Hydro-Québec pratique l’étalonnage

2010/02/18 | Par Maude Messier

«Le gouvernement utilise les résultats d’étalonnages pour s’en prendre aux coûts de fonctionnement d’Hydro-Québec. La direction s’en sert pour couper des postes. Nous, on veut savoir sur quelles bases, sur quels critères on est comparés. On veut voir les données de base de ces comparaisons, pas juste les résultats», s’insurge le président du Syndicat des employé-es de techniques professionnelles et de bureau (SCFP 2000), Claude Arseneault.

L’étalonnage est une analyse comparative des modes de gestion et d’organisation d’entreprises similaires ou ayant les mêmes activités de façon à situer et classer leurs performances sur différents points d’études tels que les coûts, la productivités, la qualité, les délais, etc.

Rencontré par L’aut’journal, M. Arseneault dit vouloir rendre justice aux employés qu’il représente et repositionner le débat: «Nous avons fait des demandes à répétitions pour voir les données de base de ces étalonnages, mais apparemment, elles sont confidentielles. C’est pourquoi nous avons maintenant recours à la Loi d’accès à l’information.»

Comparez des pommes avec des pommes messieurs les économistes!

C’est une déclaration des économistes-mercenaires tirée du deuxième fascicule du comité consultatif dans le cadre des consultations publiques prébudgétaires sur les «résultats décevants» de la performance du service à la clientèle d’Hydro-Québec qui a mis le feu aux poudres.

En se référant aux résultats d’étalonnages, ces économistes affirment que pour le service à la clientèle uniquement, «Hydro-Québec Distribution aurait réalisé des économies annuelles de 60 millions de dollars si la société avait eu des coûts par abonnement comparables à ceux des entreprises les plus efficaces.»

Claude Arseneault n’en revient pas. «Ces chiffres-là n’ont pas de bon sens ! On a fait le calcul, 60 millions de dollars, c’est la masse salariale de tous les employés du service à la clientèle et de recouvrement! Rien de moins! Être plus productif, est-ce que ça veut dire couper tous ces emplois-là?»

Contrairement à ce que soutiennent ces économistes, le leader syndical ne croit pas que ces étalonnages permettent d’évaluer avec justesse les résultats d’Hydro-Québec: «Pour analyser sérieusement la «performance» de la société d’État, il faut tenir compte de plusieurs facteurs et comparer les entreprises sur des bases similaires. Ce qui ne semble pas être le cas présentement. Ce sont d’ailleurs ces informations qu’on refuse de nous fournir.»

Hydro-Québec est tenue d’approvisionner en électricité les 3 300 000 abonnés répartis partout sur le territoire du Québec au même bas taux. «Quelle autre entreprise doit conjuguer avec les mêmes réalités? On ne peut donc pas comparer Hydro avec une entreprise de New York par exemple, qui n’a pas du tout la même réalité géographique!»

Un tel étalement de la clientèle implique plus d’infrastructures, d’édifices et de centres d’appels. La mise en place et l’entretien du réseau est aussi de plus grande envergure. Bref, la réalité d’Hydro-Québec implique des coûts auxquels ne doivent pas nécessairement faire face les autres entreprises. «Ça n’a tout simplement rien à voir. Hydro-Québec a toujours été et constitue encore un moteur économique et génère des emplois partout au Québec. Mais ça ne fait pas partie du calcul dans l’étalonnage. Ça ne tient pas compte du pacte social qu’on a choisi de se donner comme société.»

Il soutient que les gains et bénéfices pour l’ensemble des Québécois, malgré les différences d’étalonnage, sont considérables: «Ça va bien au-delà de la création de la richesse pour remplir les coffres de l’État alors que les bas taux profitent à tous les Québécois».

Claude Arseneault soutient que les comparaisons boiteuses entre la société d’État et des entreprises dites plus «performantes» alimentent la désinformation de la population: «Ce fascicule-là, comme les études qui se basent sur ces étalonnages, ne sont que des plaidoyers en faveur de la hausse des tarifs. C’est inadmissible de laisser entendre qu’on pourrait «économiser» autant d’argent sur le dos des travailleurs!»

Faire plus avec moins

D’après le syndicat, l’objectif initial des centres d’appels, il y douze ans, était de répondre à 80% des appels en deçà de 20 secondes. Depuis 2006, le délai moyen de réponse (DMR) a grimpé en flèche, atteignant parfois des pointes à 400 secondes! Pour l’année 2009, Hydro-Québec estime que la moyenne du DMR se situe à 201 secondes, un chiffre conservateur d’après Claude Arseneault.

La société d’État se fixe toutefois un objectif ambitieux relativement au service à la clientèle, soit abaisser le DMR à 90 secondes puis, à moyen terme, à 75 secondes. Pour le président du SCFP 2000, ça ne fait aucun sens: «On manque de personnel. Les effectifs sont en déficit de 20%, soit environ 200 postes permanents pour le service à la clientèle. Hydro-Québec cherche désespérément à boucher les trous avec du personnel temporaire, mais ce n’est pas efficient ni suffisant.»

Les parties sont loin de s’entendre. Le syndicat demande qu’Hydro-Québec comble les postes alors que celle-ci s’en-tête à hausser les objectifs de «productivité» et à «rationaliser» les effectifs. La Régie de l’énergie en rajoute et demande à Hydro-Québec de diminuer ses effectifs à temps complet de 205 postes. Pour M. Arseneault, c’est le comble: «Il y a toujours bien une limite à toujours vouloir faire plus avec moins! Mathématiquement, ça ne va pas. Entre vous et moi, diminuer les effectifs et augmenter la productivité, ce n’est pas possible.»

«Dans le fond, ça n’a rien à voir avec le service à la clientèle, ce n’est qu’une question d’argent. Les Québécois vont continuer d’attendre beaucoup trop longtemps pour obtenir le service auquel ils ont droit. Ce n’est pas normal.»

Quand l’informatique remplace le personnel

En 2006, Hydro-Québec fait l’acquisition d’un tout nouveau système informatique regroupant les bases de données de tous les systèmes informatiques déjà existants, permettant notamment l’accès immédiat aux employés du service à la clientèle aux comptes clients, à la facturation, aux historiques d’utilisation, etc. La confiance en la performance du système est telle qu’Hydro-Québec annonce l’abolition de 175 postes. Rationalisation oblige.

Le problème, c’est que le système ne s’est pas avéré aussi performant que prévu. Les délais de réponse au service à la clientèle ont explosé, entraînant de facto une baisse de productivité. Instauré d’abord pour la clientèle commerciale en 2006, Hydro-Quéec a dû reporter d’un an l’implantation du système à la clientèle résidentielle.

Pour pallier les faiblesses du système et assurer un service de qualité aux citoyens, outre les millions de dollars investis pour réparer des anomalies et y apporter des modifications, le personnel temporaire a été augmenté et maintenu au-delà du délai initial. «De notre côté, on a tout fait pour combler les besoins en productivité: aménagement d’horaires, de postes, flexibilité, etc. Ils n’ont jamais été capables de gérer ça comme du monde!»

Claude Arseneault est d’avis que les déficiences en matière de gestion constituent un véritable problème chez Hydro-Québec: «Les gestionnaires cherchent uniquement à boucher des trous. Il n’y a pas de perspective globale ni de vision à long terme. Rien sauf l’immédiat.»

Et l’immédiat pour Hydro-Québec est de diminuer les coûts de fonctionnement en optant pour la solution rapide et facile, soit diminuer les effectifs. «La productivité et la performance d’une entreprise passent toujours par la perte d’emplois. Comme si faire travailler du monde, c’était une dépense pas rentable et qu’on devait limiter ça!»