Barack Obama peut-il gagner?

2008/08/21 | Par Greg Palast

Chris Pepus : Les grands médias US ont enfin commencé à parler des illégalités de l'administration Bush. Cependant, le trucage des élections est encore largement ignoré. Au cours des dernières années, le Parti Républicain a eu recours à tout un éventail de tactiques pour éliminer les votes en faveur de leurs opposants. On y trouve l'envoi de machines à voter défectueuses dans des circonscriptions démocrates ainsi que la suppression des listes électorales des électeurs à revenus modestes ou membres de minorités ethniques

Le journaliste Greg Palast enquête sur ce sujet depuis l'année 2000, lorsqu'il révéla comment les officiels de la Floride ont assuré l'élection de George W. Bush en rayant de manière illégale les électeurs afro-américains et démocrates des listes électorales.

CHRIS PEPUS : vos articles sur la suppression d'électeurs ont provoqué une enquête du Congrès et la démission de Tim Griffin, un des procureurs du Président Bush. Pouvez-vous nous décrire comment l'administration Bush a violé le droit de vote en 2004 ?

GREG PALAST : la première chose que nous avons découverte s'appelle le caging. Il y avait des courriers électroniques rédigés par un responsable du Comité National Républicain, un personnage nommé Tim Griffin, un protégé de Karl Rove. Il envoyait des listes de caging qui sont des listes d'électeurs qu'on cherche à éliminer des listes électorales. Le système marche comme ça : ils envoient un courrier d'inscription sur les listes électoraux aux électeurs et lorsque ces derniers sont absents – sur l'enveloppe, ils prennent soin de préciser « ne pas faire suivre » – leur inscription est contestée.

Floride un État important...

La liste que nous avons reçue comportait principalement des électeurs de la base aérienne navale de Jacksonville (Floride). Il y de bonnes raisons pour qu'une personne domiciliée dans une base militaire soit absente. Par exemple, parce qu'elle est partie faire une guerre à l'étranger, contrairement à Bush pendant la guerre du Vietnam. Les Républicains ont aussi envoyé des courriers à des universités à majorité noire en plein mois d'août, sachant que les étudiants seraient absents. Ils ont illégalement contesté ces électeurs.

En 2004, les Républicains ont procédé ainsi avec 3 million d'électeurs, ce qui est absolument incroyable et n'est jamais mentionné. Tous les faits étaient là, dans les archives de la Commission d'Assistance Electorale du gouvernement fédéral. Ces électeurs ont reçu des bulletins de vote provisoires et un million de ces bulletins ont été jetés à la poubelle. Ca, c'est une de leurs astuces. Il y en a d'autres et ils sont en train d'affûter leurs méthodes en vue des élections de 2008.

CHRIS : Mais Griffin a affirmé qu'il ne savait pas ce qu'était le caging avant de lire votre articles. « Il faut que je regarde ça », a-t-il dit.

Le Caging

GREG : En fait, j'ai découvert qu'il avait raison. Il a envoyé un courrier électronique qui disait « voici une liste de caging. Comme il l'a dit, il faut être un spécialiste en techniques de marketing direct pour comprendre la technique de caging. Ce qui veut dire que quelqu'un lui a dit d'envoyer ces listes, quelqu'un dont il ne discutait pas les instructions, même lorsqu'il ne les comprenait pas. Qui connaissant les techniques de marketing direct et qui pouvait donner de tels ordres à Tim Griffin ? Eh bien, avant de travailler pour George W. Bush, Karl Rove dirigeait Rove & Company, une société de marketing direct. Rove est donc un expert en caging. Le professeur de droit Bobby Kennedy Jr, qui enquête sur cette affaire avec moi, affirme qu'il s'agissait d'un acte illégal. Alors qui a ordonné cet acte illégal ? M. Rove ?

CHRIS : Comment avez-vous obtenu ces courriers électroniques ?

GREG : Griffin n'est pas un gars, disons, très futé. Alors il a envoyé ces courriers non pas à l'adresse GeorgeWBush.com, qui était l'adresse interne de l'organisation de campagne, mais à GeorgeWBush.org, qui est un site satirique. Le responsable du site, John Wooden, me connaît. Il a immédiatement transféré ces courriers à mon équipe. Il ne savait pas de quoi il s'agissait et franchement, au début, nous non plus. Il a fallu beaucoup de travail pour comprendre de quoi il retournait.

CHRIS : Y'a-t-il eu du nouveau dans cette affaire, à part le refus de Karl Rove de témoigner devant la Commission Judiciaire de la Chambre des Représentants ?

GREG : Je reviens tout juste d'une réunion avec David Iglesias, un procureur de l'état du Nouveau Mexique qui a été démis de ses fonctions. Les techniques de caging et autres expliquent sa destitution ainsi que celles d'autres procureurs US. Les grands médias américains, comme toujours, ont tout faux dans cette affaire. La destitution des procureurs américains n'a rien à voir avec leurs opinions politiques ou leur gestion. C'est plutôt une tentative destinée à contraindre les procureurs à participer à un plan visant à faire arrêter des électeurs sous prétexte qu'ils auraient violé la loi électorale et créer une hystérie pour justifier leur retrait des listes électorales.

Je n'arrêtais pas de demander à des Républicains, « s'il y a autant d'électeurs délinquants, pourquoi n'ont-ils pas été arrêtés ? Pourquoi n'ont-ils pas été inculpés ? » Ils me répondaient, « Oh, mais ça va venir. Parlez-en à David Iglesias. » Je l'ai appelé, ainsi que d'autres procureurs, et j'ai eu droit à tout le baratin. D'un côté on me dit qu'Iglesias est sur le point d'engager des poursuites et lui me répond, « je ne crois pas, non ». Pour moi, il est clair qu'Iglesias résistait aux pressions exercées sur lui pour l'obliger à engager des poursuites bidons. Il cherchait partout des électeurs fraudeurs mais n'en trouvait aucun. Certains étaient dans l'armée, et donc absents de leur adresse de domiciliation.

Je viens de vérifier certains de ces soi-disant fraudeurs qu'Iglesias refuse de poursuivre. Ce sont des dirigeants Républicains eux-mêmes qui m'ont donné les noms. Il y avait une dame, une serveuse, qui s'était enregistrée deux fois avec deux différentes signatures en face du nom. Alors je suis allé parler à cette « fraudeuse » et je lui ai demandé si elle s'était fait inscrire deux fois. Elle m'a répondu « oui ». Elle m'expliqua que, selon la loi, si on ne reçoit pas un accusé de réception de son inscription, on peut et on doit s'inscrire de nouveau. Ils ne mettent pas votre nom deux fois sur la liste. Je lui ai demandé pourquoi les deux signatures différentes et s'il y avait quelque chose de frauduleux là dedans. Elle m'a répondu : « Non. La première fois j'ai signé sur une table. La deuxième, j'ai signé en tenant le papier à la main. » Le cas de cette femme figurait parmi les soi-disant six cas les plus graves de fraude dans tout l'État du Nouveau Mexique.

Le Gouverneur Bill Richardson a signé des lois qui rendent l'inscription sur les listes électorales plus difficile, à cause de ces soi-disant fraudes. Ces lois sont tellement sévères que Richardson, un Démocrate d'origine hispanique, a fait l'objet d'une plainte déposée par le Centre Brennan pour la Justice pour obstruction illégale des électeurs hispaniques.

CHRIS : Ce qui est remarquable, c'est le nombre de groupes visés. Je me souviens d'avoir lu quelque chose sur les machines à voter défectueuses dans (le livre de Greg Palast) Armed Madhouse. Vous écrivez qu'en 2004, la circonscription du Nouveau Mexique où le plus de voix ont disparu est une circonscription ouvrière à majorité blanche.

Lutte de classes par d'autres moyens

GREG : Oui. J'appelle ce vol de voix une « lutte de classes par d'autres moyens ». Les circonscriptions à majorité amérindienne, noire, ou mexicaine sont souvent les plus visées. Mais, statistiquement, nous avons découvert que c'était plus le niveau de revenus que l'origine ethnique qui déterminait la prise en compte ou non du vote. Je peux vous indiquer avec quelle probabilité votre vote sera prise en compte si vous me dites quels sont vos revenus. Au fait, le secrétaire d'état Républicain du Colorado, Mike Coffman, vient de m'attaquer. J'ai raconté qu'il avait éliminé tous ces électeurs. Il a dit : « Palast ne cherche qu'à récolter des fonds pour son opération », mais il n'a pas dit que j'avais tort. Il a dit qu'il ne faisait que respecter la loi. J'ai déjà entendu tout ça dans la bouche de Katherine Harris. J'avais dit : « Devinez la couleur des électeurs rayés ». Il m'a répondu « la race des électeurs n'est pas mentionné dans nos documents ».

Ouais, bien sûr. Ils savent. Par le code postal. Ca c'est encore autre chose : s'ils ne savent pas, ils devraient le savoir. Parce que les lois sur les libertés civiques obligent les officiels chargés des élections à prendre des mesures pour éviter que leurs décisions ne soient entachées par des préjugés raciaux. Il est censé savoir, surtout lorsqu'il fait rayer des listes un cinquième des électeurs du Colorado.

CHRIS : Un autre État où des électeurs sont régulièrement rayés est la Floride. En 2000, vous avez écrit que les Républicains de la Floride ont rayé des listes des dizaines de milliers d'électeurs Démocrates. Avez-vous trouvé quelque chose qui ferait croire à une action similaire cette année ?

GREG : Pire même. L'ensemble du pays à été « Floridisé ». George W. Bush a signé une loi en 2002, « Help America Vote Act » et, en 2006, ils ont mené une opération à la Katherine Harris dans tout le pays. Ils ont dit aux secrétaires des États, qui sont des officiels partisans (i.e. « politiques » - ndt) dans chaque État, de rayer des listes tous les « électeurs douteux ». Beaucoup de choses qui étaient illégales, comme la technique du caging, sont désormais inscrites dans la loi. Pour résumer, nous avons désormais une loi fédérale qui couvre les magouilles, au lieu de les interdire.

Dans une circonscription du Nouveau Mexique, la moitié des Démocrates qui se sont présentés aux primaires (de 2008) n'ont pas pu voter. Il a des purges basées sur des adresses, sur des identités. Le Centre Brennan a dit qu'environ 85.000 électeurs en Floride sont en train d'être rayés, parce qu'ils se sont fait inscrire lors de campagnes d'inscriptions où leurs identités n'ont pu être vérifiées. Pour l'écrasante majorité, ces électeurs sont noirs, parce que de nombreux noirs se font inscrire lors de campagnes menées à la sortie des églises. Alors, si la Floride respecte désormais les règles du jeu, c'est simplement parce que les règles ont été changées.

CHRIS : En quoi la loi Help America Vote facilite-t-elle ces manipulations ?

GREG : Par exemple, en Floride, lorsqu'ils ont imposé des mesures particulières pour identifier ceux qui se font inscrire lors de campagnes, ils ont fait référence à la loi Help America Vote. Ils ont dit que c'était obligatoire. Cela dit, le fait est que 46 États ne sont pas d'accord sur cette interprétation, mais ça ne les a pas empêchés de le faire. De plus, cette loi oblige chaque État des Etats-Unis à modifier sa loi électorale. Et une fois que vous avez ouvert la boite de Pandore des lois électorales, chaque réforme devient une occasion pour une nouvelle magouille.

 La police vous appartient.

Cette loi crée une zone obscure dans la législation. Les officiels de la Foride disent : « Nous avons fait ça à cause de la nouvelle loi ». Alors les avocats du Centre Brennan demandent : « Où ça ? Comment pouvez-vous dire que c'est à cause de la nouvelle loi ? ». Les autres répondent « Oh, eh bien, c'est comme ça que nous l'avons compris ». S'agit-il d'une loi fédérale ? D'une loi d'État ? Non, c'est la loi de Bush, la loi de Rove. Ce qu'il y a d'agréable dans les élections pour les tricheurs, c'est qu'il y a une clause « allez vous faire foutre ». Si vous gagnez, c'est vous qui validez les résultats. La police vous appartient.

CHRIS : Quelles sont les clauses de cette loi les plus souvent invoquées pour lancer des attaques contre les droits des électeurs ?

GREG : Retournons à 2006. Certaines choses ont fait leur apparition en 2006 relatives au contrôle d'identité des électeurs. C'est la chose la plus louche. La loi exigeait, début 2006, que chaque État tienne une liste informatisée, centralisée, des électeurs. Le premier État à se lancer bille en tête dans la purge d'une base données informatisée, centralisée, fut la Floride. C'est comme ça que nous nous sommes retrouvés en 2000 avec une purge de pseudo-délinquants. Avec la loi Help America Vote, ils ont pris prétexte des incidents en Floride pour soi-disant procéder à une réforme et la « réforme » a consisté à généraliser à tout le pays les méthodes de la Floride...

Mais les gens se disent : « Quel mal y a-t-il à vérifier les listes électorales ? » La réponse est que cette nouvelle loi prétend empêcher un délit qu'on ne rencontre pratiquement jamais. Chaque année, aux Etats-Unis, nous avons au maximum cinq condamnations pour fraude sur les listes électorales. Nous pensons qu'avec la nouvelle loi, cinq millions d'électeurs sont rayés chaque année. Vous avez donc littéralement, pour chaque véritable délinquant, un million d'électeurs qui se voient rayés des listes. On n'arrête pas un million de personnes pour attraper un assassin.

CHRIS : Concernant ces listes centralisées, vous avez écrit que c'est une société appelée Accenture qui gère les listes informatisées pour différents gouvernements d'État. Pouvez-vous nous en parler ?

GREG : Accenture s'appelait Arthur Anderson, mais après qu'ils aient été pris la main dans le sac dans les magouilles d'Enron, ils ont tendance à ne plus utiliser ce nom. Arthur Anderson a été coupée en deux : une partie fût liquidée, déclarée en faillite, et l'autre rebaptisée Accenture. Ils n'ont pas changé leurs pratiques. Il y a Accenture ; il y a ES&S (Election Systems & Software).

Ces personnages sont les plus louches dans cette affaire. Ils arrivent à combiner à la fois le parti paris, l'incompétence et des tarifs exorbitants. ES&S a été impliquée dans le Nouveau Mexique. C'est une société créée par le sénateur Républicain Chuck Hagel, du Nebraska. Chaque fois que ES&S s'occupe d'une liste électorale, la liste devient étonnamment républicaine. Tout le monde sait que si on applique certaines méthodes, on élimine certains types d'électeurs. C'est pour cela que je mène cette enquête avec Bobby Kennedy. Nous enquêtons sur le vol du scrutin de 2008 avant qu'il ne se produise. Nous examinons ce qui se passe au Colorado, au Nouveau Mexique, en Alabama, en Floride. Nous allons publier un grand article dans un magazine national. Nous ne pouvons pas vous dire lequel.

CHRIS : Ce sera publié quand ?

GREG : En septembre. Il y aura aussi un film qui sera diffusé à la télévision sur la chaîne BBC et sur un réseau national aux Etats-Unis. Pour la première fois, nous allons briser le mur du silence médiatique aux Etats-Unis.

CHRIS : J'ai lu que vous récoltez des fonds pour cette émission. Ca se passe comment ?

GREG : Eh bien, c'est ça le problème. (La chaîne de télévision) a finalement accepté notre proposition, mais a dit « évidemment, nous n'allons pas la financer ». D'accord, je vais dire à ceux de mon équipe qu'ils seront réduits à manger de la nourriture pour chiens. Ils sont assez doués pour survivre avec le minimum. Ils étaient ici la nuit dernière, jusqu'à deux heurs du matin. Zach Roberts, je tiens à lui rendre cet hommage, était censé s'arrêter de travailler avec nous il y a sept semaines. On travaille non-stop, mais il faut trouver ne serait-ce qu'un minimum d'argent. Nous voulons toucher les organisations militantes et leur fournir du matériel.


Nous allons publier un guide de l'électeur, Retrouvez Votre Voix, que je suis en train de rédiger avec Kennedy. Une bonne partie sera sous forme de bandes-dessinées, conçues par Top Shelf. Une personne qui s'occupe de récolter des fonds s'est plaint du fait que nous donnions trop de choses – mes livres, des DVD. Mais c'est notre façon de faire : faire sortir l'information et bâtir une base de connaissances.

Maintenant, et ça va vous donner un indice sur mon âge, les protestations contre la guerre au Vietnam ont commencé par de grands cours magistraux d'information, genre « voici une carte, et voici où se trouve le Vietnam. » Il faut apprendre les enjeux. Les gens sont désarmés. C'est-à-dire que les gens savent qu'ils se font avoir, mais ils ne savent pas exactement comment.