Une révolution pas si tranquille

2008/06/18 | Par Stéphanie Beaupied

Avec la magnifique série télévisée Épopée en Amérique et ses 5 tomes d’une Histoire populaire du Québec, Jacques Lacoursière fait un travail essentiel d’éducation populaire, au Québec.

Cela tombe bien car, si on se fie à un sondage paru dans le Journal de Montréal (14 mai), les Québécois auraient besoin d’un petit cours de rafraîchissement historique. Aux cinq questions d’histoire de base, comportant des choix de réponses, seulement 26% ont eu la note 5 sur 5. À la question « Qui a découvert le Canada ? », 27% ont choisi Christophe Colomb au lieu de Jacques Cartier. « Qui était le leader patriote de 1837 ? », seulement 46% ont nommé Louis-Joseph Papineau! Enfin, 17% des Québécois croient que la bataille des Plaines d’Abraham a été gagnée par Montcalm !

Même si la Révolution tranquille est une histoire très «récente» pour ceux qui l’ont vécue, elle peut paraître très lointaine pour des étudiants nés au début des années 1990 ! Ainsi, je ne suis pas étonnée des résultats du sondage, chose que j’avais déjà expérimentée dans ma classe d’histoire au collégial. À la question « Comment se nomme la période des années soixante au Québec ? » J’obtiens un silence des plus complet. Et quand des étudiants mélangent Révolution française et Révolution tranquille, cela me laisse sans voix ! Oui, il faut des livres sur la Révolution tranquille !

Un moment fondateur

Même si plusieurs historiens, dits révisionnistes, ont affirmé que le Québec avait atteint la «modernité» bien avant 1960, en lisant sur la Révolution tranquille, on ne peut nier que c’est un moment fondateur de notre histoire. À bien des égards, la plupart des débats actuels en sont carrément une remise en question.

Jacques Lacoursière ne fait pas partie de cette génération d’historiens qui s’acharnent, parfois trop, à illuminer la Grande noirceur. Lacoursière écrit avant tout une histoire politique et s’attarde aux faits. Il y a peu d’analyse dans le 5e tome de son Histoire populaire du Québec et le découpage est assez classique, couvrant la période de la mort de Maurice Duplessis jusqu’à la Crise d’octobre de 1970.

C’est avec un programme politique ambitieux que Jean Lesage prend le pouvoir en 1960. L’État québécois prend forme, remplace la «province» de Québec. Les ministères des Affaires fédérales-provinciales, des Richesses naturelles, des Affaires culturelles sont entre autres créés. En 1960, le Québec était la seule province sans assurance hospitalisation. Taxé de «socialiste» par le député de l’Union nationale Jean-Jacques Bertrand, le gouvernement libéral confie à l’État l’administration de tous les hôpitaux au grand dam de certaines communautés religieuses.

Maîtres chez nous

 Durant la Révolution tranquille, le Québec s’est outillé pour réduire sa dépendance aux capitaux étrangers. Lacoursière rappelle que l’industrie minière, une des plus importantes du Québec à l’époque, est «contrôlée à plus de 60% par les Américains, l’industrie expédie massivement le minerai québécois aux États-Unis où les usines et les manufactures étrangères les transforment en produits finis».

Pour Lesage, «le colonialisme économique n’est plus acceptable pour les Québécois». C’est ainsi que la Société générale de financement (SGF), la Caisse de dépôt et de placement et la Société québécoise d’exploration minière (SOQEM) sont nés.

Dans le même esprit, on nationalise l’hydro-électricité. Le discours de Lesage symbolise la Révolution tranquille : «L’électricité, c’est la clef de l’économie moderne. Nous voulons en faire la clef de voûte de d’un régime de vie où enfin, après tant de générations, nous serons maître chez nous ! […] L’époque du colonialisme est révolue. Nous marchons vers la Libération. Maintenant ou jamais. Soyons maîtres chez nous!»

S’instruire pour s’enrichir collectivement

Une autre clef de voûte du développement du Québec dans les années soixante est l’accès à l’éducation. À propos de la loi 60, sur la création d’un ministère de l’Éducation, Lacoursière rappelle que Lesage tergiverse sur la question, mais que Paul Gérin-Lajoie défendra l’idée dans une tournée du Québec. Daniel Johnson, chef de l’Union nationale dira de lui : «Mettez-lui des overalls et une barbe et c’est Castro faisant campagne à Québec : un vrai lessivage de cerveaux.»

Le Québec a la plus basse fréquentation scolaire du Canada. Plus de 50% des petits Québécois quittent l’école à 15 ans en 1960. Les Libéraux dénoncent le fait que «93% de nos écoliers n’iront pas à l’université dans l’état actuel des choses ! 77% de nos chômeurs n’ont pas dépassé leur 8e année !» Leur programme électoral a de quoi faire rougir les associations étudiantes d’aujourd’hui, il propose ni plus ni moins que la gratuité scolaire jusqu’à l’université, la gratuité des manuels scolaires et des allocations aux étudiants ! Aujourd’hui, la gratuité scolaire est une revendication des associations étudiantes «radicales»!

En 1963 et 1964, le système de prêts et bourses et le ministère de l’Éducation sont créés. En 2005, il a fallu une grève générale des étudiants pour sauver le système des prêts étudiants ! Les Libéraux avaient transformé toutes les bourses en prêts !

En 1968, Jean-Jacques Bertrand, devenu ministre de l’Éducation poursuit le programme libéral. 23 cégeps sont créés et des polyvalentes poussent un peu partout. Le nombre d’étudiants dans le système d’éducation va presque tripler entre 1960 et 1970. C’est la première fois qu’autant de Québécois pourront accéder à des études post-secondaires.

En 1968, des grèves étudiantes éclatent, car il manque de 8000 à 10 000 places dans les universités. En septembre 1969, le réseau des universités du Québec est mis sur pied à la hâte. Selon Lacoursière «les inscriptions n’étaient pas terminées, il y avait des conflits d’horaires, plusieurs rayons de la bibliothèque étaient vides, tous les professeurs n’avaient pas été engagés et le contenu de plusieurs cours était à faire. Qu’importe ! Tout allait s’arranger, alors qu’une certaine contestation étudiante faisait rage…» L’UQAM est née contestataire à l’époque de Mai 68.

L’égalité des sexes

À cette époque, on militait aussi pour les droits des femmes. Plusieurs changements dans la société québécoise, notamment le retrait de l’Église des services sociaux, amélioreront le statut des femmes. Dans le livre de Lacoursière, il n’y a malheureusement pas de chapitre spécifique consacré à cette question.

Lacoursière évoque le rôle de la première femme élue en 1961, Marie-Claire Kirkland, députée libérale. Elle s’attaque à l’incapacité juridique des femmes mariées. C’est seulement en 1964 que celles-ci pourront signer des contrats, emprunter à la banque, posséder des biens.
En 1958, la limitation des naissances est toujours considérée comme un péché mortel et l’Église condamnera dix ans plus tard l’utilisation de la pilule contraceptive. Le décalage avec la société est extraordinaire. Jacques Lacoursière cite un sondage : «En 1965, 66% ne pensent pas que la limitation des naissances est répréhensible».

Durant la période de la Révolution tranquille, le Québec a la plus forte diminution des naissances au Canada, elles baissent de moitié ! Des mouvements féministes commenceront aussi à demander le droit à l’avortement dans les années 1970, ce qui sera acquis dans les années 1980.

L’indépendance nationale

On ne peut parler de la Révolution tranquille sans aborder le projet collectif qui en émanera : l’indépendance du Québec. Le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) est fondé en 1960 par André d’Allemagne, Marcel Chaput. En 1967, Pierre Bourgault dira que le «Vive le Québec libre !» de Charles de Gaulle aura fait plus pour les idées indépendantistes que leur militantisme en 7 ans ! L’indépendance devient possible. Le Canadien-français est mort, vive le Québécois !

En 1967, René Lévesque quitte le Parti libéral, fonde le Mouvement souveraineté-association (MSA). Il est étonné et dépassé par l’ampleur du mouvement souverainiste qui s’organise dans les circonscriptions. Dès 1968, le Parti québécois sera fondé.

D’autres regroupements, comme le Front de libération du Québec (FLQ), se réclameront de la révolution armée pour réaliser l’indépendance. L’action du FLQ en 1970 est sûrement le symbole et l’aboutissement de cette impatience. L’année 1969 avait marqué le point culminant des mouvements de revendications : «Si le terrorisme en inquiète plusieurs, souligne Lacoursière, la situation que connaît le Québec a aussi de quoi soulever certaines craintes. Le 11 février 1969, des émeutiers saccagent le Centre de calcul de l’Université Sir George Williams, causant des dommages évalués à près de deux millions de dollars. Des manifestants descendent dans la rue pour réclamer la francisation de l’Université McGill. La municipalité de St-Léonard est secouée par diverses manifestations dénonçant le fait que les écoles favorisent l’anglicisation des élèves. Les policiers et les pompiers de Montréal déclenchent une grève alors que le mouvement de Libération du taxi s’en prend à Murray Hill.»
Bref, toute manifestation sera interdite à l’intérieur des limites de la ville de Montréal. Des femmes enchaînées protesteront ! «Même la parade du Père Noël n’aura pas lieu», continue Lacoursière. Pierre-Elliott Trudeau lancera son fameux : «Finies les folies !»

Un an plus tard, il imposera la Loi des mesures de guerre, suite à l’enlèvement du diplomate britannique James Richard Cross et du ministre du travail Pierre Laporte, De 5000 à 6000 militaires occupent le Québec, les libertés sont suspendues. Pour Lacoursière, l’année 1970 marque la fin de la Révolution tranquille.

La Révolution tranquille laisse en héritage des réalisations, dont plusieurs sont aujourd’hui remises en question. Le militantisme pour faire l’indépendance du Québec est née de cette époque radicale où tout avançait si vite et où tout semblait possible. Le livre de Lacoursière nous rappelle que nous avons un projet collectif inachevé et que la Révolution tranquille n’est pas encore terminée !