Jean Chrétien ; sa sœur Hélène est présidente du conseil et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, en plus de présider le conseil d’administration des HEC de Montréal ; lors de l’inauguration de leur modeste propriété de 75 kilomètres carrés, dans Chalevoix, en 2003, les Desmarais ont pu compter sur la présence de deux anciens présidents américains, George Bush père et Bill Clinton, en plus de Lucien Bouchard, de la duchesse d’York Sarah Ferguson et de Paul Martin ; il y a jusqu’à Nicolas Sarkozy à compter parmi les intimes des Desmarais.

En fait, Paul Desmarais père a de longue date entretenu toute une écurie de Desmarais’ Kids. Il repère de jeunes loups et louves paraissant avoir tout ce qu’il faut pour se retrouver un jour au pouvoir, puis les aide à y accéder en facilitant leur cheminement de carrière grâce aux interventions appropriées au sein de ses nombreux réseaux d’influence.

Bien sûr, il ne s’agit pas d’une science exacte, comme tout éleveur de chevaux le confirmera. Il reste que Jean Charest, actuel premier ministre du Québec, et Nicolas Sarkozy, actuel président de la France, témoignent l’un et l’autre de l’efficacité certaine du système Desmarais.

Ce qui nous amène à Benoît Labonté. On se rappellera qu’avant de faire le saut en politique municipale, il occupait le poste de président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Déjà, il serait inimaginable qu’il ait eu accès à ce poste sans l’intervention des Desmarais. D’autant qu’à 32 ans à peine, Benoît Labonté était promu chef de cabinet du ministre des Finances du Canada de l’époque, nul autre que Paul Martin, proche de Paul Desmarais père.

Les Desmarais’Kids n’accèdent pas tous aux plus hautes fonctions politiques, cela va de soi. Ainsi, rien n’assure que Benoît Labonté deviendra un jour maire de Montréal. D’autant qu’il a désormais une tache à son dossier : rongé par l’ambition, il a largué Gérald Tremblay, ce qui constituait rien moins qu’une trahison au sein même de la grande famille libérale.

Du coup, il s’est fait beaucoup d’ennemis au sein de cette famille. Il n’empêche qu’au stade actuel, la famille Desmarais lui maintient son appui, comme en témoignent les gros titres à répétition dans le journal La Presse. Si effectivement ce poulain finit par s’essouffler, les Desmarais ont encore plus d’une année devant eux pour en sortir un autre de l’écurie.

Est-il besoin de dire que Richard Bergeron n’est pas un Desmarais’ Kid. De façon anodine, c’est ce qui explique que dans son édition de ce lundi 14 avril 2008, La Presse ait « oublié » de mentionner qu’il est le seul élu montréalais à s’opposer à la transformation de la rue Notre-Dame en autoroute, ou encore qu’il est un usager journalier du métro. De façon plus générale, La Presse, qui en 2005 avait jugé avec sévérité l’arrivée de Projet Montréal sur la scène politique municipale, continuera au mieux de réserver de temps à autre un court entrefilet à ce parti politique.

Ainsi fonctionne la démocratie municipale

Voilà effectivement qui éclaire le fonctionnement de notre démocratie municipale. Ceci étant, quels que soient les calculs auxquels se prêtent les Grands de notre petit monde, quels que soient les pions qu’ils décident d’avancer sur l’échiquier dont ils se croient seuls maîtres, il demeure qu’en dernière analyse, c’est la population qui se rend aux urnes pour y choisir ses dirigeants.

Que les gens qui constituent Projet Montréal persistent dans la démarche démocratique exemplaire qui est la leur et l’on verra bien ce que seront les résultats de l’élection municipale du premier novembre 2009.

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