Accommodements religieux : Québec solidaire ose aller à contre-courant… de la modernité

2010/01/14 | Par Daniel Baril

L’auteur est anthropologue, journaliste et militant laïque

C’est un véritable salmigondis que nous a servi Benoit Renaud, secrétaire général de Québec solidaire, dans son article sur les accommodements religieux publié dans Le devoir du 6 janvier.

Parmi les nombreuses lacunes et faiblesses de cet article, soulignons celle qui consiste à réduire la religion à un droit individuel, vision également au cœur du rapport Bouchard-Taylor. Si cela est exact sur le plan juridique, il n’en demeure pas moins qu’il n’existe pas de religion individuelle : toute religion est par définition collective et est porteuse d’une vision philosophique et politique de la société.

Toute religion cherche ainsi à influer sur la politique et les demandes d’accommodements religieux ne sont que la méthode douce pour y arriver. Les accommodements consentis à une personne sont par la force des choses reconnus à tous ses coreligionnaires.

Benoit Renaud écrit qu’«il ne faut pas confondre politique et religion» et que «aucune conviction politique ne demande à ses adeptes de porter un symbole ou un vêtement particulier». Une telle séparation du religieux et du politique n’existe pas chez les intégristes ou chez les religieux conservateurs de toute religion. Le hidjab, par exemple, est considéré par bon nombre de musulmans comme étant l’étendard de l’islamisme, c’est-à-dire de l’islam politique.

Dans chaque religion, des croyants se distinguent des autres par leur habillement et y accordent une importance si grande qu’ils veulent faire prévaloir ce signe distinctif sur toute adaptation aux mœurs actuelles.

Quelle différence y a-t-il entre une musulmane voilée et une autre qui ne porte pas le voile, entre un sikh qui porte le kirpan et un autre qui accepte un symbole de kirpan, entre un juif qui porte la kippa et un autre qui n’a aucun signe distinctif? Il faut y voir la même différence qu’entre un catholique qui porte un béret blanc et un autre qu’on ne reconnaît pas sur la rue.

Tous les conservateurs religieux ont en commun le refus de la modernité, alors qu’ils bénéficient de ses avantages économiques, démocratiques et technologiques. Pour eux, le politique doit être subordonné au religieux et ceci constitue une vision politique de la société.

On objectera qu’il se trouve aussi des intégristes religieux qui ne portent aucun signe distinctif. Soit. Mais ceux-là ne cherchent pas à planter leur étendard au cœur de l’État en guise de symbole victorieux.

Il fut un temps où la modernisation de l’État a servi de locomotive aux réformes religieuses, amenant de gré ou de force les religions à s’adapter à la vie moderne. Les catholiques et les protestants, par exemple, ont cessé de faire jeûner les enfants, ont assoupli la règle d’observance du dimanche, ont abandonné les vêtements contraignants pour les religieux et religieuses, etc. En cédant aujourd’hui aux demandes d’autres groupes religieux, l’État se fait lui-même eunuque et renonce à être le moteur de cette modernisation toujours à poursuivre.

Les «accommodementalistes» présentent ainsi le triste spectacle d’une classe intellectuelle qui s’aplatit devant l’intégrisme politico-religieux sous le faux prétexte de la défense de la liberté de religion. Jamais leur discours n’est-il accompagné d’une mise en garde ou d’une critique à l’égard de croyances religieuses bien souvent tout aussi ridicules qu’anti-humanistes.

Au nom de quoi, se demande Benoit Renaud, interdirait-on à un fonctionnaire de porter un signe religieux? Au nom du même principe qui a amené les commissaires Bouchard et Taylor à demander que ces signes soient interdits aux juges, aux procureurs de la couronne, aux policiers, aux gardiens de prison et au président de l'Assemblée nationale qui doivent s’imposer un devoir de réserve quant à l’expression de leurs convictions religieuses parce qu’ils représentent l’État.

La réserve n’est ni pire ni moins acceptable que celle demandée aux enseignants qui acceptent de mettre en veilleuse leur liberté d’opinion dans le cadre de leurs fonctions pédagogiques.

En définitive, les accommodements religieux déresponsabilisent les croyants face aux conséquences de leurs propres choix. Si je décide de devenir chaman et de porter un panache d’orignal, je ne dois pas m’attendre à devenir pompier ni danseur de ballet.

Le secrétaire général de Québec solidaire associe par ailleurs le refus du hidjab à de l’islamophobie. Pourtant, 90% des musulmanes de Montréal ne portent pas de voile et de très nombreuses, qui savent y voir les couleurs de l’intégrisme, réclament son bannissement des institutions publiques. Ces musulmanes sont-elles islamophobes? Ce sont ces femmes progressistes et courageuses qu’il faut soutenir et non celles qui sont envoyées au front de la lutte anti-modernité et anti-laïcité.

On m’objectera que plusieurs musulmanes portent le voile par libre choix. Mais comment ce supposé libre choix s’est-il instauré? Cette position révisionniste est un déni de l’histoire récente et sanglante du hidjab dont le port «volontaire» s’est imposé à coup de dizaines de milliers de femmes assassinées pour le seul fait de ne pas l’avoir porté. On ne peut ignorer cette réalité et se réfugier derrière la «polysémie du voile» comme le font les défenseurs de l’accommodement.

Si le texte du secrétaire général de Québec solidaire représente les convictions profondes du parti, on ne pourra compter sur ce parti pour défendre les acquis de la modernité et de la démocratie ni pour établir la laïcité au Québec.