Droit religieux et charia

2010/02/24 | Par Daniel Drouin

Une polémique a surgi depuis que le Journal de Montréal, le 11 février dernier, a publié une chronique de Richard Martineau à propos du Manifeste pour un Québec pluraliste. Le chroniqueur prend position contre ce manifeste qu’il associe au « multiculturalisme à la Trudeau », dont l’un des rédacteurs est le philosophe Daniel Weinstock.

Si le manifeste parle plutôt d’interculturalisme, une notion chère à la Commission Bouchard-Taylor dont il fut l’un des conseillers, M. Weinstock voit cet interculturalisme comme étant simplement la version québécoise du multiculturalisme, comme il l’a déclaré à Paris en décembre 2007 lors d’un colloque organisé par l’UNESCO.
Photo : Daniel Weinstock

Le manifeste étant l’expression d’une vision fédéraliste, ses auteurs devaient donc s’attendre à créer un peu de remous. La Charte canadienne des droits et libertés, notamment l’article 27, est le pilier sur lequel s’appuient les partisans de l’interculturalisme version Weinstock. M. Martineau a raison de l’associer au multiculturalisme à la Trudeau, et les cris d’indignation du philosophe ne changeront rien aux faits.

L’aberration du rapport Boyd en Ontario

Dans sa chronique, Richard Martineau met en garde ses lecteurs contre les accommodements religieux absurdes et rétrogrades auxquels cette vision multiculturelle peut mener, au nom d’une prétendue laïcité « ouverte ». À cet égard, il rappelle que M. Weinstock avait fait l’éloge du rapport Boyd en Ontario à ce même colloque à Paris en 2007.

Ce document commandé par le gouvernement ontarien était le fruit d’une étude portant sur le règlement des litiges civils au moyen de l’arbitrage. Mme Boyd estimait opportun de conférer compétence au droit religieux pour décider de litiges « privés ». En voici une recommandation : « La loi sur l’arbitrage devrait continuer à autoriser l’arbitrage des différends en vertu du droit religieux, si les protections prescrites actuellement et recommandées par la présente étude sont observées. » Même si Mme Boyd exigeait certaines garanties, celles-ci n’empêchaient nullement que l’arbitrage puisse s’exercer désormais en toute légalité sur la base du droit religieux.

Si cette recommandation avait été acceptée par le gouvernement, l’arbitrage religieux aurait pu se substituer à l’arbitrage civil, sur simple demande conjointe des parties, et ainsi trancher des litiges « privés » en matière de droit familial et de successions, tels que le divorce, la garde des enfants en cas de rupture de leurs parents, ou encore le partage du patrimoine des époux.

L’ouverture à la charia

Quiconque lira ce rapport réalisera aussi à quel point on y préconisait un terrifiant recul. Voici un extrait de la version française: « Des changements de cette nature ne peuvent pas s’opérer par le biais d’une législation émanant des gouvernements. Ils doivent plutôt venir de la communauté elle-même après avoir fait l’objet d’études, de discussions et d’interprétations sérieuses des principes sacrés ».*

S’il est plus précisément question dans ce rapport de la charia, c’est que bon nombre d’intervenants ayant fait des représentations devant Mme Boyd étaient d’obédience musulmane. Mais il est à parier que l’ouverture à la charia aurait sans doute donné le signal d’une large ouverture au droit religieux propre à chaque religion.

M. Martineau a bien fait de rappeler comment la levée de boucliers dans l’opinion publique canadienne et internationale a barré la route à ce funeste rapport Boyd. À quel beau panier de crabes avons-nous échappé en Ontario et au Canada!

M. Weinstock peut continuer à jouer à la vierge offensée tant qu’il voudra. Le multiculturalisme qu’il défend sous le voile de sa vision de l’interculturalisme conduit à des accommodements religieux tous azimuts.

Freiner la complète laïcisation de l’État québécois est le but non avoué de M. Weinstock. C’est bien ce qu’il fait au nom de cette laïcité dite « ouverte » qui conduit aux intrusions sans frein du religieux dans l’espace civique, en particulier au moyen de la Charte canadienne des droits et libertés.


L’auteur est conseiller au Mouvement laïque québécois

*Rapport Boyd, version française, p 112