Présumés coupables… de pédophilie?

2009/12/01 | Par L’aut’journal 

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) dénonce l’obligation faite aux écrivains et aux artistes du programme « La culture à l’école » de montrer patte blanche dans les institutions d’enseignement de la Commission scolaire de Montréal, en procédant à une vérification de leurs antécédents judiciaires. Le président de l’UNEQ, Stanley Péan, a rédigé le scénario qui suit...

La télé américaine présentait récemment une nouvelle version de la série britannique Le Prisonnier. Sans doute vous rappelez-vous l’originale, génial amalgame de Kafka, Orwell et Carroll, avec en vedette le regretté Patrick McGoohan dans le rôle du Numéro 6, un ex-espion qui, au lendemain de sa démission des services secrets de Sa Majesté, se voit incarcéré dans un Village surréaliste où les gens portent un numéro au lieu d’un nom et où on ne peut distinguer les geôliers des détenus, une sorte de paisible colonie de vacances, au périmètre gardé par d’énormes ballons blancs et rugissants.

De la nouvelle production, ultra-léchée mais décevante, j’ai retenu un échange entre le Numéro 6 et le Numéro 909, chargé de surveiller leurs concitoyens pour le compte des autorités. « Au fond, tout le monde est coupable, Numéro 6 », d’affirmer candidement son interlocuteur. « Il nous suffit juste de déterminer de quel crime exactement. »

J’ai repensé à ce propos kafkaïen en méditant sur l’obligation désormais faite aux écrivains et aux artistes du programme « La culture à l’école » de montrer patte blanche avant d’entrer dans les institutions d’enseignement.

Selon un avis publié par la Commission scolaire de Montréal, tout individu, contractuel inclus, œuvrant auprès d’élèves mineurs ou se trouvant en contact régulier avec eux devra fournir avant embauche un document de vérification de ses antécédents judiciaires, en s’adressant exclusivement à l’une des quatre firmes retenues par la Commission, et ce au coût de 80 $.

Il s’agirait, conformément au souhait du gouvernement du Québec, d’établir « si le demandeur [en l’occurrence, l’écrivain ou l’artiste invité] aurait été condamné ou mis en accusation pour une infraction criminelle ou pénale, de [vérifier] également s'il a déjà fait preuve d'un comportement faisant craindre pour la sécurité physique ou morale des personnes sous sa responsabilité ».

Soyons clairs : nous parlons de présentations d’une durée d’environ une heure, au cours desquelles les écrivains et les artistes ne sont jamais laissés seuls avec les jeunes, puisque au moins un professeur titulaire est tenu d’y assister.

Alors que redoute-t-on au juste?

Certes, nul n’est contre la vertu. Nous sommes pleinement conscients de la nécessité de protéger nos enfants contre les prédateurs sexuels en cette ère où la pédophilie passe, dans certains cercles, pour l’expression du nec plus ultra de la sensibilité esthétique.
Il nous apparaît cependant inacceptable, dans notre système judiciaire qui repose sur la présomption d’innocence, que l’on contraigne des individus à prouver qu’ils ne sont pas coupables de crimes dont on n’ose les accuser formellement.

Il faudra un jour en arriver à aborder le sujet de la pédophilie sans sombrer dans la banalisation et sans non plus enfourcher le destrier des défenseurs puritains de la morale publique. En attendant, nous nous insurgeons contre l’idée que l’on fasse porter le fardeau de la preuve à des écrivains et à des artistes pourtant inscrits dans un programme relevant de l’État, qu’on les ostracise avec une forme inédite de la présomption de culpabilité.

Si vraiment quelques fonctionnaires en croisade estiment les jeunes en danger, qu’on instaure un formulaire de plus par lequel les écrivains et les artistes consentent à ce que le ministère de l’Éducation et le ministère de la Culture se chargent conjointement de confirmer qu’ils ont été « approuvés judiciairement ».

Ou alors qu’on équipe nos écoles d’énormes ballons blancs, capables de détecter le degré de culpabilité de ceux qui y entrent…

Source : UNEQ