Laïcité : pour un débat large, ouvert et démocratique

2010/01/20 | Par Françoise David et Amir Khadir

Françoise David est présidente et porte-parole de Québec solidaire
Amir Khadir est député de Mercier et porte-parole de Québec solidaire

Depuis plusieurs mois, voire quelques années, un débat intense porte sur la laïcité telle que nous voudrions la compléter au Québec. La crise des accommodements raisonnables a propulsé cette question au premier rang des débats sociaux.

 

Pour un État laïque et un débat nécessaire

Québec solidaire est en faveur d’un Québec laïque tant pour l’État que pour ses institutions. En même temps, nos membres réunis en congrès en novembre dernier ont signifié leur attachement aux libertés fondamentales, y compris la liberté de conscience religieuse.

Nous soutenons qu’un débat est nécessaire pour parachever la laïcité de l’État québécois et de ses institutions. À l’instar du Mouvement laïque québécois, Québec solidaire a exigé du gouvernement du Québec qu’il organise un débat sur la laïcité pour en arriver aux plus forts consensus possibles et les inscrire dans un texte. Ce débat devrait inclure l’ensemble des Québécoises et des Québécois de toutes origines : pour nous, la discussion sur la laïcité n’en est pas une sur les immigrants-es!

Plusieurs questions restent à trancher et touchent aussi bien la majorité francophone que les minorités.  Par exemple, le crucifix accroché au-dessus de la tête du président de l'Assemblée nationale est considéré par certains comme un objet patrimonial et devrait y demeurer.  Pour d’autres, il s’agit d’abord et avant tout d’un symbole, placé au cœur d’une institution laïque par Maurice Duplessis pour sceller l’alliance entre l’Église et l’État.  Ce crucifix devrait donc être déplacé.


La laïcité : mère d’une  modernité inclusive

Chez les tenants de la laïcité « à la française », on invoque souvent la loi de 1905. La loi sur la laïcité, introduite en France par le député socialiste Briand, s’inscrivait dans un grand mouvement républicain soucieux d’opérer de façon décisive une séparation entre l’État et les pouvoirs religieux et de consacrer ainsi la neutralité de l’État français devant toutes les religions. La loi mettait fin en même temps à la discrimination dont étaient victimes les protestants dans l'accès à des postes dans la fonction publique et dans l'enseignement.

Deux visions s'affrontaient alors en France. Le courant radical d’Émile Combes, sénateur de la Gauche démocratique, héritier d'une tradition anticléricale très affirmée, voulait instrumentaliser l’État et le principe de laïcité pour mener un combat sur le terrain des croyances, ce qui peut conduire à une possible limitation de la liberté de conscience.

Mais pour le courant modéré du leader socialiste Jean Jaurès et du ministre Aristide Briand, eux-mêmes non-croyants, la lutte idéologique contre le clergé devait être distinguée de la responsabilité de l'État. L'État devait s'assurer de rester à l'abri du pouvoir religieux mais « la république, c'est le droit de tout homme, quelque soit sa croyance religieuse, à avoir sa part de la souveraineté » comme le rappelait Jaurès.

Telle que conçue par Briand et Jaurès, la laïcité est tout aussi soucieuse de la neutralité des institutions de l'État face aux croyances, que de garantir la liberté de conscience de chacun-e, en conformité avec la Déclaration des droits de l'homme.

C'est cette conception moderne qui a finalement prévalu. La liberté de conscience est l’un des principaux fruits de la contribution des Lumières à la civilisation occidentale et a joué un rôle incontestable dans l'émergence de la modernité. Elle est devenue en 1905 l’un des piliers de la laïcité française, avec l’égalité en droit des options spirituelles et religieuses et la neutralité du pouvoir politique.

Aux yeux de Québec solidaire, défendre la liberté de conscience de l’autre est donc fondateur de la modernité, qui a pour ainsi dire le projet d’inclure et non d’exclure.

 

Le voile : ni obligation, ni interdiction

Nous sommes souvent interpellés sur notre position face au voile porté par une minorité de femmes musulmanes au Québec. Nous tenons à rappeler que le port de signes religieux dans la fonction publique est seulement l’une des questions que l’on doit débattre dans le cadre d’une démarche vers un État complètement laïque. Mais comme notre position sur le port du voile en questionne plusieurs, nous tenons à la réexpliquer ici.

Le voile est apparu il y a au moins 4000 ans, chez les Sumériens, bien avant l’islam, le christianisme et même le judaïsme. Il est devenu avec les religions judéo-chrétiennes et musulmane un instrument de contrôle du corps des femmes, et incontestablement, un signe d’oppression patriarcale.

Son idée s'est imposée par des textes « sacrés »,  écrits de mains d’hommes ayant vécu dans des sociétés archaïques qui ne reconnaissaient pas l’égalité des droits entre les femmes et les hommes. Un parti féministe comme Québec solidaire rejette donc l’obligation du port du voile : il n’y a aucune ambigüité là-dessus.

Nous rejetons tout aussi clairement les attaques aux droits et aux libertés des femmes, toutes les façons de leur dicter leur conduite, que cela vienne des pouvoirs religieux ou politiques. Les femmes doivent être libres, autonomes et citoyennes à part entière dans toutes les sociétés. Leur corps leur appartient, elles doivent pouvoir en disposer librement. 

Qu’en est-il au Québec? Des femmes aux trajectoires de vie et aux références très différentes sont parmi nous. Elles évoluent dans un Québec qui a beaucoup avancé au niveau de l’égalité entre les femmes et les hommes depuis 40 ans. Un Québec cependant non exempt de sexisme et qui discrimine particulièrement les femmes immigrantes à qui des employeurs refuseront un emploi sous divers prétextes.

Comment alors protéger les droits et libertés de toutes les femmes sans exclure certaines d’entre elles du marché du travail, par exemple? A quelle fin priverait-on celles qui portent un voile de l’espace de participation à la vie active qui passe par le travail, ce qui les condamnerait à rester prisonnières de ghettos communautaires souvent conservateurs?  Rejeter l’obligation de porter un voile donne-t-il le droit de priver des femmes musulmanes de la possibilité de travailler pour le plus important employeur québécois : l’État ? Les détenteurs du pouvoir religieux qui prescrivent le voile seraient les premiers ravis de voir des femmes confinées à l’espace domestique, plus facilement soumises à leur emprise. C’est ainsi que nous rajouterions un voile, l’exclusion, au voile-tissu.

Pour nous, il importe de faire la lutte aux obligations vestimentaires et comportementales religieuses sur le terrain des idées. Nous devons dire que ces obligations, y compris l’imposition de vêtements qui couvrent les femmes - car leur corps serait « une occasion de péché ! » - sont rétrogrades et sexistes. Et nous devons offrir assistance et protection à celles qui veulent résister à leur imposition par des hommes ou par des communautés.

 

Défendre tous les droits de toutes les femmes

Québec solidaire a donc opté pour une solution – qui ne saurait prétendre être parfaite – qui consiste à cheminer ensemble, avec ces femmes qui ont des batailles à mener, des libertés à conquérir. Cette défense de l’autre, même de celle ou de celui qui diffère de nos idées ou de nos croyances, est comme on l’a vu plus haut, l’essence même de la démocratie et du principe républicain de la laïcité.  Cela n’a rien à voir avec le relativisme culturel et le multiculturalisme.

La neutralité de l’État, exigée par la laïcité, est déterminée par les actions de celles et ceux qui y travaillent et non par leur tenue vestimentaire. Nous avons donc opté pour la non-interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique et les services publics, tout en convenant que la réflexion était à poursuivre sur des situations où le port de signes religieux pourrait s’avérer inapproprié.

Voilà donc ce que nous proposons : protéger tous les droits en même temps. Sans perdre de vue la complète et nécessaire neutralité de l’État face à toutes les religions et la non-influence de ces religions sur les décisions de l’État.

 

La laïcité n’est pas du racisme

En terminant, nous tenons à dissiper tout malentendu qui aurait pu laisser croire que Québec solidaire accuse les tenants de la laïcité de se rendre complices de racisme, de xénophobie et d’islamophobie.  Ce n’est pas le cas.

Comment pourrions-nous accuser la laïcité et ses défenseurs alors qu’elle est l’un des axes centraux de notre projet politique et de notre raison d’être ? Nous œuvrons comme nombre d’autres acteurs sociaux et politiques à tenter de compléter la laïcisation de la société québécoise. Tous les points de vue doivent être entendus dans le respect des droits fondamentaux de chacun-e et dans la recherche du bien commun.

Cela dit, nous constatons que nous ne sommes pas seuls à parler de laïcité. Des xénophobes parlent aussi de laïcité - de manière toute sélective - pour mieux exclure, pour discriminer en toute vertu. Ils utilisent la laïcité comme vernis pour masquer leur peur de l’autre, de l’étranger qui pratique une autre religion que chrétienne, car à leurs yeux, cela menace l’identité québécoise.

Ils s’expriment rarement sur le pouvoir religieux catholique ou protestant, encore moins pour questionner ces médecins catholiques qui invoquent leurs croyances religieuses pour refuser de pratiquer l'avortement, ou ces échevins qui font prière officielle pour ouvrir leur séance de conseil municipal.

En bref, la défense de l’identité québécoise, aussi légitime soit-elle, est parfois le prétexte, ces temps-ci, pour masquer une intolérance grandissante face à l’autre, le nouvel arrivant. Les communautés musulmanes en font particulièrement les frais. Cela, nous ne pouvons, à Québec solidaire, le tolérer.

La laïcité telle que nous la concevons est inclusive mais exclut la peur de l’autre ou encore toute intolérance à l’égard de celles et ceux que le Québec accueille chaque année. Si ces principes sont clairs et, croyons-nous, largement partagés par la population québécoise, toutes origines confondues, les pressions doivent se poursuivre afin d’amener le gouvernement Charest à engager un débat large, ouvert et démocratique sur la laïcité pour en arriver au consensus le plus rassembleur pour toutes les Québécoises et tous les Québécois.