Retour de la droite en Amérique latine

2008/08/25 | Par André Maltais

Le 20 avril dernier, l’ex-évêque Fernando Lugo est élu président du Paraguay. Son administration vient alors grossir les rangs d’une liste impressionnante de « gouvernements de gauche » démocratiquement élus en Amérique latine.

Cette liste comprend les gouvernements du Vénézuela (Hugo Chavez), de la Bolivie (Evo Morales) et de l’Équateur (Rafael Correa) mais aussi ceux du Nicaragua (Daniel Ortega), du Brésil (Inacio Lula da Silva), de l’Argentine (Cristina Fernandez), du Chili (Michelle Bachelet) et de l’Uruguay (Tabare Vasquez).

Malgré cela, dit Raul Zibechi, analyste en matière de politique internationale au quotidien uruguayen Brecha, en 2008, non seulement la droite a reconquis ses positions en Amérique latine, mais elle est carrément passée à l’offensive.

Rupture d’équilibre en Colombie

L’épicentre de ce revirement se situe en Colombie où les milliards de dollars du Plan Colombie ont vraisemblablement fini par « rompre, en faveur du gouvernement d’Alvaro Uribe, l’équilibre stratégique qui existait jusque là entre les FARC et les forces armées ».

Le 1er mars, une attaque militaire colombienne viole le territoire équatorien et y tue le numéro deux de la guérilla, Raul Reyes, principal contact et négociateur pour les FARC des émissaires français, suisses, espagnols, vénézuéliens et équatoriens venus chercher la libération d’Ingrid Bétancourt.

Non seulement le meurtre coupe l’herbe sous le pied du gouvernement Chavez, jusque là acteur principal des négociations, mais des ordinateurs appartenant soi-disant à Reyes sont saisis et, grâce à la complicité d’éléments de l’armée équatorienne, aboutissent entre les mains de l’État colombien.

Celui-ci a deux jours pour les tripatouiller et ensuite « révéler » au monde entier des liens entre la guérilla colombienne et les gouvernements vénézuélien et équatorien.

Une droite gonflée à bloc en Argentine et en Bolivie

À partir de ces événements auxquels se sont très modestement opposés les principaux « gouvernements populaires » de la région, notamment le Brésil, le Chili et l’Argentine, l’opposition de droite gonflée à bloc a pu tenir en échec les gouvernements élus de Cristina Fernandez et d’Evo Morales au cours des principaux conflits de l’été, en Argentine et en Bolivie.

En Argentine, une longue et tumultueuse « grève patronale de la campagne » parvient à faire rejeter par le Sénat un projet de loi visant à augmenter timidement l’impôt sur les revenus faramineux des propriétaires terriens exportateurs de soja.

En Bolivie, l’impasse persiste dangereusement entre les élites séparatistes des trois riches provinces de l’est et le gouvernement Morales. Malgré un référendum révocatoire gagné par le président, le 10 août dernier, la droite continue, ouvertement et en toute impunité à défier le gouvernement et à semer la haine contre son président indigène.

Base militaire américaine au Pérou

Ce n’est pas tout. Les fameux ordinateurs de Raul Reyes ayant aussi « révélé » la renaissance de la guérilla du Sentier lumineux au Pérou, son président, Alan Garcia, s’empresse de renforcer la coopération militaire avec la Colombie (au point où des observateurs latino-américains parlent maintenant d’un axe Pérou-Colombie) et veut faire adopter par son gouvernement le concept de « guerre préventive ».

Garcia a aussi rempli l’une des conditions liée au traité de libre-échange avec les États-Unis, conclu en 2007, proposant d’accueillir la base militaire états-unienne qui va remplacer celle de Manta, en Équateur, dont le président Correa ne veut plus à partir de 2009.

En Colombie, nous dit Zibechi, la stratégie du Pentagone et du Southern Command (commandement sud de l’armée états-unienne, chargé de l’Amérique latine et des Caraïbes) consiste dorénavant à faire en sorte que la guérilla survive car on en a encore besoin pour le grand projet de recolonisation de la région andine qui couvre le nord et l’ouest du Brésil.

Se servir des FARC comme outil de déstabilisation

Les plans pour les FARC sont les suivants: une fois celles-ci suffisamment affaiblies, on leur fera comprendre que « ni la paix ni la reddition ne garantit la vie des guérilleros, qu’ils devront se battre ou attendre d’être exterminés ».

« Le territoire qu’ils occupent, poursuit Zibechi, sera frappé jusqu’à ce que la guérilla se déplace vers les zones frontalières avec le Venezuela et l’Équateur, là où le Plan Colombie compte les convertir en instruments de déstabilisation ».

L’un des objectifs est de « nettoyer » la région andine pour faciliter les opérations des multinationales (mines à ciel ouvert, hydrocarbures, biodiversité, monocultures d’éthanol, etc.) qui nécessitent de s’assurer le contrôle des biens publics et le déplacement des populations locales.

« On ne parle pas, ici, ajoute Zibechi, de capitalisme normal comme celui qui a déjà conclu les pactes qui ont donné naissance à l’État providence et aux syndicats. On parle d’un modèle spéculatif-financier qui s’empare de la moindre parcelle de ressource naturelle disponible et, à la négociation, substitue la guerre ».

Un capitalisme mafieux

Ce capitalisme ressemble à la mafia comme le montrent, en Colombie, les liens étroits entre les firmes de guerre privées qui emploient près de 3000 « contracteurs » et un État paramilitaire compromis jusqu’au cou avec les narcotrafiquants.

« C’est lui (ce capitalisme de mafia), dit encore Zibechi, qui est maintenant le noyau central, le mode d’accumulation principal, de l’actuelle offensive de la droite en Amérique latine ».

Le gouvernement d’Hugo Chavez s’affaire maintenant à réduire les tensions avec le voisin colombien et cherche à entraîner l’Équateur dans sa stratégie. Chavez a compris, dit Zibechi, combien toute la région souffrirait d’une polarisation entre les gouvernements « de gauche » et les alliés sur-militarisés des États-Unis.

Un axe Colombie, Pérou, Mexique

Outre la Colombie et le Pérou, l’un de ces alliés pourrait bientôt être le Mexique puisque, le 30 juin dernier, le président George W. Bush approuvait l’Initiative de Merida, mieux connue sous l’appellation de Plan Mexique à cause de sa similitude avec le Plan Colombie.

Selon Veronica Torres Benaim, journaliste à l’Agence de presse du Mercosur, l’État mexicain recevra 1.4 milliards de dollars au cours des trois prochaines années afin de « combattre le trafic de drogues ».

Officiellement, pour les États-Unis, il s’agit de « collaborer » avec la politique de l’actuel président mexicain, Felipe Calderon, qui a déjà déployé plus de 25.000 soldats dans différents États pour combattre le crime organisé et le trafic de stupéfiants. Depuis le début de l’année, les violences provoquées par cette mesure ont déjà tué près de 1500 personnes!

Comme cela s’est passé pour le Plan Colombie, les opposants affirment que, loin d’éradiquer les maux auxquels elle est destinée, l’aide va plutôt servir en grande partie à renforcer les forces armées mexicaines.

À l’intérieur du pays, ces dernières pourront ensuite permettre à la droite de perpétuer sa mainmise sur le pouvoir tandis qu’à l’extérieur, elles auront les moyens de servir à des fins de déstabilisation.

Pour Mme Benaim, ces plans de militarisation et de « guerre de faible intensité » sont, pour les États-Unis, le cœur d’une « initiative stratégique de sécurité nationale, une espèce de Plan Marshall pour l’Amérique latine ».

Raul Zibechi, enfin, nous rappelle qu’il ne faut pas trop espérer de Barack Obama : « Les plans du Southern Command ne dépendent en rien de qui se trouve à la Maison Blanche, dit-il, mais plutôt du besoin des États-Unis de maintenir à tout prix leur hégémonie dans le monde », voire d’inverser leur déclin.

« Dans un tel contexte, seules la politique et les mobilisations populaires de masse peuvent contribuer à freiner cette nouvelle offensive venue du Nord ».