Les pitons de Wal-Mart

2008/09/25 | Par Michel Rioux

Qui se souvient de l’origine des banques à pitons ? Au Saguenay en tout cas, on utilisait cette expression pour signifier à quelqu’un que les ressources n’étaient pas inépuisables et que les moyens financiers étaient limités. Dire à une personne qu’on n’est pas une « banque à pitons », c’est lui faire comprendre que de l’argent, ça ne s’imprime pas et ça ne pousse pas dans les arbres.

Mais les banques à pitons ont une histoire. Une histoire qui rappelle douloureusement l’état d’exploitation et de domination dans laquelle des compagnies étrangères tenaient des milliers d’ouvriers canadiens-français jusqu’au début du 20e siècle.

Ainsi, à la Pulperie de Chicoutimi, William Price, un Anglais d’Angleterre venu exploiter sans vergogne tant les richesses naturelles du Québec que ses habitants, les ouvriers étaient payés avec des pitons. Des pitons qu’on appelait aussi des tokens. De là aussi l’expression populaire : Ça vaut pas une token ! Prononcer toquène…

Token, c’est le mot anglais qu’on utilisait pour désigner un piton.

C’est avec des pitons qu’on payait les ouvriers à cette usine de pulpe de Chicoutimi. Et où ces pitons de Price pouvaient-ils être échangés ? Dans des magasins dont William Price était propriétaire ! Doublement payant pour un boss. Mais pas pour l’ouvrier qui ne voyait pas l’heure où il pourrait, comme un grand garçon, dépenser à sa guise des dollars du Dominion, comme on disait dans le temps.

Ce n’est que lorsque J.A. Dubuc, un bon patron catholique du coin, est devenu propriétaire de la pulperie que, sous les pressions de Mgr Eugène Lapointe, qui tentait d’implanter des syndicats dans la région, les ouvriers ont commencé à être payés en argent. Ça se passait en 1908.

Les pêcheurs de morue en Gaspésie ont vécu le même type d’exploitation avec les compagnies mises en place par des capitalistes de l’île de Jersey, les Robin en particulier.

Les Robin fixaient unilatéralement les prix payés aux pêcheurs. Et les pitons qui tenaient lieu de salaire ne pouvaient être échangés ailleurs que dans les magasins propriétés des Robin. À Rivière au Renard, à Petit-Cap, à Saint-Maurice-de-l’Échouerie, à l’Anse-à-Valleau, les pêcheurs n’ont quasiment pas vu la couleur d’un vrai salaire jusqu’en 1909 alors qu’ils se sont révoltés et ont fini par créer des coopératives qui leur ont permis de se tirer des griffes des Robin et des Le Boutillier.

Dans les années 1940, à la scierie de Marsoui, en Gaspésie, les ouvriers employés par Alphonse Couturier, ci-devant député de l’Union nationale, se voyaient eux aussi remettre des tokens en guise de salaire.

Alors c’est quoi, le lien avec Wal-Mart ?

Le 4 septembre, Wal-Mart a été condamné au Mexique pour avoir versé une partie du salaire de ses employés sous la forme de bons d’achat utilisables seulement dans les supermarchés de la chaîne américaine. Les juges mexicains ont assimilé cette pratique à celle utilisée dans les « tiendas de raya » des haciendas, qui étaient des magasins appartenant au propriétaire de l’exploitation et où les journaliers étaient contraints d’effectuer leurs achats. La constitution du Mexique devait mettre fin à ces pratiques en 1917.

Que faut-il en penser ?

D’abord que Wal-Mart est pour le moins attardé dans le siècle. Reste à déterminer lequel.

Ensuite que les Robin, les Price, les Couturier, les Walton et tous les autres capitalistes, petits ou grands, ne sont jamais à court d’imagination pour mieux fourrer leurs employés.

Cet article paraît dans l'édition du mois d'octobre du journal Le Couac