Armes lumineuses (5)

2009/10/22 | Par Jean-Claude Germain

Allocution prononcée lors de l’assemblée publique L’avenir du Québec passe par des études supérieures en français du 19 octobre 2009 organisée par le SPQ Libre, le Mouvement Montréal français et la SSJB-Montréal

 

Il suffit d’aborder le sujet de la langue pour qu’on vous accuse de radoter. Mais lorsqu’on répète depuis une quinzaine d’années sur toutes les tribunes, en solo, en duo, en trio, en quatuor et en chœur symphonique qu’à l’heure économique, l’ère est à la privatisation et à la déréglementation : on in-for-me !

Et on nous a tellement in-for-mé qu’on a fini par être totalement désinformé. C’est d’ailleurs le vaccin dont aurait besoin pour combattre toutes les pandémies médiatiques qui nous pendent au bout du nez dans tous les domaines : un vaccin contre la désinformation.

Il faut savoir qu’au Québec, chaque fois que les oiseaux volent bas, que la vie est moche et que le ciel est poche ; lorsque les chats sont nerveux et les enfants malcommodes ; chaque fois que les ponts sont bloqués ; que les trous dans les rues sont de la grandeur des intersections et que les urgences débordent jusque dans les parkings ; quand le taux des licenciements dépasse même le taux des suicides et des décrochages ; bref, quand on a usé de tous les atermoiements, étiré tous les délais et épuisé tous les recours ; bref, quand on ne peut plus tergiverser, branler dans le manche ou stâller plus longtemps : le temps est mûr pour commander une enquête de police ou de lancer une nouvelle campagne du Bon parler français. Ça marche à tout coup !

Faîtes-moi confiance, si notre revendication pour que l’avenir de tous les Québécois passe par un enseignement supérieur reçoit l’appui qu’il mérite, le gouvernement va se fendre d’une déclaration à l’effet que les immigrants choisissent Concordia ou Mc Gill parce que le français dans les universités francophones n’est pas d’un niveau international.

Depuis maintenant plus d’un siècle, peu importe le diagnostic, la médication linguistique est toujours la même : il faut guérir la langue par la langue. Lorsque rien ne va plus, blâmez l’orthographe et la grammaire pour toutes les fautes de la société. C’est une riposte imparable pour détourner l’attention et occulter les débats.

Les fautes d’orthographe, c’est l’état ponctuel de la langue ! La francisation, c’est le poids de la langue ! Et nous ne sommes jamais descendus dans la rue pour réclamer des dictées ou de l’aide aux devoirs, mais pour exprimer nos vives inquiétudes sur le poids de la langue française dans la société québécoise, son poids dans la vie courante, dans le monde des affaires, dans le monde universitaire, collégial, son poids au conseil municipal de la ville de Montréal, dans le monde du travail, dans l’affichage, sur les ondes, l’Internet et son poids dans le doublage des films.

On ne peut aborder la question du poids du français sans évoquer la mémoire du seul homme politique qui, dans toute l’histoire du Québec, a su proposer et imposer une approche linguistique autre que celle d’une campagne du Bon parler : le docteur Camille Laurin. Pour lui, la schizophonie n’était pas une maladie atavique, mais un symptôme. « Si le Québec a mal à sa langue, c’est que le corps entier de la nation est malade. Et c’est tout le corps qu’il faut guérir ».

Quand la langue française fait du mauvais gras parce qu’on la gave de chips, pis de pinottes, pis de gros macs, pis de roteux all-dressed, pis de Kentucky fried chicken pis de fast food et de free delivery, on peut le prendre personnel.

Mais quand la langue française perd du poids à vue d’œil parce qu’on baisse les bras, qu’on regarde ailleurs en écoutant la musique du monde dans nos écouteurs, qu’on veutt pas faire de peine à personne, qu’on s’accommode pour pas avoir l’air malcommode et qu’on s’interroge sans fin sur notre identité alors que le problème de l’identité canayenne – traduisez québécoise - est réglée depuis le XVIIe siècle et que la diversité culturelle fait partie de la réalité montréalais depuis l’ouverture de la première saison de traite. Là, y faut le prendre historique !

L’histoire c’est la mémoire, mais la mémoire vivante de l’histoire, c’est la culture. Lorsque qu’on accueille les étrangers, on les invite d’abord à habiter une langue et conséquemment, une histoire et une mémoireEt jusqu’à preuve du contraire, la culture est le seul moyen qu’on ait trouvé pour faire savoir ce qu’on est aux autres. Et ce qui est encore plus important : se l’apprendre à soi-même.

On occupe un espace et un territoire mais avant d’habiter un pays, on habite une langueUne langue qui définit cet espace et qui donne un sens à ce territoire.  D’ailleurs, si on n’habite pas la même langue sur le même territoire et dans le même espace, il y a de grosses chances qu’à l’intérieur des mêmes frontières, on ne vive pas dans le même pays.

Il n’y a pas de langue universelle, il n’y a que la langue des empires du moment. S’obstiner à parler islandais en Islande ou frison en Hollande n’a pas plus d’allure que de parler québécois en français en Amérique du Nord.  Un pays par nature ça a pas de bon sens et pas d’allure. C’pas un mystère, mais ça ne s’explique pas. Lorsqu’on se demande pourquoi on est Québécois, tout ce qu’on peut répondre, c’est qu’on l’était déjà avant de l’être et qu’on le sera encore même lorsqu’on ne le sera plus.

C’est un peu la même chose pour tous ceux et celles qui sont venus nous rejoindre d’un peu partout dans le monde, ils l’étaient déjà sans le savoir et découvriront qu’ils le sont devenus avec le temps, à condition d’habiter la même langue que nous, en l’enrichissant de leurs accents et de leurs cultures.

En 1643, un an après la fondation de Montréal, la colonie de Boston adoptait une législation qui rendait l’instruction des enfants obligatoire sous peine d’amende pour les parents. La conséquence en sera que la Révolution américaine sera la seule révolution dans l’histoire dont la grande majorité des bénéficiaires pourra lire sa propre Déclaration d’indépendance.

Au Québec, on a pris tout notre temps pour s’assurer que c’était pas une mode passagère, on a attendu jusqu’en 1943 pour adopter une législation similaire, en accusant un retard stratégique de 300 ans. Pis même là, la loi qui a rendu l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans a été adoptée en 1964.

Si on fait le bilan du chemin parcouru depuis un demi-siècle, et surtout en accéléré depuis la fin des années soixante, on peut modestement parler d’un véritable miracle culturel québécois, un miracle qui va de l’affirmation créatrice des peintres à la prise de parole des poètes, de l’éclosion de la chanson à l’apparition des cinéastes, de l’émergence d’une télédramaturgie et d’une dramaturgie nationale à l’invention d’un théâtre pour enfants et d’une littérature jeunesse, de l’explosion de la danse moderne, de la musique contemporaine et de la musique actuelle jusqu’à l’arrivée inopinée du dernier né, le cirque, la multiplication des humoristes, la renaissance de la musique traditionnelle et le retour des conteurs.

Dans tous les domaines de la culture québécoise, la créativité se renouvelle en permanence depuis 30 ans et rien n’indique un épuisement prochain de la ressource. C’est la culture qui a donné et donne une voix et un visage au Québec dans le monde, où la culture québécoise est sa face visible..

Incidemment, si on fait le décompte de ceux et celles qui dessinent les traits de ce visage du Québec dans le monde, et qu’on établit leur âge moyen, on est à même de constater un fait qui pourrait fort bien en étonner plus d’un. Ils ne sont pas issus du cours classique mais des cégeps. Ainsi lorsqu’on reproche à ces derniers de n’avoir produit que des décrocheurs, dont la graine a été semée au primaire pour n’oublier personne, on pourrait également rappeler que les cégeps et le système scolaire qui ont enterré le cours classique ont été et demeurent les incubateurs du miracle culturel québécois.

La défense de la langue française n’a de sens que dans la mesure où cette dernière est l’expression d’une culture québécoise. Il faut que pour les immigrants appelés à en faire l’apprentissage, le français ne soit pas qu’un mode de communication pour les besoins primaires, mais la porte d’accès à une culture accueillante, chaleureuse, exubérante, conviviale et assez ouverte pour embrasser tous ceux et toutes celles qui désirent la partager et y participer pour s’enrichir et l’enrichir, se transformer et la transformer et contribuer à élargir le Québec à la mesure du monde entier.

Pour tous ceux et toutes celles qui fréquentent les écoles francophones du Québec, connaître un ou deux poèmes par cœur ; savoir interpréter une chanson ; apprécier une oeuvre d’art ; prendre plaisir à se retrouver avec d’autres pour assister à un spectacle de danse, une pièce de théâtre ou un concert de musique ; pouvoir identifier les repères historiques dans son propre milieu, en commençant par le nom des rues, des autoroutes, des ponts et de l’école que l’on fréquente, devraient être reconnus comme des facteurs et des critères de réussite tout aussi importants que peuvent l’être la maîtrise de l’orthographe et des mathématiques.

À partir du moment où par le cours naturel des choses, nous sommes devenus ce que nous sommes, une nation et un pays de fait, la culture n’a plus joué le même rôle que dans une colonie de la France ou de l’Angleterre. Elle a cessé d’être un produit d’importation et de grand luxe pour devenir ce qu’elle se doit d’être pour une nation et un pays de fait : une nécessité vitale, donc un besoin premier qui doit s’imposer comme un service essentiel au même titre que la santé, l’éducation et l’enlèvement de la neige.

Le Québec possède actuellement une richesse culturelle incomparable et jouit d’un privilège unique, celui d’être le contemporain de ses classiques. La culture québécoise n’est pas un projet d’avenir ou un souvenir, elle est bien vivante, dans la fleur de son âge et au meilleur de sa forme. Sa transmission se doit d’être reconnue comme une priorité absolue.

Elle se promène partout dans le monde et néglige de plus en plus de rentrer dans ses terres où le bassin du public se rétrécit. Aussi bien pour les auditoires de musique, de théâtre ou d’opéra, pour les amateurs de danse classique ou contemporaine, pour les bouffeurs de livres, l’offre est plus forte que la demande.

Il faut renouveler et élargir les publics. La saignée immigrante vers les cégeps anglophones met en péril la vitalité de la culture québécoise à court terme. L’étape du cégep francophone se doit d’être un passage obligé pour tous les étudiants québécois. L’État du Québec a le devoir et l’obligation de transmettre sa culture à tous ses citoyens.

L’acquisition de l’alphabet culturel est tout aussi importante que celle de l’alphabet courant. Le Québec ne peut pas se payer le luxe d’avoir encore plus d’analphabètes culturels que d’analphabètes fonctionnels.

 Au moment de l’Expo 67, j’ai assisté comme critique dramatique à un nombre impressionnant de spectacles dans le cadre du Festival mondial, dont un de Kathakali qui est une forme théâtrale indienne en provenance du Kerala, un des états les plus pauvres de l’Inde. Il s’adonnait qu’un de mes vieux amis français était un des rares experts mondiaux sur le Kathakali. Je visite la troupe dans les coulisses. Personne ne le connaît. Je m’étonne. Il a longuement séjourné au Kerala et des experts sur le Kathakali, il n’en pleut pas. Le directeur de la troupe finit par m’avouer qu’ils n’ont pas mis les pieds dans leur pays depuis des années.

Il ne faudrait pas qu’à leur image, la culture québécoise devienne cette troupe qui erre de festival en festival pour porter un message qui n’a plus de réalité ou de pertinence dans son pays d’origine.


Notice biographique :

JEAN-CLAUDE GERMAIN, dramaturge, historien et auteur de Nous étions le nouveau monde (Hurtubise HMH).