Témoignage d’un infirmier à Tout le monde en parle

2010/03/09 | Par Maude Messier

Au cœur du tumulte qui secoue le réseau de la santé du Québec, l’urgentologue Dr Alain Vadeboncoeur et l'infirmier Steve Gauthier ont témoigné avec éloquence, dimanche soir à Tout le monde en parle, de la situation qui prévaut dans les établissements de santé.

Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), était manifestement sensible à leurs propos: «Ce que je retiens de l’entrevue avec M. Gauthier, c’est surtout son cri du cœur. Comme toutes les infirmières du réseau public, il aime son métier, il aime soigner les gens, mais il n’en peut plus de souffrir de ces conditions de travail qui n’ont pas de bon sens.»

Steve Gauthier déclarait sur les ondes de Radio-Canada avoir «été pris en otage» et contraint d’effectuer 18 heures de travail supplémentaires à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont la semaine dernière. Il soutient qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, que le personnel infirmier est contraint de faire des heures supplémentaires obligatoires à répétition et que la pénurie d’infirmières est un problème chronique lourd de conséquences pour l’ensemble du réseau.

L’aut’journal a appris que l’hôpital Maisonneuve-Rosemont comptait aller en appel d’offres et recourir aux services des entreprises privées pour combler les besoins d’effectifs en dépit des «directives» contraires du ministère de la Santé.

Pour Régine Laurent, la logique mercantile des agences privées en placement de soins est une contradiction aberrante dans un système de santé public: «Ce sont des profiteurs! Ils exploitent la pénurie d’infirmières dans le réseau public de même que le mutisme du gouvernement pour faire des affaires en or

À son avis, c’est un appel à la population que lançait dimanche soit Steeve Gauthier, «comme celui que nous lançons par le biais de notre campagne de publicité. Il est plus que temps que les Québécois se réveillent et comprennent ce qui se trame avec notre système public de santé.» 

Alors que l’absence de planification à long terme et la gestion à la pièce dans les établissements de santé sont au cœur d’une pénurie chronique de personnel infirmier, «ce que les agences proposent, c’est de combler des besoins ponctuels, faire du «dispatching». Pour garantir la continuité des soins de qualité, il faut d’abord assurer la stabilité des équipes de base dans les unités de travail et les agences privées ne constituent en rien une solution viable pour ça.»

 

Une division «Élite»

«Notre division «Élite» constituera un nouveau standard pour supporter l’avancement par la formation des infirmières», soutenait Serge Fortin, directeur général de Médic-Or, en conférence de presse mercredi dernier.

La division «Élite», service spécifique à Médic-Or, est destinée aux soins critiques, principalement les urgences et les soins intensifs. Les infirmières candidates devront obligatoirement suivre des formations supplémentaires, dont l’«active cardiac life support» (ACLS), le «trauma nursing core course» (TNCC) et l’hémofiltration, pour intégrer la division.

Ces infirmières «Élites» seront identifiables sur les lieux de travail par leur uniforme arborant les couleurs et le logo de la division. «Cette marque distinctive est aussi le reflet des valeurs qui guident la division «Élite»: l’engagement, le perfectionnement et l’appartenance à un groupe exclusif», soutient M. Fortin pour qui cette nouvelle division «est un service offert au réseau de santé qui permet d’optimiser les compétences du personnel infirmier

Médic-Or dit fixer un niveau élevé de compétences spécifiques par les formations supplémentaires obligatoires, compétences mises à profit et même réintégrées «gratuitement» dans le réseau public lorsque leur personnel quitte l’agence.

«Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre des agences privées qui se justifient de faire de l’argent sur le dos des malades», s’exclame Régine Laurent tout en insistant sur le fait que Médic-Or n’amène rien de nouveau considérant que ces formations sont déjà disponibles et accessibles pour l’ensemble des infirmières du réseau public. «Des budgets de formation continue sont déjà négociés par la FIQ à même les conventions collectives du personnel infirmier. Les budgets sont là, mais ce n’est pas possible de libérer des infirmières pour le moment en raison des pénuries de main-d’œuvre.»

 

Un réseau de santé public et rien d’autre!

Pour la présidente de la FIQ, la division «Élite» n’est rien de plus qu’un coup de publicité, une opération de «marketing». Sortir des travailleuses du réseau public pour les envoyer au privé ne fait aucun sens compte tenu de la pénurie, mais «c’est pourtant exactement ce que font les agences. Où croyez-vous qu’ils les prennent leurs infirmières?»

Les résultats d’une étude menée pour le compte de l’agence Urgence Médicale Code Bleu sur les comparatifs de salaires entre les infirmières du secteur privé et celles du réseau public ont beaucoup fait jaser la semaine dernière.

À la lumière des nombreux témoignages des conditions de travail difficiles des infirmières du réseau public, cette étude qui affirme sans vergogne que le privé ne coûte pas plus cher aux contribuables a mis le feu aux poudres: «C’est de la malhonnêteté intellectuelle et de la démagogie! Ils font dire n’importe quoi à des chiffres hors contexte et sans explications pour se justifier. Même le ministère de la Santé admet que les coûts au privé sont au minimum 18% plus élevés pour un même service.»

Chose certaine, le bras de fer est bel et bien entamé entre la FIQ et les agences privées en placement de soins: «Préserver un système de santé entièrement public, accessible à tous et qui dispense des soins de qualité, c’est de ça dont il s’agit». Or, prendre les moyens qui s’imposent pour redresser la situation et mettre un terme définitif à l’incursion invasive du secteur privé requiert beaucoup de volonté politique.

Régine Laurent s’indigne du mutisme et du laxisme du ministre de la Santé Yves Bolduc comme de l’ensemble du ministère: «Ça fait 15 ans qu’on connaît les solutions à prendre pour résoudre le problème, mais il n’y a rien qui bougeRemarquez, moi non plus je n’aurais rien à dire à leur place. Avant, ils faisaient la sourde oreille à nos demandes. Maintenant, ils ferment les yeux sur des problèmes pourtant flagrants.»


Consultez notre dossier sur les agences privées en placement de soin :

- Quand les agences privées cannibalisent le secteur public (15 février 2010)

- Santé : Des privilèges inadmissibles pour les infirmières des agences privées (16 février 2010)