L’Omerta touristique

2008/07/14 | Par André Bouthillier

Alors! La baignade, ça va? Évidemment, je ne parle pas de la pluie. Peut-être certains se souviennent du temps où nous allions en autobus et en procession nous baigner sur les plages municipales.

D’autres se souviendront des chalets dégingandés de nos parents souvent pauvres, mais pour qui l’effort financier d’un court séjour près d’un cours d’eau ou d’un lac était la récompense de toute une année de labeur.

On se souvient aussi du lac de notre enfance et des algues que nous coupions en juillet pour garder notre espace de baignade propre, comme on disait alors. D’autres n’auront connu que les piscines publiques et privées.

Ce n’est pas mal, mais quand même, l’eau de différentes couleurs qui nous accueillait, souvent sans que nous puissions voir le fond, c’était… comment dire!!!!. Et puis, combien de monstres imaginaires, pensions-nous, vivaient là-dessous. Nous ne savions pas, comme nous l’enseignent maintenant les savants de l’eau, que ça fourmillait de cyanobactéries bien installées bien avant l’époque des dinosaures.

Les temps ont changé, et las de voir la détérioration des eaux de baignade, la Coalition Eau Secours! et ses groupes membres riverains ont entrepris de faire connaître à l’ensemble du Québec une situation bien cachée ou ignorée.

Les Chambres de commerce oeuvrant sur les rives des lacs et rivières ont entretenu le secret. Évitons de faire peur aux touristes disaient, par exemple, les propriétaires de camping de la baie Missisquoi en Montérégie.

Vingt ans plus tard de silence, de camouflage contre la honte verte, les marchands ont construit des piscines pour remplacer les lacs et faire croire aux familles que c’était la même chose. On peut appeler cela de l’arnaque: on invite la famille au bord de l’eau et ensuite on la balance à la piscine. « Non, non, ce n’est pas à toutes les années! C’est une mauvaise période, vous avez été malchanceux », disaient-ils.

Pas besoin d’ergoter longtemps pour comprendre que la quantité de touristes a décliné chaque année. Les politiciens eux ont écouté les marchands et, pour calmer quelques environnementalistes, ont subventionné les chercheurs pour étudier le phénomène ainsi que les groupes pour sauver les grenouilles, les tortues et faire de l’éducation. Va pour les amphibiens et autres, mais les humains eux ne voient toujours pas leur milieu aquatique s’améliorer.

Il fallait bien un jour que cela cesse et c’est grâce au courage de groupes en développement touristique et groupes environnementaux comme ceux de la baie Missisquoi, que la stratégie de la mise à vue fut lancée, notamment en 2005 par des conférences et un spectacle des Porteurs d’eau d’Eau Secours! à Venise-en-Québec.

Devant cette action médiatique, voilà que le ministre de l’Environnement promet encore plus d’argent pour… la recherche. En 2006, la Coalition court après le ministre de l’Environnement pendant plusieurs mois, pour que celui-ci admette qu’il y a au moins 70 lacs touchés par les algues bleues (cyanobactéries). De fuite en fuite, le ministre Béchard passe « la puck » à sa successeure avec la promesse d’un plan d’action pour le printemps 2007.

La nouvelle ministre s’empresse de faire le tour du Québec durant tout l’été, sans rien faire de concret, pour finir à l’automne avec une grande messe (Forum) où les groupes contestataires ne furent pas invités. La saison 2007 se termina par un score de 195 lacs connus, touchés par le phénomène des algues bleues.


Dès lors, les promesses de subventions virevoltèrent, des officines des ministères vers les groupes institutionnels, avec en grande finale l’octroi d’arbres de toutes sortes, sans égard aux espèces ni au terreau qui allait les recevoir. Le ministère de l’Environnement vida les pépinières du Québec aux prises avec des stocks non vendus, voués à la perte. Les groupes de bénévoles eurent la tâche de distribuer ces invendus à qui mieux-mieux.

Quel gâchis! La réplique d’Eau Secours! et ses groupes membres provoque le débat public et presse le gouvernement à agir sensément. Bientôt le ministère de l’Environnement est assailli par le lobbying d’associations et d’industries d’embarcations nautiques motorisées, tels Bombardier et autres fabricants de grosses cylindrées ou de motomarines; par des citoyens qui réclament une belle vue, la paix et de l’eau propre sur leur bord de lac; par des villes qui souhaitent vendre dorénavant de plus petits terrains riverains pour augmenter leurs revenus fonciers; par des groupes environnementaux qui commencent à exercer leur pouvoir sur les villes riveraines des lacs et finalement par des touristes arnaqués.

Première manche : 1 à 0 pour Eau Secours! et ses associations de lacs, le RAPPEL en Estrie, Conservation baie Missisquoi en Montérégie, l’Association des lacs de Val-des-Monts en Outaouais, etc…Le débat public se fait et le voile se lève sur les responsables de la situation.

Deuxième manche : 1 à 1, le gouvernement calme le jeu en promettant des millions aux Comités de bassin versant et en disant vouloir augmenter le nombre d’inspecteurs.

Troisième manche : 2 à 1 pour le gouvernement qui, avec ses partenaires, décide de ne plus publier la liste des lacs touchés. Le poids de la chape de plomb s’installe sur les épaules des bénévoles des groupes militants. Les préfets des villes excommunient tous ceux qui ne pensent pas business.

Manche 4

C’est en pleine saison touristique 2008 que la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau – Eau Secours! dépose des demandes d’accès à l’information au ministère de l’Environnement et au Centre d'expertise en analyse environnementale du Québec. Raison oblige puisque l’omerta riveraine est de mise et la Coalition n’a pu identifier que 16 milieux aquatiques touchés. La rumeur parle de 200. Il est plus que temps de savoir où sont les algues bleues (cyanobactéries), de protéger la santé des touristes et leur investissement de vacances.

En choisissant cette omerta cogitée, le gouvernement du Québec, Santé Publique Québec et les chambres de commerce du Québec arnaquent les touristes et se vouent à des représailles économiques à plus ou moins long terme. N’ont-ils donc rien retenu de la fâcheuse expérience de la baie Missisquoi?

Ayant choisi leur destination à l’avance et préparé la famille à une vacance bien méritée près de plan d’eau, ces vacanciers ont payé le gros prix pour des chalets loin de leur ville et ont investi de l’essence pour s’y rendre. Malheureusement, ce n’est qu’une fois sur place qu’ils seront informés de l’interdiction pour les résidents de ne pas s’approcher des algues bleues et, dans le doute, de s’abstenir de se baigner. Voilà des enfants déçus et un investissement, chèrement gagné, jeté à l’eau.

Évidemment, les arnaqueurs économiques n’ont pas prévu l’effet pervers de l’an prochain. Désabusés par le manque d’information, les touristes préféreront la mer aux lacs du Québec, ou encore, rester chez eux et investir dans une piscine hors terre, pour ceux qui le peuvent, et ils auront pris en grippe la région cachottière.

Au nom du profit, les commerçants sont prêts à mettre à risque les personnes non résidentes des lacs qui, elles, ne reçoivent pas les avis de la Santé publique.

Par peur de conflits juridiques, le ministère refuse d’augmenter «réellement» le nombre d’inspecteurs qui permettraient de localiser et cerner la partie affectée du lac, au lieu d’annoncer la contamination générale. Un bien fondé en attire un autre, les interventions seraient plus efficaces et profitables à plus court terme. Alors, comment savoir, si vous demeurez à des lieux de la municipalité touchée, si le lac de votre choix est propre à la baignade, ou simplement impropre même à la planche à voile?

Pendant ce temps, confortés dans par silence, les autorités locales tardent à faire modifier les pratiques des industries et des riverains qui nourrissent consciemment ou non les algues bleues (cyanobactéries). À qui profite réellement ce mutisme et pour combien de temps encore?

La pression tombée, les souris dansent jusqu'à ce que le chat sorte du sac.

André Bouthillier
Saint-Anselme, Comté de Bellechasse
Région Chaudière/Appalaches