Pierre Perrault, un géant parmi nos géants

2009/12/10 | Par Alain Dion

Le territoire, c’est purement physique. Le royaume, c’est intime,
c’est le sentiment d’appartenance. Si tu envahis un territoire avec
des films, des chansons, là tu occupes le territoire de l’âme.
C’est là que tu as conquis l’autre. Tu peux conquérir le territoire physique,
l’âme est toujours là pour dire «c’est chez moi ici». 
(source : ONF)

                                                         Pierre Perrault

 

Difficile de trouver de la lumière dans la morosité politique et sociale ambiante.

Difficile de puiser présentement un quelconque sentiment de fierté ou d’appartenance dans le mépris et la négation de la voix du peuple du Québec par les gouvernements canadiens et québécois.

Difficile de haler au présent la force de bâtir le royaume de demain, au pays des petits politiciens de petits pouvoirs. Il faut donc regarder ailleurs. Du côté des géants.

Et nous sommes choyés au Québec. Un homme a passé sa vie à écouter, à regarder vivre et à mettre en lumière les géants d’ici. Son nom : Pierre Perrault. Son métier : cinéaste. Son héritage : une filmographie documentaire inestimable.

Un cinéma nourri à la source du réel, le cinéma direct, truffé de personnages plus grands que nature, doté d’une parole tricotée dans tous les accents du pays, un cinéma imprégné d’une quête d’identité qui a contribué à la renaissance du peuple du Québec.

Un patient travail de collection qui a permis aux gens de chez nous de retrouver leur dignité et de «sortir la tête d’entre les deux épaules» comme le disait si bien à sa façon Jocelyn Bérubé, un autre géant, conteur celui-là.   

Rééditée en format DVD au cours des derniers mois par l’Office national du film, l’œuvre de Pierre Perrault permet, à qui veut voir et entendre, de faire un voyage exceptionnel au coeur d’une quête identitaire ancrée dans l’Histoire récente d’un Québec en devenir. 

 

La parlure d’ici

Le cinéma de Pierre Perrault, c’est d’abord et avant tout un cinéma de la parole, de la parlure pourrait-on dire, tellement la langue d’ici y occupe une place centrale.

En plus de découvrir tout le génie ancestral des gens de l’Île-aux-Coudres et la vivacité des mœurs et coutumes de ses habitants, c’est à un véritable festin pour l’oreille que nous convie le cinéaste dans sa trilogie consacrée à cette société insulaire.

À travers ses films Pour la suite du mondeLes voitures d’eau ou encore Le règne du jour, Perrault nous invite avec brio à découvrir toute la richesse d’une langue qui s’en donne à coeur joie.

Comment alors ne pas s’abreuver aux sages paroles du patriarche Alexis Tremblay, s’amuser aux élucubrations fascinantes de Grand Louis Harvey ou s’attendrir devant la poésie de Marie, la femme d’Alexis. Un véritable délice pour quiconque aime la langue de chez nous.

 

Identité et fraternité 

Moi j’essaie de découvrir en chaque homme une inspiration

À travers son œuvre, Pierre Perrault l’humaniste, a patiemment cherché à dessiner le portrait juste d’une société en mouvement, en lui offrant une dimension universelle, fréquentant tour à tour nos cousines et cousins de l’Acadie, nos soeurs et nos frères Amérindiens ou encore nos ancêtres Bretons.

De L’Acadie l’Acadie!?! à Un pays sans bon sens, d’Un royaume vous attend au film Le goût de la farine, Perrault réussit à bâtir, mot à mot, plan par plan, les fondations identitaires du peuple du Québec dans un esprit de grande fraternité.

Qu’il accompagne le biologiste Didier Dufour dans sa définition de l’album québécois, qu’il observe les questionnements de Maurice Chaillot ce franco-albertain en exil ou qu’il témoigne de la résistance fulgurante d’Hauris Lalancette, ce politicien agriculteur de l’Abitibi, tout le cinéma de Perrault est dédié à la grandeur de l’Homme.        

 

Des complices et artisans sans égal

Mais le cinéma de Pierre Perrault n’existerait pas sans l’apport inestimable (au cinéma d’ici, comme au cinéma international d’ailleurs, il faut le dire!) de complices qui l’ont accompagné dans cette vaste aventure du cinéma direct.

Comment ne pas souligner la poésie, la patience, la complicité et la lumière des images de Michel Brault, de Bernard Gosselin, de Martin Leclerc.

Comment ne pas s’émerveiller devant les prouesses et la magie du montage de Werner Nold, de Monique Fortier, de Suzanne Dussault ou devant la virtuosité de la prise de son de Marcel Carrière, de Serge Beauchemin et de Claude Beaugrand.

Avec Perrault, ces artisans d’ici ont façonné le visage d’un cinéma unique, bien à nous, à notre image, à notre (dé)mesure. Un cinéma reconnu et applaudi à la grandeur de la planète. 

 

D’un géant à l’autre

Pierre Perrault nous a quitté, il y a déjà 10 ans. Force est de constater que l’héritage de ce géant d’ici est d’une richesse inouïe. Son acuité à saisir le réel, toujours aussi nécessaire.

D’ailleurs, regardez bien autour de vous, tendez l’oreille. Ce pays est peuplé de géants, d’hommes et de femmes, qui, au quotidien, dessinent les contours d’un royaume où l’âme d’un peuple est profondément enraciné dans le territoire du Québec.

P.S. Je vous invite à visiter le site Internet de l’ONF qui a eu l’heureuse initiative de mettre à notre disposition une très large part de sa production cinématographique. Vous pouvez d’ailleurs visionner gratuitement une partie de l’œuvre de Pierre Perrault en cliquant sur ce lien.