Crise financière mondiale

2008/10/30 | Par Jacques Beaumier

La présente crise financière mondiale n’entraînerait pas seulement la chute des valeurs boursières mais aussi celle des dogmes de l’idéologie néolibérale. C’est du moins l’avis de plusieurs économistes et experts qui soutiennent que cette approche, à l’origine des politiques économiques des pays occidentaux depuis bientôt trente ans, serait mortellement atteinte.

Rappelons les faits. Au cœur de la Grande Dépression, le président Franklin D. Roosevelt fait adopter un programme de réformes appelé New Deal qui permettra au pays de sortir de la crise. L’ensemble des pays occidentaux adopteront des mesures semblables qui donneront naissance à ce qui fut appelé l’État providence. L’expression venait des tenants du libre marché à tout prix qui se moquaient ainsi en affirmant que l’État intervenait comme la « divine Providence » pour secourir les exclus de l’activité économique.

Toutefois, les élections de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, en 1979, et de Ronald Reagan aux États-Unis en 1980, marqueront la fin de L’État providence en détruisant une bonne partie des mesures adoptées par le New Deal. Au Québec, cette période se terminera en 1981, lorsque le premier ministre de l’époque René Lévesque, déclara que le temps de la prospérité tout azimut était révolu et qu’il faudrait désormais se serrer la ceinture. C’est à partir de ce moment qu’apparaît l’expression « dégraisser l’État ».

On connaît la suite. Ce fut les compressions salariales, l’austérité budgétaire, le développement des statuts précaires, l’atteinte du déficit zéro, la réduction de la taille de l’État, la réingénierie, la réduction des effectifs par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la sous-traitance, les privatisations, la tarification, etc. Bref, aux Trente glorieuses succéderont les Trente rigoureuses. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la fin de cette période de démantèlement de l’État pourrait nous annoncer des jours meilleurs.

Les chroniqueurs et hommes d’État qui, il y a quelques mois à peine, ne juraient que par le désengagement de l’État, la lutte aux déficits et les baisses d’impôt, ont retourné leur discours en moins de temps qu’il ne prend pour retourner un matelas. C’est que plus la crise financière prenait de l’ampleur, plus leurs positions devenaient inconfortables, d’où le besoin d’appliquer la technique du revirement de matelas.

Les chroniqueurs de La Presse ont remporté la palme pour leur rapidité à le faire en commençant par le grand expert des pages économiques qui vulgarisait les théories néolibérales depuis trente ans : Claude Picher. Dans sa chronique du 26 septembre 2008, il écrit : « Aucune institution, voire aucun groupement d’institutions financières, n’a les reins assez solides pour colmater les fuites, réparer les dégâts, et relancer le système. Seule une intervention massive du gouvernement peut stopper la crise, rassurer les petits épargnants et les investisseurs. » Bienvenue l’État !

En deuxième position, son collègue Alain Dubuc, qui nous explique dans sa chronique du 10 octobre 2008 qu’il peut y avoir des bons déficits. Il écrit : « Au Québec, ailleurs dans le monde, ou encore au Canada, […], on s’entend sur l’importance d’une action gouvernementale pour contrer les effets de la crise mondiale. […] c’est qu’un des outils majeurs dont disposent les gouvernements en période de ralentissement ou de récession est le recours aux déficits pour relancer l’économie. […] c’est l’a b c de la science économique, pour qui la création d’un déficit est un outil conjoncturel valide. Cela s’inscrit dans la théorie keynésienne, développée à la lumière de la grande crise. »
Il conclut en disant que l’option de pouvoir créer un déficit, c’est comme avoir un as dans la manche, «à condition qu’on ose briser le tabou. » Tabou créé par eux-mêmes au cours des dernières décennies.

Enfin, en troisième position, avec moins de mérite car il n’a plus rien à perdre, le grand responsable politique de ce désastre financier qui déclarait en septembre dernier : « L’intervention des pouvoirs publics sur les marchés financiers n’est pas seulement justifiée, elle est essentielle pour éviter de graves dommages à notre économie, et nous devons agir maintenant pour protéger la santé économique de notre pays. » L’auteur : George W. Bush, pour qui la seule bonne intervention publique était militaire.

Une mention pour Sarkozy, toujours prêt à revirer un matelas pour parvenir à ses fins, qui a lui aussi tenu à dire son mot : « Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir. Il faut un nouvel équilibre entre l’État et le marché. »

Serions-nous vraiment en train d’assister à la fin du néolibéralisme ? Philippe Frémeaux, directeur de la rédaction de la revue Alternatives économiques, en doute : « Si demain l’économie se stabilise et que les actifs pourris reprennent de la valeur, le risque est fort d’un retour au business as usual. Et que les bonnes résolutions prises au plus fort de la tempête soient oubliées, comme l’ivrogne qui se promet de ne plus boire lorsque sa gueule de bois est à son paroxysme et qui renoue avec sa bouteille le soir venu. » Nous avons besoin, conclut-il « de renouer avec une vision de l’économie qui laisse moins de place à la cupidité, aux inégalités et au mépris des conséquences collectives des comportements individuels. » Bref, il va encore falloir que la démocratie s’en mêle.