Le programme de Charest

2008/11/13 | Par Robin Philpot

Jean Charest claironne que, pour faire face à la crise économique qui s’annonce, il ne faut pas avoir trois paires de mains sur le volant, mais seulement une paire. Or la paire de mains que Jean Charest veut mettre sur le volant ne sont pas les siennes, mais celles de Paul Desmarais.

Depuis fin octobre seulement, Jean Charest a montré deux fois ce que veut dire l’État Desmarais et prouvé que son objectif est de céder encore plus de pouvoir à cet État dans l’État. À la veille du déclenchement de l’élection, Jean Charest et son ministre Raymond Bachand ont fait une petite valse au sujet du voyage prévu en Chine au début de novembre.

Ils ont annoncé à regret qu’ils devaient annuler ce voyage. Comme un tour de magie, de leur chapeau est sorti un homme d’État bénévole qui les remplacera. L’ineffable Pierre-Marc Johnson a convenu de représenter le Québec en précisant qu’il le faisait à titre bénévole. Tout le monde devait applaudir devant cette abnégation.

Ce que personne ne semble avoir relevé, c’est que le voyage en Chine avec les premiers ministres provinciaux et quelques ministres a été organisé par le Canada-China Business Council, dont le président honoraire s’appelle André Desmarais et le président s’appelle Peter Kruyt, vice-président de Power Corporation. Le site Internet du Canada-China Business Council, où les gens devaient s’inscrire, est géré par Power Corporation.

En fait, la petite valse de Jean Charest, de Raymond Bachand et de Pierre-Marc Johnson ne servait qu’à nous empêcher de voir l’État Desmarais à l’œuvre. Leur présence dans ce genre de voyage ne relevait que de la figuration, servant à rehausser la réputation des dirigeants de Power.

Paul Desmarais père l’a dit lui-même dans l’interview non censurée accordée à l’hebdomadaire français Le Point dont nous avons obtenu copie : son fils André Desmarais est reçu en Chine « comme un chef d’État » rien de moins.

Quant à Pierre-Marc Johnson, son « bénévolat » est une farce de mauvais goût : s’il ne reçoit pas d’honoraires pour ce voyage, ils sait très bien que l’État Desmarais trouve moyen de récompenser les bonnes gens comme lui.

Également à la veille des élections, Jean Charest a créé « une équipe de vigilance » pour surveiller l’évolution des marchés financiers. Cette équipe, présidée par la ministre Monique Jérôme-Forget, doit l’aider à bien naviguer dans les eaux troubles d’un marché financier en déroute.

Au sein de l’équipe, il y a notamment des représentants de la Banque nationale, du Mouvement Desjardins, de la Caisse de dépôt, de la SGF, d’Investissement Québec, de Fondaction de la CSN. Ces nominations se justifient par l’importance de l’activité économique de chacun au Québec.

Mais là on voit que Jean Charest a également nommée Paul Desmarais Jr. à ce comité de vigilance. Contrairement à tous les autres membres, Paul Desmarais Jr. représente une entreprise qui n’est presque plus présente au Québec depuis 1989.

Hormis les journaux de Gesca, le siège social et les domaines de luxe, l’activité économique de Power Corporation se passe partout SAUF au Québec.

En fait sa présence dans le comité de vigilance est comme celui du loup dans la bergerie. Power Corporation, qui souffre considérablement de la crise financière, a intérêt à voir une accélération de la privatisation de la santé en raison de l’importance de ses intérêts dans les assurances (Great West et autres), alors que le Québec doit renforcer son réseau de santé publique.

Power a aussi intérêt à accélérer le développement des sables bitumineux dans l’Ouest canadien et l’accroissement de l’importation du gaz naturel liquéfié (via Rabaska) en raison de l’importance de son investissement dans l’entreprise gazière GDF Suez, alors que le Québec a intérêt à réduire sa dépendance sur les combustibles fossiles en planchant sur l’hydroélectricité et l’éolien.

De plus, au cas où Jean Charest ne le savait pas, ce même Paul Desmarais Jr. était membre du Conseil consultatif international de Merrill Lynch au moment même où cette entreprise a été sauvée de la faillite in extremis le 15 septembre par la Bank of America.

La vigilance que le représentant de Power est censée apporter au comité de Jean Charest n’a été d’aucun secours pour la grande banque d’affaires Merrill Lynch.

La crise actuelle démontre que l’heure est venue où le Québec doit se doter d’un État plus fort et, en même temps, se prémunir contre l’influence néfaste et occulte d’une entreprise surdimensionnée dont les intérêts sont en contradiction avec les siens. Peut-être ça serait le mandat à donner à un tel comité de vigilance.

Robin Philpot vient de publier Derrière l’État Desmarais : Power (Les Intouchables 2008).