Le réseau de la santé infecté par les jeux de pouvoir ?

2010/02/23 | Par Jacques Fournier

Le 25 janvier dernier, Bernard Drainville, porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé, émettait un communiqué de presse pour s’interroger sur le bien-fondé du projet du MSSS d’imposer une fusion entre le CSSS Champlain et l’Hôpital Charles LeMoyne (HCLM).

Selon M. Drainville, « une telle décision pourrait s’avérer néfaste pour le CSSS Champlain, qui comprend deux CLSC et des CHSLD. Ces petits établissements risquent de se retrouver perdants face à un hôpital universitaire affilié qui, par sa nature même, nécessite d’importantes ressources, notamment financières. De plus, je crains qu’une éventuelle fusion avec l’HCLM affecte les services de proximité du CSSS Champlain, dont les services de première ligne et les soins à domicile. »

Les inquiétudes fondées exprimées par le député nous amènent à nous poser une question de fond : les différentes réorganisations qui ont affecté le réseau de la santé et des services sociaux depuis vingt ans ont-elles une origine interne (l’amélioration des services) ou n’ont-elles pas plutôt été inspirées par des éléments externes, à savoir la culture mondiale des jeux de pouvoir ?

Pour répondre à cette question, revenons au début des années 90. C’est à ce moment qu’ont commencé les premières fusions dans le réseau de la santé et des services sociaux. On a d’abord regroupé des CLSC avec des Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). A chaque fois, la logique invoquée était l’amélioration de la continuité des soins.

Puis, à la suite de la loi 25 imposée sous le bâillon en décembre 2003, les fusions forcées se sont intensifiées, impliquant alors des CLSC, des CHSLD et des hôpitaux non universitaires, regroupés sous le nom de Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Récemment, le MSSS a commencé à concevoir des plans pour fusionner certains hôpitaux « universitaires affiliés » avec des CSSS déjà très gros.

Ce qui étonne dans ces regroupements, c’est que la littérature scientifique largement majoritaire indique que les fusions n’apportent pas les résultats escomptés en ce qui concerne l’amélioration et la continuité des services.

Au contraire, les établissements fusionnés offrent des services moins proches de la population, plus lourds, moins efficaces, ils sont plus bureaucratiques, le personnel y est davantage démobilisé et le pouvoir des usagers et des employés d’améliorer la qualité des services se perd.

Selon les chercheurs Alain Dupuis et Luc Farinas, les fusions sont le fruit d’une mode dangereuse : « Il s’agit d’une mode managériale sans fondement sérieux au regard des sciences de l’organisation et qui pousse l’ensemble du système vers le modèle de la grande entreprise divisionnalisée. Sous l’effet de ce modèle, nos organisations risquent de devenir toujours plus grosses, plus formelles, plus abstraites, plus impersonnelles, plus superficielles, vides d’engagements et de jugements éclairés. » (Cahier de recherche du Cergo, 2009, Énap et Téluq).

La « nouvelle gestion publique », une mode ou une doctrine inspirée de l’entreprise privée et qui constitue un véritable fléau pour le secteur public, donne ses fruits les plus amers dans les cas de fusions.

Comment expliquer le maintien de politiques qui vont à l’encontre des résultats de la recherche scientifique ? A mon avis, les dirigeants du réseau de la santé et des services sociaux se sont inspirés de la nouvelle culture des jeux de pouvoir qui prédomine dans les grandes entreprises multinationales.

Cette culture valorise la concentration du pouvoir entre les mains du plus petit nombre d’individus possible, la mise à l’écart de toute forme de pouvoir décisionnel par les citoyens ordinaires et l’accroissement des écarts de revenus.

C’est une culture qui donne une rente à la ruse, à la rapidité, à la spéculation, à la rétention d’information, au mensonge, à la compétition extrême, au « big is beautiful », à la cupidité et, pour faire image, à l’attaque directe, meurtrière, à la carotide.

Le « jet set » financier international domine : une poignée d’individus voyageant en avion privé, dont la rémunération annuelle n’a pas de plafond connu et qui n’a aucune idée des conséquences sur le terrain des décisions qu’ils prennent.

Cette culture a jeté notre monde dans une crise économique sans précédent en 2008 et ses fondements n’ont par la suite aucunement été remis en question par les grands décideurs politiques et économiques : tout est en place pour des rééditions régulières de cette crise.

Les dirigeants du réseau de la santé et des services sociaux, hypnotisés eux aussi par cette culture, intoxiqués par une doctrine managériale sans fondement, coupés de la base, veulent concentrer davantage de pouvoir entre quelques mains.

L’ordre de grandeur n’est évidemment pas le même que celui des compagnies multinationales mais l’approche managériale « plus c’est gros, mieux c’est » fait l’objet de la même vénération.

Le discours sur la continuité des services constitue un écran de fumée fort efficace. Et les services publics de proximité se détériorent à la même vitesse que la gouvernance mondiale de l’économie.

L'auteur est organisateur communautaire retraité.