Déficit à Québec et à Ottawa

2009/01/13 | Par Pierre Dubuc

On veut vous refaire le coup du déficit zéro à l’exposant 10. C’est l’essentiel du message que livrait Michel Chossudovsky à son auditoire lors d’une conférence prononcée, le 12 janvier dernier, dans les locaux du Syndicat de l’enseignement de Champlain. C’est à l’invitation de la Trovep de la Montérégie que le professeur d’économie de l’Université d’Ottawa a disséqué les enjeux de la crise financière.

M. Chossudovsky a raconté comment, dès le lendemain du référendum de 1995, le premier ministre Lucien Bouchard avait effectué une visite secrète à New York pour rencontrer les financiers de Wall Street qui menaçaient d’abaisser la cote du Québec sur les marchés financiers si le gouvernement ne réduisait pas son déficit budgétaire.

Dans une entrevue au journal Les Affaires du 5 novembre 2005, M. Bouchard a relaté les péripéties de ce voyage effectué dans le plus grand secret et sa soumission aux diktats de Wall Street.

Les difficultés budgétaires du Québec découlaient des mesures prises par le gouvernement Chrétien-Martin à Ottawa pour réduire le déficit fédéral en diminuant de façon drastique les transferts aux provinces, a rappelé M. Chossudovsky en critiquant les dirigeants des grandes centrales syndicales qui avaient endossé l’objectif du déficit zéro et, par le fait même, les conditions imposées par Wall Street.

« Présentée comme une solution à la crise des finances publiques, la politique du déficit zéro en a plutôt été la cause », de conclure le conférencier en énumérant la série de compressions budgétaires adoptées par le gouvernement, avec l’aval de ses partenaires sociaux, dans les domaines de la santé, de l’éducation et des autres missions de l’État.

Cadeau de 75 milliards aux banques

Michel Chossudovsky voit se poindre à l’horizon un scénario similaire avec les mesures proposées ou déjà adoptées par le gouvernement fédéral pour faire face à la crise économique. Il cible, en particulier, l’octroi en catimini par le gouvernement fédéral, à la veille de la dernière élection fédérale, d’une somme de 75 milliards pour venir en aide aux banques canadiennes par le rachat de prêts hypothécaires.

« Personne n’a posé de questions à ce sujet. Ni les partis d’opposition, ni les journalistes. Pourtant, 75 milliards, ce n’est pas rien. La totalité de la dette du gouvernement fédéral équivaut à 500 milliards de dollars. Alors, si les 75 milliards proviennent du trésor public, c’est important! »

Il a également décrit le mouvement circulaire d’un gouvernement qui s’endette auprès des banques pour venir en aide… aux banques !

Selon lui, le gouvernement fédéral va prendre prétexte de l’augmentation de la dette pour réduire à nouveau ses transferts aux provinces et le Québec sera forcé de procéder à des compressions dans les programmes sociaux. « Des pressions vont également s’exercer pour privatiser les entreprises d’État. Il ne faudrait pas se surprendre que les milieux financiers en viennent à exiger la privatisation d’Hydro-Québec ».

Toujours plus de concentration du pouvoir économique

Dans son exposé, M. Chossudovsky a tracé un historique de la crise financière qu’il fait remonter à la mise au rancart des accords de Bretton-Woods lors de la crise pétrolière des années 1970 et aux politiques néolibérales des gouvernements Thatcher en Angleterre, Reagan aux États-Unis, bientôt suivis au Canada par le gouvernement Mulroney.

La crise s’est propagée aux pays du Tiers-Monde lors de la spirale de la dette au cours des années 1980 avec les programmes d’ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale. « En échange de prêts du FMI, les pays devaient procéder à des privatisations et au démantèlement des secteurs publics », d’expliquer le professeur Chossudovsky en faisant un parallèle avec ce qui est survenu plus tard au Québec. « La politique du déficit zéro au Québec était en quelque sorte un programme d’ajustement structurel ».

En 1997, la crise a touché les pays asiatiques. « Pour défendre leurs monnaies attaquées par les spéculateurs sur les marchés financiers, les banques centrales de ces pays ont liquidé leurs réserves en dollars. »

« À chaque étape de cette crise, nous avons assisté à un même scénario de concentration accrue de la richesse aux mains d’une poignée d’institutions financières. On a fait main basse sur les PME, on a procédé à des fusions, à des restructurations industrielles, concentrant toujours plus de richesses en quelques mains. »

C’est à la poursuite de ce phénomène, mais à une échelle encore jamais vue, que nous assistons aujourd’hui. « Aux États-Unis, la JP Morgan Chase et la Bank of America sont en train de dépecer les institutions concurrentes. Le financier Warren Buffet veut mettre la main sur GM par l’entremise d’une de ses filiales suisses spécialisées dans l’énergie solaire », nous donne en exemple Michel Chossudovsky.

Obama et le personnel politique de Clinton

Le professeur ne croit pas que le nouveau président Barack Obama va réussir à changer le cours des choses. « Tous ses principaux conseillers faisaient partie de l’Administration Clinton et sont les architectes de la débâcle actuelle », souligne-t-il en rappelant leur rôle dans l’adoption de la Financial Services Modernization Act (FSMA ou loi de modernisation des services financiers) qui rendait caduque la réglementation adoptée dans le cadre du New Deal du président Franklin Delano Roosevelt.

« Le Glass-Steagall Act de 1933 avait pour objectif de séparer les opérations bancaires des opérations spéculatives des maisons de courtage. En 1999, on leur a permis de s’imbriquer à nouveau pour créer un soi-disant supermarché financier. On a vu la création des “hedge funds” en dehors de toute réglementation. »

Par le crédit, les banques contrôlent aujourd’hui les entreprises. « Elles le font sans même en être formellement les propriétaires », lance-t-il. Mais elles profitent tout de même de la crise pour les acquérir à vil prix.

Selon Michel Chossudovsky, les conglomérats financiers dominent le monde avec les compagnies pétrolières, les sociétés de biotechnologies et les industries d’armements. C’est pour cela, nous dit-il, que leur action ne s’explique que dans le cadre stratégique de domination du monde et, en particulier, des ressources pétrolières du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. D’où la présence militaire des États-Unis et de ses alliés en Irak, en Afghanistan et le soutien de ces pays, dont le Canada, à Israël.

Que faire? D'abord, prendre conscience de l’arnaque en cours. Puis, exiger de partis politiques d’opposition à Ottawa, comme le NPD et le Bloc québécois, qu’ils demandent des comptes au gouvernement Harper sur l’utilisation des fonds publics.

Enfin, à court terme, on devrait revendiquer qu’Ottawa réglemente les taux d’intérêt sur les cartes de crédit – les réduire à 3 ou 4 % – et faciliter le crédit aux PME.

À plus long terme, selon le professeur Chossudovsky, le système bancaire devrait être démocratisé.

On peut lire Michel Chossudovsky sur son site Internet www.mondialisation.ca ou encore dans les pages de l’aut’journal.