Accord Canada-Union européenne

2009/10/26 | Par Claude Vaillancourt

Jean Charest remplit ses promesses. Il est bel en bien en train de créer le «grand espace économique» qu’il avait annoncé, un trémolo dans la voix, lors de sa dernière campagne électorale.

Cette semaine, des négociations ont été amorcées pour poser le plus important maillon de son projet : un accord commercial entre le Canada et l’Union européenne. Une façon plus ou moins déguisée de vendre notre pays aux puissantes corporations transnationales européennes.

Les négociations entre le Canada et l’Europe risquent de prendre une ampleur insoupçonnée. «Rien n’est exclu a priori» soutenait-on dans un rapport conjoint Canada-Union européenne intitulé Vers un accord économique approfondi.

Cette ambition a été confirmée par Pierre-Marc Johnson, négociateur en chef du Québec, lors d’une conférence organisée par le Centre d’étude sur l’intégration et la mondialisation de l’UQAM. Selon lui, il ne s’agirait que d’une procédure normale: les négociateurs ne doivent pas se limiter au départ.

On peut tout de même se demander à qui profitera un accord d’une telle ampleur. Derrière le discours officiel qui nous rabat la nécessité d’avoir accès à de nouveaux marchés, à cause d’une saturation du commerce avec notre voisin étatsunien, se cachent les intérêts de très grandes entreprises.

Un article dans L’Actualité de Jean-Benoît Nadeau intitulé «Comment Jean Charest a conquis l’Europe» montre le rôle déterminant du milieu des affaires dans la mise en place de cet accord : liens avec de grandes entreprises telles Bombardier, Alcan, Groupe Secor, la Banque de Montréal; collaboration de Thomas d’Aquino et du Conseil canadien de chefs d’entreprises (CCCE); rencontre lors d’un dîner select à l’Ambassade du Canada à Bruxelles, capitale du lobbying européen, entre le délégué du Québec Christos Sirros et des PDG européens et canadiens; dîner de Jean Charest avec de grands patrons au Forum économique de Davos.

L’auteur oublie l’indubitable contribution de Paul Desmarais, avec ses intérêts dans Suez Lyonnaise des eaux et dans des compagnies d’assurances telles Great-West et London Life, qui obtiendrait de vifs avantages à une privatisation de la gestion de l’eau et à une déréglementation du secteur financier.

Lors de sa conférence à l’UQAM, Pierre-Marc Johnson a affirmé que «l’impulsion de la présidence française a été centrale» pour lancer les négociations. Connaissant la grande amitié qui unit Paul Desmarais et Nicolas Sarkozy, il serait difficile de ne pas y voir un lien concluant.

 

Un menu très peu rassurant

La grande nouveauté du projet d’accord entre le Canada et l’Union européenne est l’inclusion des provinces dans le processus de négociations. Ceci ne relève pas du hasard ni d’une ouverture du gouvernement fédéral à une plus grande décentralisation.

C’est que les provinces s’occupent seules ou en partage avec le fédéral de secteurs particulièrement attirants pour les Européens : l’énergie, la santé, l’éducation, l’eau, la culture, les transports, le secteur financier. Sans compter que les provinces — et aussi les municipalités — gèrent de lucratifs marchés publics.

Autre innovation surprenante : la culture est bel et bien un enjeu des négociations. Le Canada et l’Europe — plus particulièrement la France — sont pourtant les grands initiateurs de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, dont l’objectif principal est justement de retirer la culture des accords commerciaux. Difficile de se retrouver davantage en flagrant délit de contradiction.

Certes, ceux qui négocient les accords commerciaux ont souvent bien peu à voir avec ceux qui défendent la culture. Mais on peut se demander en quoi des négociateurs de commerce peuvent rejeter du revers de la main, et non sans arrogance, une Convention soutenue par leurs compatriotes, appuyée avec enthousiasme par les artistes et travailleurs de la culture, et ratifiée par 103 États membres de l’Unesco.

L’accord Canada-Union européenne risque de porter atteinte à l’intégrité de nos services publics. On connaît l’intérêt des Européens pour la gestion de l’eau, de l’électricité, des autoroutes, entre autres.

La question de l’électricité est particulièrement troublante. Depuis les dernières années, l’Europe a largement privatisé ses réseaux. Il en est résulté de considérables hausses de tarifs. Par exemple, 39% en Suède et au Danemark, 41% au Royaume-Uni, 42% en Finlande.

On peut imaginer qu’une hausse des tarifs d’Hydro-Québec rendra cette entreprise encore plus séduisante aux yeux des Européens. Décidément, le gouvernement Charest a de la suite dans les idées.

Une libéralisation du secteur financier, souhaitée par le CCCE, pourrait à la fois fragiliser notre assurance-automobile et ouvrir le secteur de la santé à une plus grande privatisation. Ces ouvertures favoriseraient de concert tant les compagnies locales qu’étrangères qui bénéficieraient d’un marché particulièrement lucratif.

À une question posée sur une éventuelle ouverture des secteurs de l’électricité et des assurances, Pierre-Marc Johnson a répondu, lors de sa conférence à l’UQAM, qu’il serait délicat de toucher à l’éducation et à la santé!

Les négociateurs de l’accord Canada-Union européenne sont les mêmes qui ont conclu l’Accord sur le commerce intérieur au Canada. Or cette entente soulève de vives oppositions, ne serait-ce que parce qu’elle met en jeu le système de gestion de l’offre, auquel tiennent pourtant les agriculteurs québécois.

Si les négociateurs sont prêts à faire un pareil sacrifice, pourquoi n’en offriraient-ils pas de semblables à l’Europe, en échange, par exemple, d’une diffusion d’OGM ou de viande traitée aux hormones, qu’on cherche depuis tant d’années à introduire dans le marché européen, rébarbatif à ces produits douteux?

 

Succès diplomatique à double tranchant

L’ambition d’établir «un vaste espace économique» comporte donc des risques considérables. Certes, elle flatte l’orgueil d’un État québécois en quête de reconnaissance diplomatique, à défaut d’être indépendant.

Ce qui explique que l’ex-premier ministre du Parti Québécois Pierre-Marc Johnson s’allie à Jean Charest, tous deux partageant l’honneur insigne de négocier avec le géant européen, de prendre l’initiative de cette négociation, avec la bénédiction du gouvernement fédéral et des grands patrons.

Les conséquences risquent d’être lourdes pour les Québécois et les Canadiens. Ces négociations ne se feront pas d’égal à égal, les Européens ayant de puissantes entreprises et une vaste expérience dans la négociation serrée et à leur avantage d’accords commerciaux.

Alors que le gouvernement Charest semblait revenir à la raison avec l’abandon de la «réingénierie» et un recul des PPP, l’accord Canada-Union européenne, qu’il défend avec un zèle constant, nous montre qu’il n’a pas changé d’idée et qu’il peut très bien trouver un nouveau véhicule aux privatisations.

Dans son article de L’Actualité à la gloire Jean Charest, Jean-Benoît Nadeau compare notre premier ministre à La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf de Jean de la Fontaine. Il néglige de nous raconter la fin de l’histoire : «La chétive pécore / s’enfla si bien qu’elle creva», nous dit le poète. À nous de retenir la leçon.