Quel marketing pour les causes sociales?

2009/03/16 | Par Jacques Fournier

L’auteur est organisateur communautaire retraité

Le 12 mars se tenait à l’UQAM une soirée sous le thème « Notre société de consommation, quel avenir? » La rencontre était organisée par Option consommateurs et réunissait quatre conférenciers, dont Christian Désîlets, professeur en publicité sociétale de l’Université Laval et ancien D.G. de Cossette communications marketing. Il a tenu des propos provocateurs et brillants qui sont loin d’avoir fait l’unanimité dans la salle.

Il a d’abord tracé l’évolution typique d’une cause sociale en trois étapes :

1. Démonstration rationnelle du problème (exemple : la planète se détériore)
2. Démolition du « discours dominant » qui contredit cette cause, appel à l’État pour qu’il modifie le cours des choses
3. Institutionnalisation de la cause.

Selon lui, les spécialistes en marketing constatent une « légèreté » du consommateur de causes sociales, par exemple en environnement : ce consommateur ne passe pas à l’acte.

Il pose la question crûment : y a-t-il une surconsommation des causes sociales? Pour lui, il y en a tellement qu’elles sont en concurrence pour les mêmes fonds et les mêmes appuis : leurs « parts du marché des causes sociales » sont réduites. Il constate alors un « aplatissement » du marché : toutes les causes sociales commencent à se ressembler. Cela favorise le relativisme et le cynisme de la population

Deux facteurs particuliers sont observés au Québec par les spécialistes en marketing :

1.  une psychologie d’assiégés : notre avenir comme peuple est menacé,

2.  on est plus hédonistes que les Canadiens et les Américains; on vit dans l’ici et le maintenant.

Face à la question environnementale, la menace d’un futur tragique entraîne certains Québécois à se dire : puisque tout est perdu, on doit en profiter aujourd’hui.

En décembre 2008, les Québécois ont maintenu leur rythme de consommation, contrairement aux Américains et aux Canadiens; ils se disent : puisque la récession s’en vient, autant en profiter maintenant.

Si la cause environnementale crée une peur du futur, les Québécois peuvent en conclure : vivons et consommons maintenant.

Pour M. Désîlets, il y aurait donc un effet pervers : on incite les gens à consommer moins pour ne pas épuiser la planète, mais ils en concluent qu’il reste peu de temps à surconsommer gaiement. Donc, la peur n’est pas une bonne façon de convaincre les Québécois de protéger l’environnement et de consommer moins. Certains disent que la fin du monde est proche; or M. Désîlets constate, à travers les siècles, que la fin du monde est toujours en retard…

M. Désîlets note que plusieurs croient que le marketing, c’est faire vendre de la m…; pour lui, c’est plutôt l’art de sonder les consommateurs pour que les producteurs fabriquent ce que les consommateurs voudraient réellement acheter. Il dit que si nous ne cherchons pas à comprendre comment les gens pourraient réagir à nos messages (au sujet de l’environnement, de la surconsommation, etc.), nos campagnes sociétales seront des échecs.

Commentaire

Le marketing, de fait, ce sont deux choses : connaître les motivations des consommateurs et les obstacles devant le passage à l’acte (l’achat, le changement d’attitude, etc.). M. Désîlets a raison de nous dire de nous intéresser à la réaction réelle possible des personnes que l’on cherche à convaincre (face à l’environnement, la lutte à la pauvreté, la simplicité volontaire, le maintien de la gratuité dans la santé, la souveraineté du Québec, etc.).

Mais il me semble faire preuve de beaucoup de pessimisme concernant le passage à l’acte. Les progressistes pourraient jouer, eux aussi, sur l’hédonisme et la volonté de mener une vie agréable, ici et maintenant, corde sensible des Québécois.

Louis Chauvin, président du Réseau québécois pour la simplicité volontaire, l’un des quatre conférenciers le soir du 12 mars, faisait valoir que, selon des recherches, les adeptes de la simplicité volontaire se disent plus heureux que les personnes qui recherchent l’abondance de biens et qui n’en sont jamais satisfaits. Les progressistes partent perdants s’ils présentent les réformes qu’ils recherchent comme étant une quête triste et douloureuse.

En fait, il faut clarifier si la recherche d’hédonisme des Québécois est uniquement celle du plaisir (ce qui est la définition de base de l’hédonisme) ou plus profondément celle du bonheur.

M. Chauvin définit le bonheur comme étant quelque chose d’intérieur, d’exigeant, il faut y travailler (référence au moine bouddhiste Mathieu Ricard). Alors que le plaisir, c’est extérieur : c’est la recherche de dopamine, un neurotransmetteur qui stimule et qui entraîne une forme de plaisir, c’est une drogue, addictive, on n’en a jamais assez, il en faut toujours plus pour continuer à avoir du plaisir, c’est là où on retrouve le monde de la surconsommation.

Comment faire en sorte que les gens soient cohérents entre leurs idéaux et leurs actes? Comment transformer, par exemple, les « autonomistes », qui sont des « souverainistes non pratiquants » (définition du sociologue Pierre Drouilly) en souverainistes?

Comment faire de nos campagnes sociétales des réussites? Toujours clarifier les concepts, approfondir l’analyse, étudier les motivations, évaluer et restreindre la portée des obstacles. Il n’y a pas de recette miracle.