La Maison du Festival Rio Tinto Alcan

2009/05/19 | Par André Bouthillier

Amateur de musique, j’écoutais la radio lorsque survint une musique interprétée par le Quatuor à corde Alcan surnommé « la perle du Saguenay ».

Musique d’image qui me transporte dans un clip imaginaire où un guide touristique dit : « Bonjour et bienvenue à cette petite tournée patrimoniale, ici, la statue de Louis «May West» Cyr et à sa droite celle de Félix «biscuits» Leclerc. Traversons le Parc Lafontaine-Danone où nous attend, devant la Maison du Festival Rio Tinto Alcan, Dominique Tremblay pour un concert sur son violon en aluminium. »

Cette petite fiction a de vrai Tremblay, la Maison, le Quatuor, et si la tendance se maintient, la privatisation toponymique des lieux de culture sera pire avant de devenir effrayante.

Vous comprenez que je parle de commandite, dont la question éthique est éludée par la classe politique et artistique. D'ailleurs, c’est Alain Simard, président du Festival International de Jazz de Montréal, qui a attiré mon attention en déclarant « Le commanditaire nous a donné 6$ millions après tout !» Résultat : il lui offre de nommer la Maison du Festival « Rio Tinto Alcan ».

Le mécénat tient son nom de Caius Cilnius Mæcenas (Mécène), homme politique célèbre pour avoir consacré sa fortune et son influence à promouvoir les arts. Donc, rien de nouveau qu’une personne fortunée, désireuse de soutenir les arts, puise à même SES ÉCONOMIES et donne. Au mieux, elle le fait de façon discrète, invite d’autres personnes moins aisées à l’imiter selon leurs moyens, et laisse entièrement libre le récipiendaire dans la création de son œuvre.

Pour ceux dont la discrétion dans le don n’est pas l’apanage, ils me rappellent la charité hypocrite illustrée par cette citation libre d’un extrait de l’œuvre d’Antonine Maillet : « Je tricotions des tuques de couleur vert caca-d’oies pour mes pauvres afin que je puisse les reconnaître à la messe du dimanche ».

Péladeau père, donateur de la salle de concert baptisée à son nom, incitait fortement ses obligés à jouer du Beethoven. Achat de reconnaissance, sentiment de puissance et contrôle sur ses semblables!

À travers le temps, le mécénat a pris plusieurs formes et les États entreprirent de le remplacer pour atteindre une meilleure répartition de la richesse culturelle. Ainsi, des villes, bien qu’éloignées géographiquement des grands centres, obtinrent une salle de spectacle là où un nombre insuffisant de cotisants fonciers ne pouvaient couvrir les frais de construction et d’opération.

Depuis plusieurs années pour des raisons idéologiques, l’État recule devant son rôle de diffuseur-financier de la culture pour s’en remettre au secteur privé de l’économie en échange de déduction d’impôts. Les riches se voient accorder dès lors un droit de veto sur la survie des institutions culturelles et priorisent souvent leur propre vision de la culture au détriment des besoins du plus grand nombre. Sans aide de l’État, les Îles-de-la-Madeleine ne verraient pas d’artistes d’autres régions, le simple coût du voyage rendant le spectacle non-rentable pour un producteur privé.

Le don terni par l’intérêt pécuniaire et la guerre du marketing est devenu une plaie ; maintenant on devient donateur pour économiser et non pour promouvoir l’œuvre, pour contrôler la représentation de son argent et non pour véhiculer la libre expression de la culture et des arts. En démocratie, l’État est censé être le mieux placé pour soutenir tous les arts. Pensons seulement au programme du 1% du budget consacré aux œuvres lorsque le gouvernement construit un édifice.

Il serait temps de publier « L’entreprise privée pour les nuls ! » J’en donnerais volontiers un exemplaire au président du FIJM. En affaires, il devrait savoir qu’un don d’entreprise se comptabilise sous le compte « Dépense (passif) : relations publiques, publicité et communications ».

Ne soyons pas dupes, tous les dons d’une entreprise sont déduits des impôts et compensés par le prix des produits que NOUS achèterons tôt ou tard. Privé ainsi de revenus, le gouvernement accusera son manque de moyens pour subvenir aux besoins culturels de ses commettants. Notre gouvernement se vante de ne pas augmenter les impôts, mais il transfère au privé le soin de nous cotiser. Cela porte un nom : supercherie.

Revenons à Rio-Tinto Alcan. Est-ce que cette compagnie mérite d’avoir son nom sur la marquise, plutôt que celui de Jean Derome, le plus grand saxophoniste méconnu des québécois ? Je n’ose nommer le pianiste de jazz Oscar Peterson qui a dénigré publiquement, avec un mépris à peine contenu, la nation francophone et a déménagé à Toronto pour bien se faire comprendre.

Avec ce don de 6 millions à monsieur Simard, et malgré le fait qu’elle fut largement soutenue par différentes subventions gouvernementales depuis sa création, Rio-Tinto-Alcan, une entreprise minière, croit-elle vraiment se refaire une virginité ? Son coup de marketing pour valoriser sa marque d’aluminium nous fera-t-elle oublier sa réalité polluante pour nos cours d’eau et opprimante pour notre économie régionale ? Pourquoi affubler un édifice québécois du nom d’une compagnie australienne ?

Alcan, au cours de son histoire, a bénéficié sans arrêt des largesses de nos veules politiciens et a pu éviter la nationalisation de sa production électrique en 1964. Cette entreprise, qualifiée de mécène, s’est vue octroyer un bail à long terme et le droit hydrique de produire de l’électricité ; tous deux renouvelés récemment pour 100 ans. Sachons aussi qu’Hydro-Québec lui offre un tarif préférentiel pour l’électricité qu’elle achètera sur le réseau, en cas de manque.

Cette entreprise, si généreuse, n’a pas payé d’impôts au Canada de 1999 à 2003 sous prétexte de non-rentabilité (1), mais a reçu un retour d’impôts de 140 millions pour la même période. En 2006, nous citoyens du Québec lui avons alloué 400 millions de dollars de fonds prêtés sans intérêts, de même qu’un nouveau prêt en mai 2009 de 175 millions.

À bien y penser, le montant de la commandite de Rio-Tinto-Alcan aurait sans doute été utile pour éviter quelques suppressions d’emplois au Québec. Rappelons qu’en janvier 2009, elle a supprimé 1100 postes dont 220 à Beauharnois, une cinquantaine à l’usine Vaudreuil au Lac-Saint-Jean et 17 au Centre de produits cathodiques de Jonquière. Le 7 avril 2009, 140 postes ont été abolis au siège social de Montréal.

Comment une entreprise si mal en point financièrement, peut-elle donner 6 millions à Monsieur Simard? Subterfuge ? Sommes-nous dupes alors?

Le financement du projet de la maison du jazz-aluminium coûtera plus cher en fonds publics qu’en commandite : le gouvernement québécois a cédé pour 30 ans l'édifice appartenant à la Société immobilière du Québec, en plus d'investir 10 millions dans sa rénovation. Le budget total du projet est de 17 millions. Outre la participation du fédéral, le FIJM a emprunté trois millions.

Mais ne serait-ce pas à nous, Québécois représentés par notre gouvernement, de baptiser la maison puisque, en bout de ligne, nous paierons la facture ? Mesure-t-on vraiment les incidences sur notre culture en privatisant à outrance notre patrimoine? La vraie gratification d’un peuple passe par la fierté de sa culture, la vendre au plus offrant ne peut que l’avilir, la restreindre au nom de la libre entreprise, une liberté à sens unique.

Je ne vois pas pourquoi Monsieur Simard a offert à ce prédateur multinational la marquise de la maison du Festival à moins qu’il ne soit colonisé à l’os. Tant qu’à y être, il eut mieux valu inviter Viagra à commanditer pour inciter de nouveaux amateurs de musique à bander sur le jazz ?


(1) Une étude réalisée pour le compte des syndicats d'Alcan par Denis Gendron et Léo-Paul Lauzon, de la Chaire d'études socio-économiques de l'Université du Québec à Montréal, 2005.