Le plan Puebla-Panama : un plan Colombie bis

2009/11/24 | Par André Maltais

Le 24 juillet dernier, au Costa-Rica, se tenait le 9e Sommet Tuxtla qui vise à faire discrètement progresser le Plan Puebla-Panama, un ramassis de mégaprojets d’infrastructures pour rendre supposément plus « compétitive » la région qui va du sud mexicain jusqu’au Panama.

En réalité, ces infrastructures sont nécessaires pour assurer aux transnationales états-uniennes un meilleur accès aux ressources naturelles d’Amérique centrale; en d’autres mots, pour répondre aux besoins de l’économie états-unienne.

Réunissant les chefs d’état d’Amérique centrale (encore sous le choc du succès prolongé du coup d’état au Honduras) bien encadrés par ceux du Mexique, de la République Dominicaine et de Colombie, le Sommet a décidé de poursuivre un plan d’intégration pourtant rejeté par un nombre incalculable d’experts et représentants des populations locales.

Pour ceux-ci, le modèle de globalisation néolibérale qui sous-tend le plan est le grand responsable de la récente crise financière mondiale et il ne peut apporter, dans la région, qu’aggravation des inégalités, déplacement de populations et destruction environnementale.

Le plan est tellement impopulaire qu’on en a changé le nom! L’an dernier, le plan Puebla-Panama est devenu le MIDP, sigle anglais pour Projet d’intégration et de développement mésoaméricain.

C’est le douteusement élu président mexicain, Felipe Calderon, qui, en 2007, relançait un projet presque complètement arrêté par la résistance populaire locale.

Parmi les projets prioritaires du MIDP on compte la construction d’un système électrique inter-relié pour l’Amérique centrale (SIEPAC) avec une ligne de transmission allant du Guatemala au Panama, l’installation de 381 barrages hydro-électriques, le tracé d’un réseau de 10’209 kilomètres d’autoroutes prioritairement le long de l’Océan Pacifique, la construction d’usines de biocarburants et la création de monocultures destinées à l’agrobusiness.

En tout, une centaine de projets pour un coût estimé à plus de huit milliards de dollars.

Le plan intervient dans l’une des régions les plus riches, mais aussi les plus fragiles de la planète en termes de diversité de ressources naturelles, biologiques et culturelles. L’Amérique centrale renfermerait 7 % des espèces naturelles connues dans le monde, mais seulement le cinquième de sa végétation est encore préservé.

L’organisation états-unienne, Strategic Conservation, a étudié l’un des projets du MIDP. Il s’agit du corridor autoroutier le long du Pacifique (projet RICAM) dont elle conclut qu’il détruira 311’170 hectares de jungle maya au cours des trente prochaines années.

RICAM, dit l’étude, va fragmenter l’habitat des jaguars en seize « petits morceaux », augmenter la vulnérabilité des écosystèmes aux ouragans et feux de forêts, faciliter les inondations et glissements de terrain de même que les coupes illégales de bois et le commerce illégal de flore et de faune sur le marché noir.

L’étude ne voit « presque aucun bénéfice pour les populations paysannes et indigènes locales », prévoyant, au contraire, « de nombreux dommages possibles à leurs activités économiques traditionnelles » de pêche et d’agriculture familiale.

Pour des organisations telles OFRANEH (Organisation fraternelle des noirs honduriens) et des populations comme celle des indiens Garifuna, le MIDP n’est rien d’autre qu’une intervention étrangère dans les territoires nationaux de la région.

Ils citent, en exemple, un projet de la Banque interaméricaine de développement qui s’est soldé par le remplissage des terres humides de Laguna de Micos (Honduras) et a rendu vulnérables aux inondations toutes les populations locales.

Dans le sud mexicain, l’organisation indigène UCIZONI, dans l’isthme de Tehuantepec, rapporte que les programmes d’assistance aux populations locales du MIDP ont même des résultats négatifs dans les communautés, car les gouvernements locaux en profitent pour cesser leurs propres aides qui, souvent, étaient plus importantes et à plus long terme.

En fait, dit Laura Carlsen, du Programme des Amériques, dans un article paru dans le magazine mexicain, El grito, ces « populations locales sont des objets que les investisseurs étrangers croient pouvoir déplacer à volonté, de simples obstacles aux desseins de ces derniers » avec un résultat net de pertes d’emplois et d’émigration pour les régions et territoires affectés.

Mais, en plus du schéma d’intégration économique, le Sommet Tuxtla 2009 a fait beaucoup de place à une nouvelle et inquiétante invitée : la sécurité.

Ainsi, la déclaration finale de Guanacaste, ne consacre-t-elle pas moins de dix points à la guerre contre la drogue et le crime organisé, demandant même au gouvernement des États-Unis d’augmenter les ressources destinées à l’Initiative de Mérida.

Celle-ci consiste en une aide financière et technique états-unienne au Mexique, destinée soi-disant à la lutte contre le crime organisé et sa principale activité, le trafic de drogue.

L’initiative, conçue par l’administration de George W. Bush pour promouvoir sa stratégie de sécurité nationale et son modèle antiterroriste, est quasi identique au Plan Colombie.

Au Mexique, rappelle Laura Carlsen, depuis son application, en 2007, l’initiative a amené 45’000 soldats dans les rues et multiplié par six les rapports sur des violations des droits humains par les militaires. Le niveau de violence a fait 12’300 morts liées au trafic de drogue.

En outre, l’initiative de Merida permet à un nombre croissant d’agents du gouvernement états-unien d’opérer en territoire mexicain jusque dans des éléments vitaux pour la souveraineté de ce pays comme le sont ses forces armées et de police, ses cours juridiques et ses organisations d’intelligence.

Tout cela sans la moindre obligation de la part des États-Unis qui sont le plus grand marché mondial pour les drogues illégales et une zone des plus faciles d’accès.

L’Initiative de Merida contient aussi des mesures répressives pour endiguer le flux d’immigrants centroaméricains vers le Mexique et les États-Unis et mène à la criminalisation des protestations sociales, avec des dirigeants et membres de mouvements sociaux faussement accusés de trafic et production de drogue ou de terrorisme.

Pour OFRANEH, le MIDP « est la carotte qui vient avec le bâton de l’Initiative de Merida. Le trafic de drogue et les membres du gang Mara Salvatrucha sont devenus prétexte à la militarisation graduelle de l’isthme centroaméricain bien que les deux problèmes arborent visiblement l’étiquette Made in USA ».

Mené par deux pays militarisés, le Mexique et la Colombie, le Sommet se félicite également d’entamer « un processus de négociation vers une convergence de traités de libre-échange entre le Costa-Rica, le Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et le Mexique ».

Cela montre, écrit Laura Carlsen, que le MIDP fait partie d’une « revitalisation de la ZLÉA après que celle-ci eut frappé un mur de résistance dans les Andes et les pays du Cône Sud ».

Enfin, le Sommet de juillet étend et renforce un processus en cours, lui aussi amorcé par l’administration Bush, et baptisé « Voies de la prospérité » (Path to Prosperity).

Il s’agit d’une alliance de pays situés le long de l’Océan Pacifique et ayant en commun la conclusion d’un traité de libre-échange avec les États-Unis. Le but est de miner l’union des pays sud-américains ayant, à divers degré, rejeté le modèle néolibéral.

Les pays à allier sont surtout le Chile, la Colombie, le Pérou, le Panama et le Mexique et, une fois cette alliance réalisée, l’Équateur resterait l’unique débouché sur le Pacifique (et l’Asie) pour le Brésil et ses partenaires du Mercosur.