Une travailleuse domestique philippine gagne sa cause

2010/02/01 | Par Maude Messier

Dans une cause opposant une travailleuse domestique immigrante et son employeur, la Cour du Québec crée un précédent significatif. Soumis à une ordonnance de non divulgation des parties impliquées dans l’affaire, l’intérêt de ce jugement réside surtout dans le caractère punitif imposé à l’employeur en regard de la Charte des droits et liberté de la personne.

Madame M, originaire des Philippines, est travailleuse domestique chez Monsieur C et Madame B. En raison d’un état de santé problématique, Madame M consulte un médecin, puis doit se rendre à l’hôpital. Son employeur la congédie sur le champ, invoquant un risque pour la santé de ses enfants. Dans ce dossier, une réclamation est réglée hors cour.

Plusieurs mois plus tard, Madame M est arrêtée par Immigration Canada. Dénoncée par son ancien employeur, Madame M est suspectée d’avoir la tuberculose, une maladie contagieuse grave. Après une série d’examens, il est conclu que les allégations s’avèrent sans substance. S’estimant lésée, Madame M entame une poursuite en diffamation contre son ancien employeur.

Dans son jugement, l’honorable Alain Breault impose à l’employeur une peine compensatoire de 3 000 $ pour les dommages et inconvénients subis par Madame M, additionnée d’une peine de 5 000 $ en dommages punitifs pour le caractère diffamatoire de l’attitude de l’employeur et le mépris des droits fondamentaux de la victime.

Les peines imposées ne sont certes pas élevées, mais elles constituent tout de même un précédent significatif empreint d’un message clair, à savoir que le statut de travailleuse immigrante ne donne pas tous les droits à l’employeur, contrairement à ce que certains voudraient bien croire. Le jugement établit que ces femmes ont des droits, dont le droit à la réputation, et que ceux-ci ne peuvent être brimés impunément par un employeur abusif.

Par ailleurs, cette victoire juridique indique aux travailleuses domestiques victimes d’abus par leur employeur qu’elles peuvent s’adresser aux tribunaux pour faire respecter leurs droits. Pour les groupes de défense des droits de ces travailleuses, ce jugement représente un véritable levier juridique.

On compte près de 25 000 travailleuses domestiques en résidence au Québec, dont la majorité est originaire des Philippines. Pour Evelyne Caluguay, porte-parole de l’organisme PINAY (Organisation des femmes philippines du Québec), le statut précaire des travailleuses domestiques immigrantes les expose aux abus physiques, psychologiques, sexuels et financiers. «Bien souvent, elles sont le soutien financier de leur famille et de leurs proches restés aux Philippines. Elles ont peur d’être retournées dans leur pays. Elles vivent sous la menace. Elles ne se plaignent pas, ne connaissent pas bien leurs droits et hésitent à se battre pour les faire respecter,» affirmait-elle samedi dernier en conférence de presse.

Ce jugement avertit ceux qui seraient tentés de profiter de la situation de vulnérabilité de ces travailleuses qu’ils s’exposent à des sanctions. «C’est un exemple positif qui montrent aux victimes qu’elles peuvent se faire entendre et briser le cercle vicieux de l’isolement. Ce qu’on veut, c’est le respect des travailleuses domestiques, c’est un minimum!», soutenait samedi dernier Madame Caluguay en conférence de presse.

La porte-parole de PINAY rappelle toutefois que les batailles à mener pour faire respecter ces femmes sont nombreuses et la route est parsemée d’embûches. Une campagne soutenue par les grandes organisations syndicales visant à faire modifier la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles dont elles sont actuellement exclues est en cours depuis près de quatre ans.

PINAY milite aussi pour que le programme d’emploi des travailleuses domestiques en résidence, principale porte d’entrée au pays des travailleuses domestiques, soit revu en profondeur : «Ça fait vingt ans que le programme existe et il n’a jamais été revu. La législation doit être améliorée de façon à briser le cercle vicieux de la victimisation et de l’abus.»