Feux croisés autour d’une manif

2009/03/01 | Par Claude G. Charron

La manifestation du 10 janvier contre l’offensive d’Israël dans la bande de Gaza a donné lieu à des feux croisés qui nous prouvent que, ici comme ailleurs, les esprits s’échauffent quand ça chauffe au Proche-Orient... 

Les hostilités débutent avec l’envoi par le Comité Israël-Québec et le Congrès juif aux médias d’une vidéo dans lequel on voit une poignée de manifestants lancer des slogans anti-Israël. Tout va sans à-coups jusqu'au dimanche 18 janvier alors que dans La Presse, Rima Elkouri réprouve les deux organismes qui « prennent prétexte de ces dérapages pour discréditer la manifestation dans son ensemble et la qualifier de “pro-Hamas”. » 

L’accusation de terrorisme intellectuel a l’effet d’irriter vivement les deux groupes. Tout comme la conclusion d’Elkouri: « Car, faut-il le rappeler, ce n'est pas parce que l'on critique l'État d'Israël, force occupante qui bafoue en toute impunité le droit international depuis 40 ans, que l'on louange pour autant les fanatiques du Hamas et leurs actions autodestructrices. »

Sous la signature de son directeur général, paraît dans La Presse du 25 la réplique du CIQ. Luciano G. Del Negro se désole que organisme ait été assigné au banc des accusés pour « terrorisme intellectuel » et « rhétorique guerrière». « Si Madame Elkouri juge ces “écarts de conduite”  comme nous, “indignes de Montréal”, elle se méprend lorsqu’elle avance que les lacunes linguistiques des organisateurs les absolvent de toute responsabilité pour la transformation du centre-ville de Montréal en banlieue du Hamastan. »

La polémique est d’autant plus engagée que, deux jours plus tôt, dans le Journal de Montréal, Richard Martineau a lancé la première pierre sur qui il ne nomme pas, mais l’appelle avec un mépris certain : « une chroniqueuse de La Presse ». « Et si c’était une manif destinée à critiquer le Hamas et des militants qui traitent les musulmans de chiens, accuse-t-il, vous pensez que cette chroniqueuse banaliserait la situation en disant que, de toute façon, « toute manifestation du genre comporte un risque de dérapage »? Non. Elle grimperait dans les rideaux en criant au racisme. »

Dire que le même Martineau qui pourfend Elkouri pour manque d’objectivité, prenant à la légère les slogans anti-Israël proférés en arabe dans la rue, ne semble avoir aucune gêne de laisser traîner sur son blogue (1) les propos d’un certain Jean-Claude St-Yves, compris de tous parce que dans la langue de Molière, et qui lui avaient été courriellés le 5 janvier : « La solution serait, écrit Saint-Yves, d'exterminer la Bande de Gaza (sic) pour de bon afin d'avoir la paix. Israël doit y songer et il en est capable. C'est dommage pour les innocents, mais ils sont collatéraux. » 

Il est, hélas, bien difficile, pour les non-Juifs de critiquer Israël sans être taxés d’antisémitisme. Heureusement que certains Juifs se permettent de le faire, mais il est dommage que l’on ne puisse lire leur abondante prose que dans les journaux à faible tirage, comme dans le numéro de février d’Alternatives où l’on peut détecter les haut-le-cœur tant de Naomi Klein que de Judy Rebick, cette dernière témoignant que, avec huit autres femmes juives, elle a été arrêtée le 8 janvier pour avoir occupé le consulat israélien à Toronto.  

Un autre universitaire tout autant juif qu’antisioniste, Noam Chomski, vient de dénoncer la volonté d’Israël pour ses actions à Gaza. (2) Il n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il écrit que l’usage de la terreur contre les Palestiniens, des actions militaires et diplomatiques et de la propagande incessante, ont toujours fait partie de l’arsenal de l’État d’Israël afin de mettre un jour la main sur le plus de territoire possible en Palestine. Quant à l’opération « Plomb durci », c’est six mois d’avance qu’elle aurait été planifiée. Et à partir d’un plan comprenant deux volets, l’un militaire et l’autre de propagande, avec comme but ultime de réparer les erreurs de la guerre du Liban de 2006.

Abonde dans le même sens dans Le Nouvel Obs, que l’on ne peut taxer d’antisionisme, Yves  Aubin de la Messuzière. Le 4 novembre, après cinq mois de cessez-le-feu globalement respecté, témoigne-t-il, « c’est une opération israélienne contre les tunnels creusés sous la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte qui a marqué le début de la rupture de la trêve. » (3) Lors d’une visite à Gaza en juin, Messuzière avait conseillé au premier ministre Haniyeh d’assouplir la position du Hamas face aux exigences israéliennes. « La trêve a été conclue et, pendant cinq mois, les Quassam ont cessé de tomber sur les localités israéliennes, mais les Palestiniens de Gaza n’ont constaté aucun allégement du blocus, aucune ouverture permanente des points de passage, comme il l’avait réclamé. »

Mais devant un Israël qui, avant même que quelques Quassam atteignent Sderot, a fermé tous les points de passage dans la bande de Gaza réduisant considérablement, et parfois refusant, le passage de vivres et de médicaments, ne pouvait-on pas s’attendre à ce que certains en viennent à proférer de gros mots lors d’une manif à Montréal? Dans un contexte d’une blitzkriek causant la mort de treize cents Palestiniens contre treize Israéliens, les expressions « chiens de juifs » et « détruisons Tel-Aviv » entendues en arabe méritent-elles que les organisateurs de la manif battent leur coulpe?

Si on peut faire un reproche à Rima Elkouri, c’est d’avoir catalogué le Hamas comme étant uniquement un repère de « fanatiques », s’alignant ainsi avec la position de nombreux pays développés, dont le Canada, qui se sont mis à la traîne des Etats-Unis en plaçant le Hamas sur leur « Liste des groupes terroristes ». Messuzière est contre cette approche. À son avis, elle ne peut que radicaliser davantage les Palestiniens qui se considèrent comme étant tous des « résistants » devant « l’envahisseur israélien ». 

Martineau devrait songer à cogner à la porte des Asper afin d’arrondir ses fins de mois, lui qui ne semble pas avoir les moyens de respecter une ligne de piquetage, qu’elle soit physique ou virtuelle. On risque de lui ouvrir tellement l’idéologie qu’il véhicule correspond à celle de la  chaîne CanWest.


Photo: S. St-Jean