Payer l’impôt, dites-vous ?

2008/12/09 | Par Michel Rioux

La question n’est pas ici de suggérer d’aller voir son comptable, ou le beau-frère qui en tient lieu, pour lui dire : « Écoute ! Tu t’organises pour que je paye le plus d’impôt possible. C’est clair ? »

Parce que, bien sûr, en toutes choses il faut savoir raison garder, le mieux étant paraît-il l’ennemi du bien.

Sans aller jusqu’à ces excès, il ne me semble pas inutile de revenir sur un sujet que d’aucuns, se croyant drôles, prennent à tout le moins à la légère. Je veux parler de l’impôt et de ces tristes amuseurs publics, genre Pierre Légaré, qui lui se targuait devant 1 500 000 personnes scotchées à Tout le monde en parle de n’en point payer, ajoutant avec le front de beu qui le caractérise qu’il se privait volontairement de son droit de vote et que le travail au noir ne le rebutait pas.

N’ayant pas, comme d’autres, fait carrière dans le pipi-caca, mais ayant toujours posé au moraliste pourfendant par le rire les mœurs du temps, ce dont il ne s’est jamais privé, Légaré assume de ce fait une responsabilité plus grande. Et quand, dans la même envolée, on apprend que le monsieur a été traité pour un cancer malin dont il s’est heureusement remis, on se dit que s’il ne paie pas ses impôts, ce sont les miens et les vôtres qui lui ont assuré sa rédemption. Ça s’appelle vivre, ou plutôt survivre, aux crochets des autres.

Un médecin de mes connaissances m’assure qu’il lui en aurait coûté pas moins de 100 000 $ au Légaré s’il avait été traité aux USA, pays où plus que partout ailleurs fleurissent les idées qu’il caresse, à savoir l’individualisme abject, la performance individuelle au détriment de l’autre, la réussite à n’importe quel prix, le mépris de la misère du voisin. Ces travers qui ne sont en somme que la conséquence d’une pratique qui a un autre nom : le capitalisme.

Mais ce n’est pas sous ce drapeau que ces smarts disent se ranger. Ce serait par trop gênant. Ils posent plutôt à l’anarchisme, croyant de cette manière échapper avec une certaine gloriole et à l’aide d’une steppette de côté aux responsabilités collectives qui sont nôtres dès lors qu’on prend conscience de notre fraternité humaine et des responsabilités qu’elle entraîne en termes de solidarité.

Bien sûr, on peut arguer que l’impôt n’est pas justement réparti, que les pauvres payent la même TVQ et TPS que les riches, que ces riches ont mille moyens d’y échapper, à l’exemple de tous les Paul Martin de ce monde, et quoi encore. D’accord ! Mais sur le principe que tout le monde se doit de contribuer à hauteur de ses moyens, il faut se montrer intraitable.

Il y a quelques années, ce même médecin, que j’avais trouvé un peu pâle ce jour-là, m’avait dit qu’il venait de faire un chèque de 100 000 $ au ministère du Revenu. Pour lui remonter le moral, je lui avais rappelé que contrairement à 43 % de la population, il avait les moyens de payer de l’impôt sur le revenu*, qu’avec les lois fiscales en vigueur, il devait lui en rester encore davantage dans les poches et que la chose vue à partir de ma propre situation, ce serait une grande amélioration dans mes finances personnelles s’il devait m’arriver d’en payer autant…

Il y a deux ans, plusieurs milliers de Français ont signé un appel : Pourquoi nous consentons à l’impôt. On pouvait y lire ceci, que j’endosse : « C’est pourquoi nous consentons à l’impôt et récusons des baisses de la fiscalité dont la contrepartie serait l’insuffisance des moyens donnés à la protection des plus pauvres, à l’éducation, à la recherche, à la santé, au logement ou encore à l’environnement. »

Le triste spectacle des inégalités érigées en système qui font carburer l’économie étasunienne, pays dégénéré où faire l’éloge de l’impôt pourrait conduire dans certaines régions à être lynché ou pendu haut et court, convainc au contraire de la nécessaire solidarité sociale, si tant est que ce n’est pas à la loi de la jungle qu’on en appelle.

* Si elle échappe à l’impôt sur le revenu, cette couche de nos concitoyens moins fortunés verse par contre, avec toutes les autres taxes régressives dont elle doit s’acquitter, la somme de trois milliards $ par année à l’État.

Cet article paraît dans l'édition du mois de décembre du journal Le Couac.