Loi 104, l’enjeu : 18 % des effectifs des écoles anglaises

2009/11/13 | Par Frédéric Lacroix

Le 11 novembre 2009 avait lieu au centre St-Pierre une table ronde organisée par l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA). Le thème de la table ronde était « Le jugement de la Cour suprême du Canada sur la loi 104 menace-t-il l’équilibre linguistique ? ».

Les conférenciers invités étaient Mme Eugénie Brouillet, professeure de droit constitutionnel à l’Université Laval, M. Robert Maheu, démographe et M. Benoit Dubreuil, chercheur post-doctoral à l’UQÀM.

Les trois conférenciers avaient été invités pour faire le tour des aspects juridiques, démographiques et politiques de la question. Une soixante de personnes s’étaient déplacées pour l’occasion.

La présentation de Mme Eugénie Brouillet concernant l’aspect juridique de la question, aspect d’ordinaire si opaque et ennuyeux, fut limpide.  Elle fit une brève synthèse des articles contenus dans la Charte canadienne des droits et un retour sur l’arrêt Solski donné par la Cour suprême en 2005.

Elle expliqua que l’article 23 de la Charte garantissait l’accès à une éducation en anglais au Québec pour deux catégories de parents : ceux ayant reçus la majeure partie de leur instruction primaire en anglais au Canada et ceux qui sont citoyens canadiens, sans être anglophones, dont un enfant a reçu la majeure partie de son enseignement en anglais au Canada.

L’arrêt Solski de 2005 portait sur la deuxième catégorie de parents et élargissait considérablement l’interprétation de « la majeure partie », critère qui devait maintenant être considéré de manière qualitative par les fonctionnaires québécoise chargés de l’application de la loi et non plus  de manière quantitative selon la Cour.

L’on devait juger au cas-par-cas et considérer « l’authenticité de l’engagement des parents envers le cheminement scolaire en langue minoritaire ».  Bref, un désir d’assimilation assez fort à l’anglais est une raison suffisante et doit donner accès aux école anglaises publiques selon la cour suprême.

Une interprétation strictement individuelle des droits qui est en contradiction flagrante avec les dispositions de la loi 101.  Voilà un arrêt qui élargit considérablement le bassin de recrutement de l’école anglaise.

L’arrêt Nguyen concernant la loi 104 promulgué récemment fait maintenant tomber l’interdiction de tenir compte du temps passé dans les écoles passerelles pour juger de « l’authenticité de l’engagement des parents ».  Voilà un autre élargissement majeur du bassin de recrutement de l’école anglaise.

Bref, nous assistons au retour du libre-choix de la langue d’enseignement, mais un libre-choix pour les gens qui peuvent se le payer. Comme le coût d’une année passée dans une école anglaise privée non subventionné achète le droit à la fréquentation pour tous les frères et sœurs et tous les descendants, il n’est pas si faramineux, et est accessible à un large bassin de la population.

Le deuxième conférencier, M. Robert Maheu, a parlé des impacts quantitatifs des changements législatifs des 40 dernières années sur la fréquentation des écoles anglaises. 

Il a démontré que les effectifs relatifs des écoles anglaises étaient stables depuis 2004-2005, en partie grâce à la loi 104, alors que l’augmentation des effectifs était constante préalablement.

Il a démoli l’affirmation de Mme Debbie Horrocks présidente du Quebec English School Boards Association, contenue dans une lettre ouverte récemment publiée, selon laquelle l’invalidation de la loi 104 permettrait à 500 élèves tout au plus de fréquenter l’école anglaise, « une bouffée d’oxygène », selon elle.

Selon les calculs de M. Maheu, basés sur la fréquentation des écoles passerelles en 2001-2002, soit avant l’adoption de la loi 104, l’impact de l’arrêt Nguyen serait plutôt de 11 000 élèves, soit environ 9 % des effectifs actuels des écoles anglaises au Québec.

Selon M. Maheu, un calcul moins conservateur pourrait même donner le double, soit 22 000 élèves ou 18 % des effectifs actuels des écoles anglaises.

Tenant compte du fait que la fréquentation des écoles passerelles avait doublé de 1998 à 2002 avant la loi 104 et du fait que l’immigration est en forte hausse au Québec, peut-on aller jusqu'à penser que ce 11 000 ou 22 000 est un chiffre qui doublera tous les 4 ans?

Loin d’être une simple « bouffée d’oxygène », le jugement conduira plutôt à une explosion démographique du réseau des écoles anglaises et à un élargissement considérable de la base démographique de la communauté anglaise au Québec.

On comprend mieux pourquoi les commissions scolaires anglaises ont déboursé des centaines de milliers de dollars en fonds publics en frais d’honoraires à M. Brent Tyler pour contester la loi québécoise. Le français recule déjà à bon pas au Québec, ce jugement le fera reculer à la course.

Pour conclure, M. Benoit Dubreuil a livré un exposé faisant le lien entre le contexte lié aux accommodements raisonnables et celui concernant la situation linguistique, montrant que, dans les deux cas, l’obligation de traiter les dossiers au cas-par-cas est susceptible de conduire à des dérapages majeurs et à la négation de la volonté exprimée par la majorité de la population québécoise.

Selon l’avis unanime des conférenciers, il faut agir sur cette question. La solution préférée étant d’appliquer les dispositions de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées. Il faut également reprendre l’offensive linguistique dans d’autres secteurs selon M. Dubreuil, citant les cégeps et les hôpitaux.

Ne manquez pas l’assemblée publique du lundi, 16 novembre. Pour les détails, cliquez ici.

Vous pouvez visionner
L'allocution de Eugénie Brouillet
L'allocution de Robert Maheu
L'allocution de Benoit Dubreuil