Chute du Mur de Berlin: que célébrons-nous au juste ? (3)

2009/11/10 | Par Pierre Dubuc

(Troisième article d’une série de trois.)

La chute du Mur de Berlin ne serait pas survenue sans l’aval de Mikhail Gorbachev. Son consentement s’inscrivait dans le cadre d’une entente plus large concoctée avec Margaret Thatcher et Ronald Reagan sur l’introduction de la glasnot et la perestroïka en Union soviétique.

Le démantèlement de l’Union soviétique qui va s’ensuivre sera interprété comme la victoire du capitalisme sur le socialisme. C’était la « fin de l’Histoire » ont proclamé les chantres du capitalisme. Désormais, le socialisme sera honni, peu importe sa coloration. La social-démocratie ne sera tolérée que sous la forme de variantes du « New Labour ».

Et, peu importe l’appréciation qu’on puisse porter sur le modèle de socialisme alors en vigueur en Union soviétique, ces événements constitueront une défaite considérable pour l’ensemble du mouvement ouvrier international et par le fait même québécois.

Déjà, au début de leurs mandats respectifs, Thatcher et Reagan avaient donné le signal de l’offensive contre le mouvement syndical en matant la grève des mineurs en Angleterre et celle des contrôleurs aériens aux États-Unis. Tous les autres gouvernements à travers le monde emboîteront le pas.

Le recul ne se traduit pas simplement par des défaites syndicales conjoncturelles, mais par une attaque en règle contre la structure même de la classe ouvrière avec les privatisations, le recours à la sous-traitance et la délocalisation des entreprises vers le Tiers-Monde ou des pays comme la Chine et les Indes. Dans la grande majorité des pays avancés, les effectifs syndicaux fondront comme neige au soleil.

Mais l’offensive ne s’arrête pas là. On attaque l’identité même de la classe ouvrière. Le concept de classe sociale, et plus particulièrement celui de classe ouvrière, se retrouve dans l’angle de tir des idéologues des sciences sociales. Beaucoup d’argent et d’efforts sont alors consacrés à déconstruire le concept de classe sociale. La classe ouvrière est dissoute à un pole dans sa fonction consommatrice – les classes moyennes – et, à l’autre, dans la précarité du travail, l’exclusion et la marginalité.

Le plus ironique est que cette disparition annoncée de la classe ouvrière survient au moment où elle n’a jamais été aussi importante numériquement à l’échelle du monde, avec l’industrialisation de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de nombreux autres pays dits « émergents ».

Malheureusement, il faut reconnaître que la gauche n’a pas été à la hauteur du défi posé par la mondialisation. Elle s’est laissée corrompre par les « nouvelles théories » issues des sciences sociales sur la société « post-industrielle », la société des « services », le « post-modernisme » comme si les produits que nous consommons tombaient des nues.

Elle a fait également siennes des théories qui ont imposé de nouvelles démarcations sur la base des différences ethniques, culturelles ou sexuelles. Ainsi, par exemple, la très capitaliste Belinda Stronach était désormais cataloguée de « gauche » parce qu’elle était favorable au mariage gay. 

Cette gauche faisait aussi une mauvaise analyse de l’évolution de la situation internationale. Elle a adhéré aux vieilles théories du super-impérialisme qui ont resurgi avec le triomphe en apparence sans partage de l’impérialisme américain au lendemain de la chute du Mur de Berlin.

À un monde qui paraissait totalement dominé par les États-Unis, cette gauche a voulu opposer un « autre monde » tout aussi global. À cet impérialisme unique, on ne pouvait, croyait-on, qu’opposer une « révolution mondiale ». 

L’appellation « altermondialiste » illustre bien cette orientation. Elle a délogé le terme « internationaliste » dans le discours de la gauche, biffant sans qu’on y prenne garde le concept de nation, avalisant sans s’en rendre compte le nivellement culturel et l’érosion des nations par l’impérialisme et accréditant le fondamentalisme religieux comme opposition.

Mais la loi du développement inégal du capitalisme allait encore une fois opérée et le monde unipolaire de l’après dissolution de l’Union soviétique est aujourd’hui battue en brèche avec le recul des États-Unis durement frappés par la crise financière et économique et la montée en puissance de la Chine, des Indes et des autres pays émergents, sans négliger l’Europe et la Russie. L’hégémonie américaine est aujourd’hui contestée sur la scène mondiale.

Pendant que les médias célèbrent la fin de la Guerre froide, nous nous retrouvons face à une situation internationale de plus en plus similaire à celle qui prévalait à la veille de la Première Guerre mondiale. Les grandes puissances se préparaient alors à déclencher les hostilités pour se repartager le monde et s’en redistribuer les ressources.

Aujourd’hui, nous savons que la présence des États-Unis en Irak et de l’OTAN en Afghanistan ne se comprend que dans le cadre stratégique du contrôle des champs gaziers et pétrolifères du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, qui font aussi l’envie de la Russie, de la Chine et des Indes.

La Guerre froide est chose du passé, mais la prochaine guerre mondiale a peut-être déjà commencé en Irak et en Afghanistan. Comme le disait le grand socialiste Jean Jaurès, « le capitalisme porte la guerre, comme la nuée porte l’orage ».

Dans ce contexte, il est essentiel de réhabiliter les questions ouvrière et nationale, de les  refonder sur des bases démocratiques et d’analyser en fonction de ces intérêts ouvriers et nationaux les événements internationaux si nous voulons éviter une catastrophe humaine et environnementale.

Sinon, les paroles de Leonard Cohen placées en exergue du premier article de cette série « I’v seen the future, brother:It is murder » seront malheureusement prophétiques.

 

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Le premier article
L’impact de la chute du Mur de Berlin sur le Québec

Le deuxième article
Le « nationalisme civique » et le fondamentalisme religieux, les deux faces d’une même pièce frappée à Berlin