Mettre la langue à l'abri de la partisanerie

2009/02/22 | Par Charles Castonguay

C’est reparti, mon kiki ! Appel de candidatures pour le poste de directeur de la recherche à l’Office québécois de la langue française. Parmi les attributions de l’heureux élu : coordonner le suivi de la situation linguistique, assurer la qualité scientifique des recherches, participer à leur diffusion.

Bonne chance! Avec une France Boucher à la barre, le résultat sera un bilan aussi nul que celui de mars dernier.

Guy Rocher avait prévu un semblable fiasco dès le dépôt en 2002 du projet de loi 104 de la ministre Diane Lemieux, qui créait l’OQLF d’aujourd’hui. Un organisme hybride, juge et partie, c’est-à-dire chargé à la fois d’appliquer la loi 101 et de juger de son application, en s’appuyant peut-être sur le Comité de suivi de la situation linguistique dont j’ai fait partie pendant cinq longues années.

M. Rocher estimait que ce comité n’aurait pas l’indépendance nécessaire pour remplir sa fonction et que la loi 104 politiserait davantage tant l’application de la loi 101 que la recherche sur la situation linguistique. « L’œil et le bras du ministre se trouveront […] en permanence au cœur du nouvel office », écrivait-il dans Le Devoir du 15 mai 2002, en déplorant que l’on n’ait pas retenu l’idée de « dépolitiser la direction de l’Office de la langue française en faisant nommer par l’Assemblée nationale [plutôt que par le parti au pouvoir] la personne chargée de diriger cet organisme ».

Plusieurs mémoires présentés en 2001 à la Commission Larose proposaient d’assainir de la sorte la nomination du président de l’OQLF ou du Conseil de la langue française (CLF).

Larose et Lemieux n’étaient cependant pas les premiers à faire la sourde oreille à cette revendication. En 1996, déjà, la ministre Louise Beaudoin avait déposé le projet de loi 40 modifiant la loi 101.

Dans le cadre de la consultation tenue à ce sujet, j’ai présenté un mémoire dans lequel je critiquais et le portrait de la situation qu’avaient brossé le Conseil et l’Office, et les mesures qui s’en inspiraient.

J’y écrivais : « Que l’appareil gouvernemental accouche d’un bilan de la situation à ce point incompétent, léger et partial entache péniblement sa crédibilité. Cela fait valoir l’urgence de redéfinir, par exemple, le Conseil de la langue française de façon à le mettre à l’abri des nominations partisanes. » Mme Beaudoin n’en a rien fait.

Le gouvernement du Parti québécois venait de nommer Mme Nadia Assimopoulos, vice-présidente sortante du parti, à la présidence du CLF en remplacement de M. Pierre-Étienne Laporte qui, lui, était passé de son poste de président du CLF à celui de député libéral d’Outremont. Ôte-toi que je m’y mette !

Pierre Georgeault, directeur de la recherche au Conseil, m’avait ensuite laissé savoir que Mme Assimopoulos n’aimait pas que l’on critique le CLF en public. Mot d’ordre que je me suis empressé de ne pas suivre.

Lorsqu’on m’a invité plusieurs années plus tard, soit en 2003, à siéger au Comité de suivi à l’OQLF, j’ai demandé au directeur de la recherche, Pierre Bouchard, s’il voulait vraiment de moi, vu mon franc parler.

Durant les cinq années suivantes, nous avons tous, les quatre membres externes du comité, respecté notre « devoir de réserve ». La tension n’a pas tardé cependant à se faire sentir.

L’incompatibilité que Rocher appréhendait entre les fonctions application de la loi et jugement quant à son application a atteint un point tournant quand l’OQLF a réagi à une série d’articles dans le Journal de Montréal faisant état d’un recul du français dans les commerces du centre-ville.

Son communiqué du 20 juin 2006 comprenait une description faussée de l’état des lieux qui m’a conduit à écrire à mes collègues, y compris Pierre Bouchard : « Une pareille distorsion systématique de l’information sur la situation du français est regrettable, et dommageable pour la crédibilité de l’Office. Le serait-elle aussi pour la crédibilité de notre comité? »

L’écart entre nos efforts pour établir un suivi scientifique de la situation linguistique et ceux de l’Office pour rassurer quant à l’application de la loi était devenu patent.

L’Office et la ministre Christine St-Pierre ont persisté dans la négation, tandis que le Journal de Montréal enchaînait avec deux remarquables enquêtes de la journaliste Noée Murchison démontrant qu’une jeune unilingue anglaise réussissait mieux qu’une unilingue française à dénicher un emploi dans les commerces du centre-ville.

En même temps, France Boucher écartait le Comité de suivi de la préparation de son rapport. Tant pis pour la crédibilité de l’OQLF. On connaît la suite.

La tare des nominations partisanes a ainsi mené, aux six ans, à des rapports serviles et des interventions superficielles : bilan euphorisant et « bouquet de mesures » de la ministre Beaudoin en 1996; rapport Larose et loi 104 de la ministre Lemieux en 2002 et, en 2008, bilan bidon de France Boucher et love-in gouvernemental-patronal-syndical autour des mesures incitatives de la ministre St-Pierre en guise de francisation de la langue de travail.

Rocher avait donc profondément raison. Pauline Marois saisira-t-elle l’intérêt de dépolitiser enfin l’Office et le Conseil ? Un sondage réalisé au cours de la dernière campagne électorale identifiait la question linguistique comme seul domaine où les électeurs faisaient davantage confiance à Mme Marois qu’à M. Charest.

Marois n’a pourtant pas pipé mot sur la langue au débat des chefs alors que Charest s’était rendu éminemment vulnérable; il avait perdu toute crédibilité en matière de défense du français en maintenant « Mam » Boucher à la tête de l’OQLF.

Misère! En attendant encore et toujours la réforme qui s’impose, on ne peut que continuer d’accueillir d’un œil critique les informations sur la langue que distillent nos instances linguistiques actuelles.

Voyons cette fois du côté du Conseil. Devant le tollé soulevé par le non-bilan de l’OQLF en mars dernier, le président du CSLF (« s » pour supérieur, selon la loi 104), M. Conrad Ouellon, a vite proclamé que le Conseil saurait, lui, porter un jugement sur la situation et formuler les recommandations qui s’imposent.

Le 26 juin dernier, le CSLF publiait son avis, en même temps qu’une étude à l’appui signée par son chercheur principal, Paul Béland, intitulée Langue et immigration, langue de travail : éléments d’analyse.

Se fondant sur une recherche de l’OQLF que nous avons déjà commentée (l’aut’journal, no 270), Béland signale que « le français n’est pas la langue dominante des échanges interlinguistiques » des travailleurs francophones en communication avec leurs collègues, supérieurs ou subordonnés anglophones.

Il fait ensuite entrer en ligne de compte les données sur la langue des communications publiques provenant d’une enquête menée en 2006 par Statistique Canada, pour terminer son étude sur un jugement global plus éloquent encore : « En somme, la politique linguistique […] a pu créer un environnement dans lequel les immigrants d’influence latine [ou francotropes] ont été en mesure de concrétiser leur prédisposition à s’orienter vers le français tant dans le domaine privé que dans le domaine public. Elle a aussi permis aux francophones de travailler le plus souvent en français.

« Par contre, le français n’est pas la langue prédominante des communications interlinguistiques. Par ailleurs, à la lumière des données présentées, il ne semble pas que la Charte soit très contraignante, puisque chacun utilise le plus souvent la langue qui correspond à ses prédispositions : les francophones et les immigrants d’influence latine, le français; les anglophones et les immigrants d’influence autre [ou anglotropes], l’anglais. »

Néanmoins, à l’instar du bilan de boutique de l’OQLF, la synthèse de la situation que le CSLF retient dans son avis passe sous silence le fait, pourtant bien souligné par Béland, que le français n’est pas la langue commune de travail dans les grandes entreprises.

Comme l’OQLF aussi, le CSLF ne met pas non plus en évidence l’hypertrophie du cégep anglais qu’entretient le libre choix. La synthèse promise par Ouellon ne relève même pas la chute subite du poids des francophones au recensement de 2006! Pas étonnant que dans le but de relancer la francisation, l’avis du CSLF s’en tienne par la suite à ne recommander que des mesures incitatives.

Comment voulez-vous, en effet, que la majorité francophone envisage d’adopter des dispositions plus contraignantes si l’on persiste à lui dérober les raisons probantes pour ce faire? Au Conseil comme à l’Office, le jeu politique continue, hélas, d’avoir préséance sur le devoir de fournir à la population un bilan et un plan d’action adéquats.