La variole : anatomie d’un fléau

2010/04/06 | Par Ginette Leroux

Une épidémie est-elle évitable? Temps modernes ou temps anciens, même combat et, malheureusement, même scénario. Tel est le propos tenu par Jefferson Lewis dans son film intitulé La variole : anatomie d’un fléau.

À titre de réalisateur et scénariste, il a remporté en 2002 les prix francophone et anglophone du meilleur documentaire soit le Gémeau et le Gémini pour le film Claude Jutra, portrait sur film. Rappelons qu’il a aussi signé les scénarios des films Les Noces de papier (1989), Mon amie Max (1994) et L’automne de mes souvenirs (2007).

La grippe H1N1

Il est impossible de voir venir une épidémie, conclut le documentariste qui a plus de vingt-cinq films à son parcours.

À preuve, la grippe H1N1, apparue au Mexique, nous est tombée dessus aux toutes premières lueurs de l’été dernier. « La grippe A (H1N1), qui a fait 144 morts dans le monde sur un total de 28 774 personnes infectées, a officiellement atteint l'état de pandémie. La décision, prise au terme d'une réunion du comité d'urgence de l'OMS, a été officiellement annoncée par la directrice de l'institution, Margaret Chan », confirmait l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le 11 juin 2009 par la voix de Radio-Canada International.

Au Québec, le directeur national de la santé publique le bon docteur Alain Poirier affirmait « qu’une campagne de vaccination massive était en préparation ».

La vaccination constitue en général le moyen le plus efficace pour circonscrire une épidémie. Mais voilà, était-il nécessaire d’échafauder un scénario digne des meilleurs studios de Hollywood pour créer la panique au sein de la population? Nous connaissons maintenant la réponse.

Rappelons que suite à la mort du jeune Evan, un adolescent ontarien en octobre 2009, les gens se sont lancés, souvent en pleine nuit, par un froid glacial, en jouant du coude ou d’invectives, à l’assaut des centres de vaccination. Ils attendaient des heures. Les plus vulnérables, les enfants et les aînés d’abord. Les autres, moins à risque, allaient suivre.

Les plus sceptiques se sont abstenus. On se demande encore pourquoi les autorités sanitaires, endossées par le ministre de la Santé Yves Bolduc, tenaient à ce point à semer le chaos pour ce qui est devenu ce que nous savons maintenant : la plus grande fumisterie du début du siècle.

Surtout, faut-il le préciser, que le Dr Poirier revenait sur ses paroles peu de temps après, en déclarant que l’Ontarien de 13 ans « aurait plutôt succombé à une méningite ». Anne, ma sœur Anne, qu’avais-tu vu venir?

L’épidémie de 1885

Le film de Jefferson Lewis marque le 125e anniversaire de l’épidémie de variole qui a sévi à Montréal en 1885. Dans la nuit du 28 février, le fléau arrive par un contrôleur de train, tombé malade dans le Grand Trunk Trailway en provenance de Chicago.

L’examen médical révèle qu’il souffre de la variole que l’on surnommait à l’époque la mort rouge. Il devient le « patient zéro », porteur du virus mortel.

Guéri, il repart chez lui trois semaines après reçu des soins à l’Hôtel-Dieu, sans savoir qu’il venait de semer terreur et désolation dans la plus  grande ville du Canada qui comptait alors 200 000 habitants.

La pauvre Pélagie Robichaud, une Acadienne employée de l’hôpital, sera la première à mourir des suites de la maladie le 1er avril 1885. Sa sœur Marie décède, à son tour, 5 jours plus tard de la forme la plus virulente, la variole hémorragique qui se propage à l’intérieur du corps et liquéfie les organes.

Plus ou moins contenue durant l’hiver, l’épidémie resurgit à l’été alors que les gens se regroupent à l’occasion de la parade de la Saint-Jean et des funérailles de l’évêque de Montréal.

Croyant éviter la panique, les autorités de la santé publique de l’époque se taisent, les journalistes de La Minerve, journal francophone, s’allient au clergé catholique pour  détourner leurs compatriotes de la vaccination, ajoutant à la confusion générale amplifiée par l’administration d’un lot de vaccins contaminés.

À son tour, le Daily Herald, un journal anglophone, se met de la partie. Il blâme les familles canadiennes-françaises qu’il rend responsables de la contamination, car les parents, dépassés par la situation, apeurés et hagards, tentent de s’opposer à ce que leurs enfants infectés soient retirés de leur foyer pour être mis en quarantaine.

La promiscuité des logements où s’entassent ces familles et leurs nombreux enfants et l’insalubrité des quartiers ouvriers sont mis en compte dans la propagation de ce fléau.

À cet égard, le film montre des images frappantes d’enfants littéralement arrachés à leurs parents et amenés en réclusion à l’hôpital des varioleux. Au total, la grande faucheuse frappe 20 000 Montréalais dont 90% sont des francophones et 85% de ces décès sont attribués à des enfants de moins de 10 ans.

Le passé est-il garant de l’avenir?

Cette épidémie est du passé. Qu’avons-nous retenu de cette leçon d’histoire? À ce récit d’époque, le cinéaste met en parallèle un scénario identique dont l’histoire se passe aujourd’hui.

L’avion se pose à Montréal. Une agente de bord en provenance de Londres en descend malade. Elle est porteuse d’un virus que les médecins prennent du temps à diagnostiquer puisque la variole est éradiquée depuis 1962 au Canada.

Malgré l’ordonnance d’une vaccination obligatoire et un train de mesures sanitaires mis en place pour contenir l’épidémie, le chaos s’installe. Comparable à celui de 1885.

Selon les spécialistes, épidémiologistes, journalistes scientifiques et hautes autorités sanitaires responsables de veiller à la sécurité de la population en cas d’urgence interviewés dans le film, le Montréal d’aujourd’hui n’est pas mieux préparé que celui d’hier à faire face à une telle situation.

La peste bubonique du 14e siècle est très loin de nous, l’épidémie de variole de 1885, circonscrite à Montréal et ses environs, avait à toutes fins utiles été oubliée, la grippe espagnole, une pandémie survenue au sortir de la Première Guerre mondiale a fait, quant à elle, 100 millions de morts entre 1917 et 1918.

Plus près de nous, l’épidémie de SRAS a fait redouter le pire à Toronto en 2003 et le virus du sida n’a pas encore trouvé son antidote. Pourtant, la même question revient sans cesse : sommes-nous prêts?

Jefferson Lewis présente dans son documentaire une réflexion solide sans toutefois offrir de solution. Mais y en a-t-il une?

Le film, qui n'est plus en salles, sera présenté dans des festivals et, à l'automne 2010, en version française à la télévision de Radio-Canada. Le DVD sera en vente à l'ONF ultérieurement. À suivre.

Jefferson Lewis, La variole : anatomie d’un fléau
Une coproduction de Productions PMA et l'Office national du film du Canada