L’heure n’est plus au décret

2010/02/23 | Par Maude Messier

La colline parlementaire s’est drapée de vert lundi midi. 3 500 représentants du Front commun, se sont rassemblés pour rappeler à la présidente du Conseil du trésor, Mme Monique Gagnon-Tremblay, que le 31 mars 2010, échéance des conventions collectives décrétées en 2005, approche à grands pas et qu’il reste beaucoup de travail à faire.

Préoccupés par le manque de volonté du gouvernement Charest à défendre les services publics et à traiter justement et équitablement les quelque 475 000 travailleurs qui les dispensent, les représentants du Front commun ont signifé au gouvernement leur détermination à se faire respecter. «L’heure n’est plus au décret», ont-ils scandé haut et fort. Un appel à la mobilisation des troupes a aussi été lancé en vue de la manifestation prévue pour le 20 mars à Montréal.

Lucie Martineau (SISP), Claudette Carbonneau (CSN) et Michel Arsenault (FTQ), porte-parole du Front commun, souhaitent une intensification des négociations pour conclure un règlement «satisfaisant pour tous» d’ici le 31 mars prochain.

Les chiffres des économistes du Front commun sont révélateurs et significatifs. En plus du retard accusé par le secteur public par rapport au privé quant aux salaires et aux avantages sociaux, le pouvoir d’achat des salariés du secteur public est constamment à la baisse.

Malgré tout, il semble que l’équilibre budgétaire tant prisé par le gouvernement Charest se fera, une fois de plus, sur le dos des 475 000 employés du secteur public.

Les porte-parole du Front commun sont catégoriques: «Les demandes du Front commun sont tout à fait réalistes et alignées sur la pérennité et la qualité des services publics alors que l’offre du gouvernement constitue un appauvrissement général de 8,5% pour les cinq prochaines années».

Un rassemblement historique

Les instances du plus important front commun intersyndical de l’histoire du Québec se sont ensuite réunies au Centre des Congrès de la capitale nationale. La pertinence et l’éloquence des propos des conférenciers invités ont galvanisé et soulevé la foule à maintes reprises.

Duplessis? Non, merci!

Avec la fougue et les qualités d’orateur qu’on lui connaît, Jean-Claude Germain a donné le coup d’envoi avec une perspective historique.

Indigné par les propos des Bouchard et des Lucides de ce monde, il rappelle que l’«État minceur» n’a rien d’un concept novateur: «Pour eux, un bon fonctionnaire doit être maigre ou mieux encore, invisible! Il faudrait pourtant leur rappeler que cet «idéal» a déjà été atteint sous Duplessis, qui méprisait la fonction publique. À l’époque, l’ensemble des achats du gouvernement relevaient d’un seul et même homme; ça éliminait la paperasse! Faire de plus en plus, avec de moins en moins, comme si l’obésité devait être réservée aux entreprises privées!»

L’expérience et l’expertise des salariés de l’État sont mises à profit au sein même des services publics, offrant des emplois à des milliers de travailleurs et de travailleuses. La dévalorisation des services publics et la surestimation du secteur privé menacent le Québec de lourdes conséquences tant sociales qu’économiques: «Les syndicats ont professionnalisé l’État; ils doivent aujourd’hui l’empêcher de le démanteler.»

Jean-Claude Germain conclut en rappelant que le «miracle culturel et économique du Québec» a été rendu possible notamment grâce au développement des services publics: «Ils doivent être considérés comme l’épine dorsale du Québec moderne qui, rappelons-le, n’est pas une création du Québec Inc.!»

Comme une odeur de brûlé

«La restructuration de l’État mise en place par le gouvernement Charest est collée sur des fondements idéologiques néo-libéraux. La doctrine du retrait de l’État et son égorgement se répercutent dans les relations et les conditions de travail des salariés de l’État. C’est dans cette perspective plus large qu’il faut analyser la situation», affirme Jean-Noël Grenier, professeur en relations industrielles à l’Université Laval.

Partie prenante de notre quotidien, les services publics occupent une place fondamentale dans la structure de la société québécoise. «La qualité des services publics dépend des gens qui les dispensent. L’équation est simple: si leurs conditions de travail diminuent, la qualité des services diminue aussi. Alors qu’on estimait auparavant que l’État se devait d’attirer les meilleurs candidats et d’offrir à cet effet des conditions de travail concurrentielles, l’État est aujourd’hui devenu un employeur de dernier choix.»

À son avis, il existe bel et bien une corrélation entre l’effritement des services publics et l’effritement social qui menace le Québec. À cet égard, les manœuvres politiques du gouvernement visant à «égorger les services publics pour qu’on ne puisse plus revenir en arrière» sont très préoccupantes.

Le professeur Grenier insiste sur la gravité de la situation par le biais de l’exemple suivant. Les nouveaux diplômés sont satisfaits de n’obtenir que des contrats de travail déterminés dans la fonction publique parce que ça leur permet de prendre de l’expérience, puis d’aller ailleurs. «Ailleurs, c’est généralement le privé! Comprenez-vous à quel point c’est payant pour les entreprises privées, ça? Les jeunes sont formés dans le réseau scolaire public, puis professionnellement dans la fonction publique. À leur plein potentiel, ils quittent pour des emplois au sein d’entreprises privées qui bénéficient de tout ça sans débourser quoi que ce soit. Mieux encore, ils connaissent les rouages de fonction publique pour y avoir été formés!»

Jean-Noël Grenier dresse un portrait dur et réaliste, sans équivoque sur les intentions du gouvernement: privatisation des services publics, mise en place de partenariats public privé et recours accru à la sous-traitance. Dans cette même logique, il exige plus de flexibilité et de souplesse de la part de ses employés tout en diminuant leurs conditions de travail. Il favorise aussi les approches conflictuelles en relations de travail parce que c’est payant politiquement d’être dur avec les syndicats.

Arrimage de la lutte des femmes

Pour Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec, pour que l’équité entre les hommes et les femmes, comme entre tous les citoyens, soit véritable, il importe de partager les responsabilités qui, traditionnellement, incombaient aux femmes. Les services publics jouent un rôle fondamental en ce sens, par la dispensation de services universels et gratuits. Sans compter que la fonction publique est largement constituée de femmes, atteignant 74% de représentativité dans certains secteurs.

Mme Conradi souligne que les services publics protègent l’égalité entre les citoyens, tout comme entre les hommes et les femmes. «Une société plus égalitaire est une société où les gens sont en meilleure santé, où il y a moins de violence, moins de crimes, plus de confiance, plus de solidarité, moins de tensions ethniques et culturelles, moins de discrimination.»

Les services publics garantissent le respect des droits sociaux et économiques des Québécois et des Québécoises. «En s’y attaquant, le gouvernement permet que des intérêts particuliers puissent dicter les orientations de notre société. Nous ne laisserons pas des décennies de luttes et de travail tomber à plat!»

Un drôle de «timing»

Hausses des taxes à la consommation, hausse de la tarification de l’électricité résidentielle, mise en place d’une franchise santé de 25$ (ticket modérateur), hausse des frais de scolarité universitaires, hausse de frais de garde et augmentation de la part des services publics financée par les utilisateurs pour ne nommer que ceux-là.

Voilà les «solutions» proposées par les économistes-mercenaires dans leur troisième fascicule dont le dépôt, qui ne devait pourtant avoir lieu qu’au cours des prochaines semaines, a été devancé de façon à coïncider avec le rassemblement du Front commun.

Manoeuvre douteuse venant d’un groupe qui affirme que le Québec doit impérativement débattre de l’avenir des services publics… Messieurs les économistes, les débats, c’est comme les négociations, ça se fait à deux!