L'homme meilleur

2008/09/22 | Par Charles Danten


Saviez-vous que les nazis avaient les lois de protection animale les plus progressistes jamais écrites? L’un de leur décret du 15 février 1942, interdisait aux juifs par exemple — considérés par les nazis comme étant naturellement cruels envers les animaux — d’avoir un animal de compagnie. En outre, Hitler et son entourage croyaient que le futur de la nation était notamment dans le végétarisme; ils pensaient en effet que ce mode d’alimentation pouvait faire évoluer spirituellement l’humanité.

HIMMLER

Himmler, un ancien éleveur industriel de poulet, le chef des SS et des camps de concentration nazis, un bouddhiste reconnu, s'opposait violemment à la chasse : « Comment pouvez-vous trouver du plaisir à tirer de l'abri de votre cachette, sur un pauvre animal sans défense, en train de flâner innocemment et sans méfiance dans un pré, une clairière ou en lisière de forêt. C'est vraiment du meurtre pur et simple » dira-t-il avec colère à son médecin personnel tout en signant froidement l'arrêt de mort de centaines de milliers de gens.

HITLER

De son côté, Hitler, un aspirant végétarien notoire, avait du plaisir à voir des films sur des gens en train de se faire tuer ou battre, mais paradoxalement, était incapable de voir un animal se faire le moindrement tourmenter. Il pouvait fondre en larmes à la mort de son canari. Jeune homme, il gardait ses miettes de pain pour nourrir les oiseaux et les écureuils.

Pendant la première guerre mondiale, son premier chien Fuschsl était resté avec lui dans les tranchés pour plus d'un an et demi. Présumé volé, Hitler fut dévasté par sa perte. Par la suite, il eut toujours des chiens. Incapable d'avoir des relations normales avec ses semblables, il passait la majorité de son temps en leur compagnie. En dehors de ses chiens et de sa maîtresse Eva Brown, dans cet ordre, il prétendait n'avoir confiance en personne d'autres.

Le chien le plus connu d’Hitler fut sans contredit Blondie, son berger allemand femelle. À la chute de Berlin, elle fut retrouvée par les Russes, morte, à côté de son maître. Hitler avait donné l’ordre à son aide de camp de s’en servir comme cobaye pour tester l’efficacité des capsules de cyanure qu’il a utilisé pour se suicider.

DERRIÈRE LES APPARENCES

Mais le fait que Hitler ait fait tuer sa chienne favorite trahit la nature de ses sentiments véritables. Il aimait les animaux non en soi, mais pour les passions et les intérêts qu’ils suscitaient. Il s’en servait notamment pour fuir sa solitude et pour lustrer son image publique; il se faisait souvent photographier en compagnie de ses chiens qu'il embrassait affectueusement pour les besoins de la cause. En outre, Hitler n'était pas un vrai végétarien, étant en effet reconnu pour ses dérogations fréquentes.

Dans les faits, malgré des lois qui feraient rêver n’importe quel défenseur des animaux, les nazis n’avaient aucune intention de les faire appliquer. Derrière une façade de compassion, ils étaient aussi cruels envers les animaux qu’envers autrui.

De la vivisection, ils en faisaient comme tout le monde, poussant l’odieux à son comble en la pratiquant sur les humains qu’ils considéraient comme étant de souches inférieures. Pendant la retraite de Russie, ils ont tué des milliers de leurs chevaux d’une balle dans la tête dans ce qui est considéré comme étant le plus grand massacre de chevaux de l’histoire. Ils envoyaient leurs chiens cinglés de bombes se faire exploser dans le camp adverse.

L’ÉVOLUTION SPIRITUELLE

En d’autres mots, les nazis aimaient les animaux pour des raisons ostentatoires. Dans l’esprit du plus grand nombre, le végétarisme, la possession d’un animal de compagnie et la bonté envers les animaux, sont notoirement associés à de très grandes qualités humaines. « Celui qui est cruel envers les animaux ne peut être un homme bon », disait Schopenhauer l’un de leurs philosophes favoris.

C’est dans cet esprit, qu’il faut interpréter la zoophilie apparente des nazis — prise dans le sens qu’elle possédait au 19 e siècle : « amour et protection des animaux ». Comme tout le monde, ils « aimaient » les animaux non seulement pour se faire la vie plus belle, mais pour se plier à des impératifs spirituels hautement méritoires dans notre culture (voir à ce sujet Fausses allégations de la zoothérapie (IV) ).

LES MARCHANDS ET LES POLITICIENS

Cette stratégie est fréquemment employée par les marchands ou les politiciens par exemple pour attendrir le consommateur ou l’électeur. « Faites-moi confiance, vous voyez bien, j’aime les animaux! », nous disent-ils implicitement en s'affichant avec un animal, voire un enfant.

MES CLIENTS

J'ai eu un client qui faisait exactement la même chose à sa façon bien à lui. Lui aussi prétendait aimer son chat autant sinon plus que ses propres enfants. Dès notre premier contact, dans des termes à peine voilés, il m'a intimé de ne surtout pas faire de mal à son enfant qu’il avait sauvé d’une de ces horribles usines à chats.

Au début, mon client réussissait à m'intimider quelque peu par ses commentaires désobligeants, son ton impérieux, ses sarcasmes et son ironie, mais, à force de l'écouter tout au long de mon examen, j’ai fini par comprendre qu'il n'était pas vraiment méchant, qu'il cherchait surtout à se mettre en valeur en se servant de moi et de son chat.

Le fait d'insinuer que je puisse faire mal à son animal, moi, un vétérinaire, symbole notoire de compassion envers les animaux, était à ses yeux doublement efficace. Apparemment, il n'en avait aucune conscience. Et, à tort ou à raison, je n'ai pas osé le contredire le sentant trop fragile pour amortir la chute soudaine de son amour-propre.

L’AUTEUR DE CETTE CHRONIQUE

J'ai souvent décelé la même stratégie inconsciente chez mes clients qui s'acharnaient à faire soigner leurs animaux vieux et chroniquement malades. Les plus pauvres s'endettaient parfois sans commune mesure uniquement pour être à la hauteur de leurs illusions.

En général, après un moratoire plus ou moins long, ils chutaient à coup sûr dans l'euthanasie de l'animal. Lorsqu'ils réglaient la facture dans les pleurs, les effusions et les paroles pieuses, je voyais dans leurs yeux, sans exceptions, la même petite lueur de fierté.

Grâce à la valeur symbolique de ma fonction, j'étais complice malgré moi de cet amour ostentatoire d’une grande banalité. Je clôturais cette entente tacite par une poignée de main et quelques paroles machinales, toujours les mêmes : « Vous avez fait tout ce qui est humainement possible dans les circonstances, vous pouvez être fier. »

Ils me répondaient invariablement: « Vous savez, quand on aime, on ne compte pas. » Parfois, ils ajoutaient: « il faut vraiment aimer les animaux, n’est-ce pas, pour dépenser autant d'argent sur eux. »

J'approuvais d'un hochement de tête juste assez convaincant puis je retournais à mon travail sans tarder, dégoûté, je l’avoue, d’avoir à jouer cette comédie pour gagner ma vie.

LES PROTECTEURS DES ANIMAUX ET LES VÉGÉTARIENS

Dans un autre registre, j'ai en tête un débat d'une rare violence. Des chasseurs, des bouchers et de simples amateurs de viande étaient rassemblés sur un plateau de télévision pour croiser le fer avec des adeptes du végétarisme, pacifistes convaincus, et militants pour le droit des animaux.

Chacun devait d'abord exposé son point de vue puis répondre aux objections de la partie adverse. Au début, les végétariens pacifistes faisaient belle figure. Avec un calme digne de leur réputation, ils marquaient des points. J'étais vraiment impressionné.

Puis, dès la période de questions, tout a basculé. Les échanges ont commencé à se détériorer, la belle prestance à s'envoler. Paradoxalement, et à mon grand désarroi, c'était les pacifistes qui réagissaient avec le plus de haine et de violence. La chute fut vertigineuse. Acculés dans leurs derniers retranchements, toutes dents et griffes sorties, ils se défendaient bec et ongles comme des bêtes enragées, allant jusqu'à menacer de mort leurs adversaires ravis de cette perte de contenance qui s'est soldé pour eux en victoire facile.

Selon toute vraisemblance, les actions lumineuses de ces agents sociaux servaient à cacher une très grande frustration personnelle, une faille quelconque de la personnalité, une misanthropie viscérale qui trouvait une soupape à travers le végétarisme et la défense de ces pauvres animaux, encore victimes malgré eux de la misérable condition humaine.

Dans ce cas comme dans les autres, la violence avait trouvé refuge dans la non-violence, l’égoïsme et la haine de soi dans la compassion et l’amour. Quoi de plus diabolique que ça : Hitler, l’auteur de ce texte, les commerçants et les politiciens, mes clients et les protecteurs des animaux, les adeptes du végétarisme, jouaient tous à l’Homme meilleur.

Manifestement, c’est la conscience d’être irrémédiablement souillé dans son être qui fait le plus souffrir l’Homme domestique. Dans les mots de Pascal, « il veut être grand et il se voit petit ; il veut être heureux, et il se voit misérable ; il veut être parfait, et il se voit plein d’imperfections ; il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu’il soit possible d’imaginer ; car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts. »

Pour ceux qui voudraient approfondir la question :

Bernardina, Sergio Dalla, L’éloquence des bêtes, Métaillé, 2006 ;

Boltanski Luc, La souffrance à distance : morale humanitaire, médias et politique, Métaillé, 1993 ;

Ferry Luc, Le Nouvel Ordre Écologique : L’arbre, l’animal et l’Homme, Grasset, 1992 ;

Greenberg Jeff et al, « Why Do People Need Self-esteem? Converging Evidence That Self-Esteem serves an Anxiety-Buffering Fonction »; Journal of personality and social psychology, Dec 1992 ; Vol.63, Iss.6; pp.913 ;

Hoffer Eric, The true believer: Thoughts on the nature of mass movements, Perennial Classics,
1952 ;

Pascal Blaise, Pensées, Édition Michel Le Guern, Folio Classique, Gallimard, 1977, p.499 ;

Reboul Olivier, Langage et Idéologies, PUF, 1983 ;

Sax Boria, Animals in the third Reich: Pets, scapegoats and the holocaust, Continuum, 2000 ;

Vilmer, Jean Baptiste Jeangène, Éthique animale, PUF, 2008 ;

West Patrick, Conspicuous Compassion: Why sometimes it really is cruel to be kind, Civitas, 2004, p.VII and 27.