Entretiens avec Patrick Bourgeois

2008/08/12 | Par Alain Dion

« C’est simple, tant qu’on ne se sera pas donné une structure
de communication digne de ce nom, que l’on contrôlera, on ne gagnera pas. »

- Patrick Bourgeois


Le mouvement indépendantiste n’a jamais semblé plus divisé que maintenant. Trois partis politiques se disputent le vote souverainiste. Les dissensions s’expriment sur toutes les tribunes. Le cynisme semble en avoir gagné plus d’un. Pendant ce temps, les fédéralistes mordent et s’acharnent à marteler que le projet souverainiste est mort, passé date.

Et pourtant quand on s’y attarde sérieusement et qu’on ne se laisse pas aveugler par la propagande de nos « partenaires » d’en face, on se rend compte qu’on n’a jamais tant parlé du projet souverainiste. Les livres se multiplient, les colloques s’accumulent, l’identité québécoise est au coeur de nos débats hebdomadaires. L’appui à la souveraineté se maintien bon an mal an à 45%. La participation populaire à la Fête nationale ne se dément pas. La Journée nationale des Patriotes occupe une place de plus en plus importante dans la réflexion collective. Et que dire de tous les débats qui ont éclaté à propos du 400e de Québec ? Quand on ouvre les yeux et les oreilles on découvre rapidement que bien des militants poursuivent inlassablement la lutte indépendantiste au-delà des débats stériles de l’allégeance idéologique ou partisane.

C’est le cas de Patrick Bourgeois, réacteur en chef du journal indépendantiste Le Québécois. Installlé depuis quelques années à Ste-Anne-des-Monts, en Gaspésie, d’où il dirige les activités de l’organisation du Québécois, Patrick Bourgeois mène au quotidien une lutte déterminée, nécessaire. Je l’ai rencontré par un beau vendredi de juillet sous l’indépendance du soleil gaspésien.

Alain Dion : À quand remonte la création du journal Le Québécois ?

Patrick Bourgeois : On a lancé le premier numéro en 2001. À l’époque, comme bien des militants indépendantistes, on dénonçait la main mise de la presse fédéraliste et on chialait contre André Pratte, contre Dubuc (Alain, bien sûr), contre Power corporation, qui ne laissait aucune place au discours indépendantiste. Mais en même temps on se disait qu’on ne pouvait pas demeurer assis bien tranquille et seulement critiquer. Il fallait trouver une façon de corriger le problème. Alors avec quelques amis militants, dont Pierre-Luc Bégin qui est mon complice de la première heure et qui dirige maintenant les Éditions du Québécois, on a simplement décidé, bien naïvement je dois l’avouer, de lancer notre propre journal séparatiste ! (éclats de rire)

Pour nous, c’était impensable de croire que le projet de libération nationale se concrétiserait si on ne se donnait pas les moyens de contrôler nos communications. On s’appuyait entre autres sur ce que le mouvement avait fait dans les années 70 en lançant Le Jour ou Québec Presse. Alors, comme je complétais un certificat en journalisme et que j’avais déjà un peu d’expérience comme rédacteur du journal étudiant à l’Université Laval, l’équipe a décidé de foncer en supposant que tout cela ne devait pas être si complexe. De plus, on croyait qu’une fois mis sur les rails, le projet serait rapidement repris par le mouvement indépendantiste qui prendrait le relais. On attend encore! (nouveaux éclats de rire)

A.D. : Aviez-vous des influences particulières ? Des exemples de médias alternatifs et indépendantistes ?

P.B. : Nous étions alors très influencés par ce qui se passait en Europe. Les mouvements de libération nationale irlandais, bretons et surtout les indépendantistes basques nous inspiraient particulièrement. Au pays basque, le mouvement indépendantiste publie le journal Gara, un quotidien volumineux comme La Presse. Un quotidien indépendantiste, socialiste par surcroît! Un journal superbe. J’ai visité leur salle de presse. C’est incroyable les moyens qu’ils ont. Les moyens qu’ils se donnent devrais-je dire. Et pourtant, les militants subissent une répression sans merci de la part de Madrid qui tente par tous les moyens de fermer le journal. Mais le peuple basque a compris l’importance des médias. Ils se sont regroupés et ont ramassé des sommes astronomiques pour soutenir le journal. Pour eux, c’est plus important leur média que le parti. C’est plus important les communications que le parti. On est loin de ça ici.

A.D. : Comment s’est passé la mise en place du Québécois ?

P.B. : Nous n’avions pas beaucoup de moyens, alors, on a appris sur le tas, on s’est fait les dents. Mais assez rapidement on a pu compter sur des collaborateurs comme Pierre Falardeau, Jacques Parizeau et Claude Jasmin qui ont apporté de la crédibilité au journal. À l’époque, une bonne part du financement venait de la Société nationale de la Capitale et du Parti Québécois. On se finançait également avec de la publicité achetée par des organisations syndicales, des députés et quelques sociétés nationales.

Mais l’ensemble du travail se faisait malgré tout sur une base militante. C’était totalement artisanal. Imagine le travail ! Faire de la recherche, écrire les textes, chercher du financement, tout cela en publiant 5 numéros par année. On préparait nous-mêmes les envois postaux, on faisait la tournée des kiosques, des présentoirs. Un travail de fous ! À l’époque nous avions une centaine d’abonnement. Aujourd’hui, c’est toujours assez artisanal, et c’est toujours du travail militant. On a environ mil abonnés et c’est mon père et ma mère qui font les envois !

A.D. : Quel est la ligne éditoriale du journal ?

P.B. : Une ligne éditoriale résolument indépendantiste, bâtie au départ autour d’entrevues avec des militants, de textes d’opinions et des analyses politiques. Mais depuis environ deux ans, nous nous tournons de plus en plus du côté de l’enquête. C’est ce qui dérange le plus, qui peut faire le plus mal aux fédéralistes. Prends par exemple les études cachées de l’OQLF (Office québécois de la langue française). C’est le Québécois qui le premier a dénoncé la situation. C’est un dossier qu’on a fouillé et que des journalistes ont repris après la publication d’une lettre ouverte que j’avais fait parvenir au Devoir. L’autre enquête qui a mis les libéraux sur la sellette, c’est le salaire de Charest. Depuis deux ans, je questionnais le train de vie du PM dans le journal, ce qui m’a valu quelques mises en demeure d’ailleurs, et on a fini par apprendre qu’il reçoit 75 000$ du parti. Ces deux dossiers ont occupé une bonne part des travaux de l’Assemblée nationale cette année. On a réussi à mettre les libéraux sur la défensive, à les déstabiliser. C’est ça qu’il faut poursuivre. Il faut attaquer sans relâche, les déranger, les discréditer.

Donc l’enquête devient présentement notre principale orientation. Comme Québec Presse à l’époque. Falardeau me disait l’autre jour, que dans les années 70 on en sortait des tonnes de scandales comme ceux-là. Il n’y en a pas moins aujourd’hui, mais on ne fouille tout simplement plus. L’enquête, même si parfois ça semble très petit, c’est un moyen, c’est le petit grain de sable dans l’engrenage qui permet de faire dérailler le système. Mais pour ça, il faut travailler.

A.D. : Depuis quelques années vous avez également diversifiez les outils de communications du Québécois ?

P.B. : On se rendait compte que le journal n’avait pas l’impact souhaité à lui seul et qu’en plus, ça nous demandait beaucoup d’argent et pas mal d’énergie. On a donc décidé de développer un site internet (www.lequebecois.org) qui nous permet d’avoir un rayonnement plus important. Le site est fréquenté par 5000 personnes par jour. C’est beaucoup plus dynamique. Ça nous permet également de rejoindre davantage les jeunes. Des histoires comme les sympathies séparatistes de Michaëlle Jean, c’est notre liste d’envoi sur internet, qui a permis de créer l’événement.

Mais malgré tout, le journal imprimé demeure un outil important. C’est le journal qui permet de maintenir la crédibilité de l’organisation. À mon avis, tu ne peux pas être exclusivement sur internet.

Nous utilisons également le web pour diffuser des émissions de radio à partir de notre site internet. Québec-Radio permet une fois de plus de multiplier les sources d’information et de rejoindre encore plus de monde. La radio produit environ 10 000 connections par semaine. Nous proposons différentes émissions sur le thème de l’indépendance. Personnellement, je produis une émission qui propose des analyses politiques. Nous offrons également des chroniques de Falardeau, de Jasmin et nous diffusons de la musique québécoise. D’ailleurs, on invite les militants à s’impliquer sur les ondes de la radio. Tout le monde peut produire une émission maintenant. Tu peux te monter un petit studio pour 100$, avec un petit mélangeur, un micro et une carte de son. Tu branche le tout sur ton ordinateur et t’es équipé !

Le dernier projet mis de l’avant par l’organisation ce sont Les productions du Québécois. Nous souhaitons développer la production vidéo et la production de disque. Nous avons d’ailleurs lancé un premier dc de Geneviève Lenoir, qui reprend des grands classiques de la chanson québécoise. Nous produisons également un documentaire de Jules Falardeau, le fils de Pierre, qui tourne un document sur Reggie Chartrand, l’ancien meneur des Chevaliers de l’indépendance dans les années 60.

A.D. : Vous avez également fondé une maison d’édition ?

P.B. : Oui, les Éditions du Québécois. Une maison d’édition qui nous permet d’entrer dans les librairies et donc de diversifier nos lecteurs. Et on est pas mal fier de la qualité des livres que nous publions. Que ce soit Québec Libre de Pierre Falardeau, qui a déjà vendu près de 4000 exemplaires, ceux de Claude jasmin ou le dernier de Raymond Lévesque, cette production est vraiment très intéressante. Peu de petites maisons d’édition peuvent se targuer d’avoir des textes et des auteurs de cette qualité.

Le RRQ

A.D. : Avant de terminer, j’aimerais que l’on parle du Réseau de résistance du Québécois. Quels sont les objectifs et les orientations de ce mouvement ?

P.B. : Plusieurs personnes nous demandent continuellement si Le Québécois appuie le PI (Parti indépendantiste) ou le PQ. Personnellement, je n’appuie ni l’un ni l’autre. J’ai toujours fondé mon militantisme sur les thèses de Gérard Chaliant qui dit : «Le parti est inutile sans foyers révolutionnaires.»

Le Réseau de résistance du Québécois est une structure qui a été mise en place, il y a environ deux ans pour répondre à ce besoin de générer de l’activité dans le mouvement indépendantiste qui est plutôt oisif ces temps-ci, avouons-le. En plus, à l’époque où on avait seulement le journal, plusieurs militants nous disaient , «je veux vous aider, mais qu’est-ce que je peux faire ?» Je leur répondais invariablement «Aimes-tu ça écrire ?» Lorsqu’il répondait non, je n’avais plus grand chose à leur proposer.

On a donc cherché à mettre en place une structure qui permettrait à ce monde-là d’être en contact, de brasser la cage, de les mettre en marche et leur permettre de se manifester autrement que par l’écriture. Et ça fonctionne bien, c’est fascinant. Il y a présentement des sections qui se créent dans plusieurs régions. Québec est la section la plus dynamique, mais il y en a dans les Laurentides, à Montréal.

Le RRQ c’est une bouffée d’air frais : les militants distribuent le journal, vendent des t-shirts, des macarons, des livres. On est en train de relancer l’activisme sur le terrain. Certains militants font de l’affichage à chaque semaine, d’autres manifestent à toutes les occasions possibles afin d’attirer l’attention des médias. En faisant cela, ils peaufinent leur pensée politique, ils prennent conscience de leur impact, de leur force dans l’union. Ils se sentent moins isolés. Et en discutant et en côtoyant les jeunes militants on se rend compte qu’il est important de faire de la formation politique. Ce qu’on n’a pas fait beaucoup, pour pas dire pas du tout, dans les partis politiques indépendantistes ces dernières années.

Dans le fond, le RRQ c’est une façon de reprendre le terrain. C’est reconquérir l’espace public. C’est continuer de dire aux militants qui ont l’impression que le mouvement est mort parce que les médias martèlent quotidiennement que les gens ne veulent plus en entendre parler d’indépendance, que la bataille continue. À chaque fois qu’on sort, à chaque fois que les médias se penchent sur nos activités, ces gens-là se sentent moins isolés. Ils comprennent qu’il y a toujours des gens qui luttent malgré ce que racontent les Pratte et Dubuc de ce monde.

On travaille aussi présentement sur un projet «d’école du militant» du RRQ, un camp dans une base de plein air où l’on offrira une formation à la fois politique et historique, une formation sur l’activisme, mais aussi une formation, je dirais, légale. Avec la répression que certains militants ont vécue dernièrement à Québec, il faut qu’ils sachent comment réagir avec les policiers, qu’ils connaissent leurs droits. Il n’y a pas un mouvement de libération national qui a réussi sans d’abord faire de l’éducation politique, sans avoir former ses militants. C’est urgent car on risque de vivre une faille importante entre la plus vieille génération de militants qui s’est battue et la nouvelle. Nos militants les plus expérimentés risquent de partir avant d’avoir transmis l’expertise aux plus jeunes et le mouvement se retrouvera entre les mains de gens peu expérimentés.

Il faut donc briser l’isolement. En même temps, il faut trouver une façon de radicaliser le mouvement. C’est ce que Pierre Falardeau appelle la politique du pied dans la porte. Nous devons poser des gestes de rupture, sans devenir pour autant des têtes brûlées. En face, ce ne sont pas nos partenaires de demain, ce sont nos ennemis d’aujourd’hui. Il faut comprendre ça, pis ça presse. C’est une guerre politique. Tant et aussi longtemps qu’on respectera les règles qu’ils nous imposent nous n’avancerons pas.

Ça nous ramène en même temps à l’urgence d’avoir une structure de communication pour accompagner le mouvement. Pas nécessairement Le Québécois. On n’a pas nécessairement besoin d’un quotidien non plus, c’est trop lourd. Mais un hebdomadaire, ce serait extraordinaire. Avec un quotidien, tu es toujours à la remorque de l’actualité, tout va trop vite et tu n’as pas le temps de développer tes sujets. Un hebdomadaire permettrait de faire de l’enquête, de bien monter les dossiers pour vraiment leur en mettre plein les culottes. Et si l’on se fie à ce qui se passe en région, l’hebdomadaire, les gens l’attendent, le recherchent généralement.

De toute façon c’est simple, tant qu’on aura pas une structure de communication digne de ce nom, qu’on contrôlera, on gagnera pas !