Le voile, tu ne porteras point

2010/02/04 | Par Marie-Soleil Martineau et Jorge Frozzini

On a tenté de lui enlever son travail, parce qu’elle porte le voile. Sa collègue, qui l’apprécie beaucoup, s’étonna qu’elle manque à l’appel en janvier. Elle apprendra que la secrétaire l’avait rayée de la liste : persona non grata!

On avait aussi oublié de lui payer ses derniers jours travaillés avant le congé de Noël. Évidemment, elle n’est pas syndiquée. Évidemment, elle a peur de parler. Un travail aussi précaire que le sien n’incite pas au respect de ses droits.

Le racisme et la discrimination sont bels et bien présents dans nos milieux de travail, en dépit de la Charte des droits et libertés, malgré ce qu’on en dit.

Nous pensions qu’en tant que peuple ayant toujours lutté pour sa reconnaissance, nous ne commettrions pas l’erreur de se comporter en impérialistes.

Certains, en effet, se donnent le droit d’agir de façon discriminatoire envers une collègue parce que ses croyances sont différentes des leurs et qu’elle ose les exprimer dans l’arène publique. Si les femmes voilées veulent du travail, elles n’ont qu’à enlever leur voile… cela ressemble drôlement à une forme de colonisation (de l’esprit!).

Que dire de l’individu scandalisé qui a été obligé de refaire la file à la SAAQ parce qu’il ne voulait pas être servi par une femme voilée? Est-ce là un cas de racisme? Il s’agit d’un cas flagrant de discrimination basée sur la croyance religieuse. Au lieu de s’offusquer du fait qu’il ait été ramené à l’ordre, n’aurait-on pas dû s’indigner, en tant que collectivité, du fait qu’il ait tenu ces propos?

À tous ceux et celles qui se disent féministes, ou non, et qui ne supportent pas de voir les femmes voilées dans l’espace public, rappelez-vous un des principes importants du féminisme : le privé est politique!

La frontière entre le public et le privé est une construction sociale, au même titre que l’obligation de porter le voile ou l’intolérance envers celui-ci. On ne peut exiger des gens qu’ils soient croyants que dans leur maison!

Nous n’appelons donc pas nos concitoyennes et concitoyens à la tolérance, mais bien à la reconnaissance de tous les individus partageant notre quotidien.

Certes, le vivre ensemble peut être conçu de diverses façons et nous devons nous poser sérieusement la question : dans quel type de société voulons-nous vivre?

Certains semblent privilégier le laisser-aller, d’autres une laïcité absolutiste. Sans oublier les propositions nationalistes conservatrices qui prennent leurs sources dans un discours reposant sur la peur et l'incompréhension de l'autre.

Nous pensons que ces options ne sont pas souhaitables, surtout si l’on tient compte de ce qui est arrivé dans le sud de l'Italie il y a quelques semaines : une véritable chasse à l'immigrant avec son lot de blessées. Devons-nous attendre que la situation se détériore à ce point? N’ayons pas la naïveté de croire que cela ne peut qu’arriver ailleurs.

Pourquoi ne pas laisser nos craintes et nos préjugés de côté en amorçant le dialogue avec les immigrants? Comme le rappelle Tzvetan Todorov, c’est seulement en parlant avec l’autre et non en parlant de l’autre que je lui reconnais « une qualité de sujet comparable à celui que je suis moi même ».

Enfin, il ne s’agit pas de « plier l’échine » devant l’autre, mais bien de ne pas exiger de l’autre qu’il la plie. De cette façon, seulement, nous pouvons le considérer comme notre égal. Voilà une conception qui conjugue véritablement liberté et égalité, n’est-ce pas ce qu’il y a de plus légitime?

Marie-Soleil Martineau est enseignante en science politique, Collège Bois-de-Boulogne

Jorge Frozzini est doctorant en communication, Université McGill