La solution empoisonnée de la bourse du carbone

2009/08/31 | Par André Bouthillier

Nous vivons tous à quelques kilomètres près d’une cheminée d’usine ou à un pas d’un tuyau d’échappement d’un véhicule motorisé. Leurs substances chimiques rejetées dans l’air  produisent des gaz à effet de serre et polluent nos poumons. Les deux faits sont-ils reliés? Oui et non! L’un nous empoisonne directement et l’autre bouleverse le climat, avec le risque de nous empoisonner la vie.

Solutions en vue? Oui une, sans garde-fou. Depuis les premiers débats sur les changements climatiques, une proposition du monde financier a rallié un consensus autour d’une idéologie dévastatrice, origine de l’éclatement de la « Bourse » lors des bulles technologique, du pétrole, puis de l’immobilier et maintenant de la crise économique à laquelle notre tout dévoué premier ministre Harper a consacré à même nos impôts un tout petit 200 milliards $ pour sauver les institutions financières canadiennes (1). Quelle est donc cette mirifique solution avancée par les requins de la finance et approuvée par nos dirigeants?

La tristement nommée « bourse du carbone ». Son fonctionnement est simple : notre pollueur préféré veut polluer davantage, il se présente à la bourse et achète un permis de polluer à un autre pollueur qui n’en n’a pas ou moins besoin. Ainsi, au détriment de notre santé, il pourra augmenter la quantité de rejets au lieu de chercher à les diminuer.

Attention, ce permis ne couvrira que les substances qui nourrissent les gaz à effet de serre. Les autres cochonneries éjectées par les cheminées ne seront pas diminuées ou mieux contrôlées.

Le comble, plus le gouvernement limitera sa capacité de pollution, plus notre pollueur paiera cher son permis, plus les boursicoteurs joueront sur la rareté des permis et plus le prix de la marchandise produite par notre pollueur préféré nous coûtera cher à l’achat.

Ainsi nous, les consommateurs, contribuerons au remboursement du permis et paierons les profits engrangés par les firmes de fonds spéculatifs, lesquelles se feront la course à la «bourse du carbone» pour faire monter les enchères et s’enrichir. Et notre santé? Aucune considération incluse.


La table mise, passons à l’histoire, aux enjeux et solutions

Début des années 1980, on parle du dérèglement du climat. Les scientifiques nous apprennent que le carbone produit par l’activité humaine crée le gaz à effet de serre (2) et accentue le réchauffement climatique.

À l’appui, un rapport a été publié en 2001 par le « Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) »  au sein de l’Organisation des Nations Unies. Peu importent les nuances des détracteurs, depuis la conférence de Copenhague en mars 2009, un consensus scientifique mondial confirme certains faits indéniables :

  • La hausse du niveau des mers au cours de ce siècle semblerait plus importante que prévue et porterait de graves conséquences aux villes côtières, aux terres agricoles et aux réserves d’eau douce.
  • Une hausse de température de deux degrés dans l’Arctique suffirait à déclencher la fonte du pergélisol (3), ce qui permettrait aux bactéries de dégrader les matières organiques emprisonnées dans les glaces et de produire des milliards de tonnes de dioxyde de carbone et de méthane entraînant encore plus de réchauffement.
  • Une hausse de quatre degrés pourrait provoquer une quasi-disparition des forêts tropicales humides de l’Amazonie, dont les répercussions effroyables sur la biodiversité et les conditions météorologiques de cette région déclencheraient de nouvelles émissions massives de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

S’ensuivront des conséquences que nous ne jugerons pas secondaires lorsqu’elles nous frapperont personnellement : la perte de terres aptes à produire des aliments, le rationnement en eau potable et le déplacement des populations suite à la submersion des terres (4).

En 2001, toujours à l'affût des dernières recherches scientifiques, Greenpeace Canada attachait le grelot médiatique : « Le Canada se réchauffe à peu près deux fois plus vite que la moyenne planétaire. Il n'y aura à peu près plus de glace en Arctique d'ici 2100. Le sud des Prairies canadiennes deviendra un désert en grande partie, avec des impacts socioéconomiques absolument phénoménaux. Ce scénario transformera le visage du Canada, qui connaîtra des catastrophes naturelles comme l’assèchement des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent, des inondations et des vagues de chaleur qui feront augmenter de 88 cm le niveau de la mer. Ces bouleversements entraîneront l'engloutissement de l'Île du Prince Édouard, des Îles de la Madeleine, et certaines parties de la Colombie-Britannique. »

La majorité des médias ont ignoré ce communiqué de presse et les politiciens crièrent à l’alarmisme. Question culturelle peut-être, mais les Québécois, devant une catastrophe redoutée, souffrent du syndrome des « Joyeux Troubadours », chanson thème de la célèbre émission de radio:

« Ce sont des philosophes

au lieu de s’affoler

devant une catastrophe

se mettent à répéter

ne jamais croire,

toutes ces histoires,

c’est comme ça qu’on est heureux…

trouver le ciel bleu

quand il tonne et quant il pleut,

c’est comme ça qu’on est heureux » (5). 

Le scénario politique des élus se ressemble d’un parti à l’autre.  « Nous avons, un plan d’action », d’ânonner les Harper, Dion et autres grands chefs lors de la dernière campagne électorale fédérale.

Ces plans d’action locale tant débattus en période électorale se perdent à coup sûr à l’international; les années défilent à la suite de grandes conférences mondiales sans aucun changement local. Pendant ce temps, les cheminées de notre pollueur préféré continuent de cracher.

Pourquoi les élus se comportent-ils ainsi?

Comme le carbone provient principalement des cheminées d’usines et des tuyaux d’échappement des véhicules motorisés au pétrole, deux catégories d’électeurs les menacent.

Les premiers, investisseurs dans les caisses électorales et les autres, plus nombreux, ont leur bulletin de vote accroché à une mentalité de «touche pas à mon char», alors imaginez devoir taxer le tuyau d’échappement de nos véhicules!

Craignant de perdre leur élection et leur statut social, les ministres refusent d’imposer la règle impopulaire de pollueur-payeur. Ils évoluent en têteux de votes et non en dirigeants.tes éclairés.

En novembre 2006, la ministre de l’Environnement du Canada mandate la «Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie » de proposer des moyens de réduire, à moyen et long termes et de manière significative, les gaz à effet de serre (GES).

La réponse arrive de l’organisme indépendant, en janvier 2008 (6). Il faut faire payer les pollueurs et deux moyens sont suggérés :

  1. Taxe sur le carbone : une taxe directe à chaque cheminée émettant du gaz carbonique (CO2), incluant le tuyau d’échappement de notre voiture.
  2. Quotas et échange (Cap-and-Trade) : imposer une limite d’émissions à chaque secteur d’activité et laisser le marché développer un système d’échange (bourse du carbone) entre les entreprises très polluantes et celles moins émettrices.

Évidemment, le ministre conservateur de l’Environnement de l’époque refuse avec véhémence une « taxe sur le carbone ». Le Parti Libéral du Canada, le Bloc Québécois et le NPD préfèrent les quotas à la taxe au carbone sans toutefois l’exclure… il y a de l’élection dans l’air!

Quant au Québec, au printemps 2009, le gouvernement dépose le projet de loi 42, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec, pour créer une bourse du carbone. Preuve que tous les politiciens refusent de prendre la responsabilité de taxer eux-mêmes les pollueurs.

Paradoxalement, en 2008, l'Association canadienne du gaz, évoque un malaise par la bouche de son président Michael Clelane : « Je rejette l'idée qu’une bourse soit plus équitable que la taxe. Au contraire, si vous avez amélioré votre efficacité dans le passé, alors vous consommez moins d'énergie, alors vous serez moins soumis à une éventuelle taxe.»

Ce raisonnement démontre que le gouvernement Charest, en choisissant la bourse du carbone, renonce à revendiquer auprès du fédéral la reconnaissance des efforts de production énergétique moins polluante par le Québec.

Une belle victoire pour le monde financier! Et quelle magnifique démonstration de ce lobby puissant dirigé par Al Gore, l’ancien candidat à la présidence états-unienne.

Souvenons-nous de sa série mondiale de conférences pour mieux convertir les groupes environnementaux et les élus; toute la machine financière se profile derrière lui. Au Québec, le journal La Presse, propriété de Monsieur Desmarais, lui organise l’événement. Jean Charest profite de l’occasion pour se pavaner à côté d’environnementalistes et promouvoir cette seule option.

Pour un cachet de 100 000 $ à 175 000 dollars $ Albert Arnold Gore Jr. prononce un discours de 75 minutes en digne sauveur planétaire. Les profits ainsi générés lui permettent de ramasser les capitaux nécessaires pour cofonder une société, la Generation Investment Management, avec trois anciens hauts dirigeants de la banque d’affaires scélérate, Goldman Sachs. Leur projet? Investir dans les crédits de carbone (7).

Selon Matt Taibbi, journaliste états-uniens (8) : « L’Avenir des banques d’affaires repose sur les crédits de carbone. Il s’agit d’un marché dans les trillions $ qui existe à peine présentement mais qui existera si le Parti démocrate états-unien, qui a reçu 4 452 585$ des lobbys pro-bourse du carbone durant la dernière élection, parvient à faire naître une nouvelle bulle spéculative de matière première, déguisée en programme environnemental nommé « échange de crédit de carbone »

 «  …   Il y aura des limites de production d’émission de carbone permise par année et ce, divisée par secteurs (centrales au charbon, les distributeurs de gaz, les producteurs d’électricité, etc). Si les compagnies dépassent le quota alloué, elles pourront acheter des « permis de polluer » de compagnies qui auront produit moins de gaz à effet de serre ou de carbone que le montant qui leur est alloué. 

 »La caractéristique de ce plan attrayante aux spéculateurs est que la limite sur le montant de carbone produit sera réduite par le gouvernement, ce qui signifie que les crédits du carbone deviendront de plus en plus rares à chaque année, les prix augmentant d’autant.

« Donc dans ce tout nouveau marché de la pollution de l’air, la principale denrée d’échange sera la garantie que le prix du permis de polluer augmentera constamment.

«  …Si la bourse du carbone (Cap and Trade aux USA) réussit, ne serons-nous pas sauvés de la catastrophe des changements climatiques? Peut-être – mais telle que présentée, elle est simplement une taxe sur le carbone, structurée pour que des intérêts privés ramassent les revenus, au lieu simplement d’ imposer un montant de taxe fixe sur la pollution au carbone et d’obliger les producteurs d’énergie polluante à payer pour la destruction qu’ils produisent. La bourse du carbone permettra à une petite tribu de cupides de Wall Street à New York, (de Bay Street à Toronto et de la rue Saint-Jacques à Montréal) de détourner une autre bourse des matières premières dans un système de collection de taxes privées. »

Selon Thomas Friedman, chroniqueur au New York Times, « On va donner aux gens de Wall Street le pouvoir de négocier de nouveaux « swaps/papiers commerciaux » et ça va se faire sur le dos de l'environnement cette fois-ci. Ces gens ne s'intéressent pas au réchauffement climatique, mais au rendement qu'on pourrait faire avec ce nouveau produit. » 

Pendant ce temps, en guise de protestation, vous êtes devenu membre d’Équiterre et de Greenpeace. Vous frappez un os, car les deux groupes adhèrent à la création d’une bourse du carbone.

Durant sa période Greenpeace, Steven Guilbeault déplorait l’indolence du gouvernement suite aux conclusions du Protocole en 1997. « Si en 1998-99, on avait eu un plan d'action comme dans la plupart des pays d'Europe, notre bourse du carbone serait déjà en opération. », dit-il (9).

Maintenant chez Équiterre, il encense le projet de loi 42 de la ministre Line Beauchamp et la bourse de carbone au Québec, négligeant les conseils des plus grands analystes qui, comme Hervé Kempf (10), suggèrent comme solution d’avenir de décrocher du capitalisme-financier et de fusionner l’écologie au social. En se joignant au consensus d’affaires, les deux groupes nous laissent sans porte-voix alternatif. 

Que faire? La résignation ne fera qu’empirer la situation. Vous désapprouvez l’idée de la bourse, il est trop tard pour y remédier car on la retrouve dans le protocole de Kyoto et, depuis mai 2009, la bourse du carbone de Montréal est en action.

Alors, en dernier recours, il reste à chacun de nous, par l’intérim de son groupe préféré, d’exiger un amendement à la loi québécoise pour empêcher la spéculation sur le prix des permis.  

En Angleterre, c’est déjà le merdier. Fin août 2009, les douanes britanniques ont arrêté à Londres, neuf personnes soupçonnées de tremper dans une vaste escroquerie aux crédits du carbone de plusieurs millions de dollars. « Outil flambant neuf de la lutte contre le changement climatique, le marché des quotas d'émission de CO2 a logiquement ouvert de nouveaux horizons aux aigrefins » (11).

Riccardo Petrella, le politologue, économiste italien, fondateur du Groupe de Lisbonne, disait: « Plus rien n’échappe à la privatisation : la santé, les gènes, l’eau et même l’air! Le marché du carbone n’est rien d’autre que la privatisation de l’air et on a eu le culot de le faire au nom du développement durable »

Le résultat? Un beau gâchis et une fausse solution qui enrichira le monde financier et appauvrira la santé des populations. En attendant, les cheminées continuent de cracher.

Je rêve du jour où nous obligerons les propriétaires et les membres des conseils d’administrations à résider dans le périmètre des crachats de leurs cheminées d’usines. Vous verrez, la situation changera rapidement.

Après la lecture de ce texte, peut-être déciderez-vous d’une démarche à suivre…

Que choisirez-vous : La bourse ou la vie?


Références

1 - Michel Chossudovsky - «Relance économique». La face cachée du budget Flaherty. Le montant faramineux de 200 milliards $ prévu dans ce que le gouvernement appelle un « Cadre de financement exceptionnel » pour venir en aide aux institutions financières canadiennes. En soi, ce transfert monétaire auprès des banques est la principale cause du déficit budgétaire et de l'endettement du gouvernement fédéral.

2 – Gaz à effet de serre : composé de Dioxyde de carbone, Méthane, CFC, Protoxyde d’azote, Ozone et autres

3 - Définition pergélisol / permafrost : un sol ou de la roche dont la température est inférieure à 0°C  au moins 2 années consécutives.

4 - George Monbiot, Editorialist, The Guardian, Angleterre, 12 mars 2009

5 – Les Joyeux Troubadours, une émission à la radio de Radio-Canada. Diffusée du 13 octobre 1941 au 2 septembre 1977.

6 Les pollueurs doivent payer, conclut la Table ronde. Le Devoir, LES ACTUALITÉS, mardi, 8 janvier 2008, p. a1, Hélène Buzzetti

7- Al Gore - Hors de prix : une vérité qui démange...Michel Tarrier Notre-Planète.info - 28 décembre 2007

8Matt Taibbi, juillet 2009. Écrivain, journaliste spécialisé en politique. Présentement auteur d'une chronique au magazine Rolling Stone USA. Les extraits proviennent d’un reportage d'enquête et d'analyse que j’ai traduit pour vous « Goldman Sachs — La grande machine à bulles américaine ».

9– Steven Guilbeault – Déclaration à Radio-Canada 2005 et Chronique environnement 12 mai 2009. Les Hebdos du groupe de journaux Transcontinental Médias.

10 – Hervé Kempf – Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, éd. Le Seuil, 2008, 152 p.

11Arthur Max - Associated Press, Amsterdam le 23 août 2009. Les nouveaux escrocs du marché du carbone