Des athées illuminent notre galaxie

2009/09/22 | Par Louise Mailloux

Dorénavant, le Québec a lui aussi ses athées que les Pères de l’Église appelaient bien gentiment les « pourceaux d’Épicure ». Jusqu’ici on avait l’impression que ces pourceaux étaient tous français, anglais ou américains mais là, d’entendre des athées québécois s’afficher publiquement a de quoi de nous réjouir.

Des artistes (Arlette Cousture, Louisette Dussault, Martin Petit, Ghislain Taschereau), journalistes (Louise Gendron, Isabelle Maréchal, Yannick Villedieu), scientifiques (Cyrille Barrette, Yves Gingras), et intellectuels (Hervé Fischer, Louis Gill, Yves Lever), tous réunis dans un collectif sous la direction de Daniel Baril et Normand Baillargeon qui témoignent et expliquent leur athéisme et critiquent la religion.

Dans la présentation, il est mentionné « que les quelque 415,000 personnes qui se sont déclarées sans religion au recensement canadien de 2001 représentent le second groupe en importance après les catholiques romains. »  Il y a donc plus de Québécois sans religion qu’il y a de Québécois religieux, toutes Églises confondues. Et que le taux d’athéisme de ceux-là peut aller de 10 à 26%.

Et pourtant, le ministère de l’Éducation a cru bon de rayer du programme d’Éthique et de Culture religieuse, l’athéisme alors que l’on y présente un grand nombre de religions, parce que depuis Platon le mot « athée » a été entaché d’immoralité et qu’il est donc « péjoratif ».

Et il n’est évidemment pas question de le dédouaner craignant de déplaire aux lobbys religieux qui, à leur tour, redoutent que l’épidémie porcine se propage... Voilà donc un essai courageux qui défie les tabous et présentent des personnalités respectées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des athées respectables!

Ils sont quatorze à être Heureux sans Dieu, sans dogmes et sans églises, nullement angoissés par la gratuité de leur existence et leur inévitable mortalité. Quatorze à soutenir une vision matérialiste et scientifique du monde et à être animés d’un athéisme serein, parfois raisonné, parfois viscéral.

Quatorze chanceux d’avoir gagné à la loterie génétique, heureux d’être simplement avec tout ce qui bouge et qui grouille, sans nul besoin de Dieu pour apprécier le grand ciel bleu. Humains si humains esseulés dans l’immensité du cosmos, libres et responsables parmi les roches, les pissenlits et les gros éléphants, à aimer la vie comme dans César et Rosalie.

S’il est un point sur lequel ces athées insistent tous, c’est bien celui de n’être pas sans valeurs mais d’avoir aussi une morale « comme s’il fallait, dit Yves Lever, la foi en un dieu pour savoir que l’amour est meilleur que la haine, la paix préférable à la guerre, la connaissance supérieure à l’ignorance, etc. »

« D’ailleurs, ajoute-t-il, les valeurs qui fondent la modernité, soit la liberté de pensée, la tolérance, l’égalité des sexes, la disparitions des classes sociales, le pluralisme, etc., non seulement n’ont pas leur origine dans les religions, mais ont presque toujours été combattues par elles. » Rappelons-nous le bon Pie IX promulguant son Syllabus des erreurs modernes. Peut-être ce pape infaillible n’avait-il rien compris au christianisme?...

Le rapport entre la foi et la raison est aussi un thème important tout au long de cet essai. Certains, comme Cyrille Barrette, insisteront pour dire que Dieu ne peut pas être un objet de connaissance et donc que la science ne peut rien affirmer à propos de Dieu. D’où l’agnosticisme de Barrette comme scientifique bien qu’il soit athée par conviction.

Yves Gingras, pour sa part, dénoncera le fait que depuis une quinzaine d’années, la religion tente justement de se rapprocher de la science en affirmant que la foi est un savoir qui doit éclairer la raison, espérant ainsi ramener la religion à l’avant-plan.

« Chose certaine, toutes ces vaines tentatives plus ou moins élaborées de se servir de la science la plus récente pour affirmer (ou suggérer) l’existence de Dieu ne sont que de nouveaux avatars du vieil argument du ‘‘design’’ selon lequel il faut bien que quelqu’un ait conçu et créé ce monde qui est si beau et si complexe. »

À son tour, Hervé Fischer soutiendra que Dieu peut cette fois-ci être objet de connaissance dans la mesure où l’homme a crée le mythe de Dieu pour s’aider à vivre et donc que celui-ci est tout autant analysable que n’importe quel autre objet comme la société ou l’univers. D’où l’importance de la mythanalyse.

Voulant attester de l’énorme complaisance de notre société vis-à-vis la religion, Normand Baillargeon nous donne d’excellents exemples qui montrent bien à quel point les religions jouissent d’un traitement préférentiel.

Ainsi, chaque année, des enfants meurent parce que les parents refusent de les faire traiter par un médecin à cause de leurs croyances religieuses. Alors que normalement ces parents devraient être poursuivis pour négligence criminelle « dans 39 États américains sur 50, on a prévu des exemptions religieuses dans les cas de négligence ou de maltraitance d’enfants. »

On a longtemps cru que l’ignorance était à la source de la religion. Épicure, Lucrèce, d’Holbach, Feuerbach et Marx ont repris ce thème qui nous revient sous la plume de Louis Gill.

Mais les gens n’ont jamais été aussi instruits qu’aujourd’hui et pourtant partout dans le monde, nous assistons à une recrudescence de la ferveur religieuse en même temps qu’à une montée des intégrismes. Comment expliquer cette persistance du religieux?

Le darwinien Daniel Baril propose une explication originale et fort prometteuse à savoir que les expressions culturelles que sont les religions prennent racine dans les dispositions du primate humain à créer du surnaturel.

Et que les valeurs éthiques comme l’altruisme n’ont rien à voir avec la religion. « Ce que le christianisme appelle l’amour du prochain, ce sont pour les évolutionnistes des habiletés adaptatives assurant la cohésion du groupe. » Ce qui expliquerait l’universalité du religieux.

Baril souligne également le fait que « les jeunes qui sortent des cégeps aujourd’hui ne paraissent pas mieux équipés que je ne l’étais en 1970 pour faire face aux leurres des religions et des pseudosciences. » alors que Lever se demande « pourquoi les centaines de professeurs de philosophie des cégeps et des universités n’écrivent rien sur ces questions? De quoi ont-ils peur? » Gageons que ce livre va faire du bien à tout ce beau monde!

 

HEUREUX SANS DIEU
Sous la direction de Daniel Baril et
Normand Baillargeon
VLB
Montréal, 2009, 165 pages