Le mot d’ordre de grève générale illimitée a été payant

2010/05/05 | Par Maude Messier

L’exercice de négociation entre l’Université de Montréal et les quelque 2 400 chargés de cours a été ardu et marqué par une grève générale illimitée de deux mois et demi. L’aut’journal a rencontré le président du Syndicat des chargées et des chargés de cours de l’Université de Montréal (SCCCUM- FNEEQ-CSN), Francis Lagacé, pour dresser le bilan du conflit et de son dénouement.

«Le SCCCUM est un ensemble de petits groupes qui, au départ, ne se connaissaient pas vraiment. Ce conflit aura eu des répercussions extrêmement bénéfiques pour le syndicat en permettant de renforcer et de solidariser la base militante.»


L’image de l’employeur mise à mal


Pour Francis Lagacé, l’écart entre les demandes patronales initiales et le règlement final démontre la mauvaise fois de l’employeur. L’attitude à la table de négociation, l’intransigeance et le manque flagrant de volonté ont eu raison de la crédibilité de la direction de l’université auprès des chargés de cours, «tout comme au sein d’une partie de la population. Les membres n’ont plus du tout confiance.»

Il déplore la stratégie patronale qui consistait à laisser traîner les négociations, puis d’invectiver le syndicat en brandissant la menace d’une éventuelle annulation de la session, faisant porter l’odieux aux chargés de cours. «Entre le premier jour de grève et le règlement, 14 jours de négociations ont été perdus à cause de l’employeur.»

Pour sa part, même après avoir entamé une grève générale illimitée, le syndicat s’est toujours montré prêt à poursuivre les négociations en vue d’en arriver à un règlement. «On aurait pu régler tout ça avant Noël s’ils avaient montré un peu de volonté

Francis Lagacé est d’avis qu’en annonçant une date au-delà de laquelle l’université annulerait la session, la direction s’est «peinturée dans le coin». «Ils ont eux-mêmes déterminé cette date alors qu’ils n’en avaient pas l’obligation. La pression, c’est eux qui l’ont eu en bout de ligne.»


Reconnaissance du travail des chargés de cours


Sur la question salariale, le syndicat réclamait 7,7% en rattrapage salarial, ils ont finalement obtenu 6,55%. «C’est une victoire importante pour la reconnaissance des chargés de cours. C’est aussi la preuve de la légitimité de nos demandes. Nous réclamions un rattrapage salarial sur la tâche d’enseignement basé sur un calcul comparatif par rapport aux professeurs. À travail égal, salaire égal.»

Les augmentations de salaires à proprement dit seront déterminées selon les paramètres gouvernementaux à l’issue des négociations du secteur public. Notons que l’offre patronale initiale était limitée à une enveloppe de 2% pour l’ensemble des questions financières.

Au nombre des revendications, la taille des groupes-cours représentait un point en litige majeur. L’université refusait catégoriquement de discuter de cette question à l’intérieur du cadre des conventions collectives. «Il y a longtemps que le syndicat réclame des limites dans les groupes-cours au-delà desquelles l’assistance des auxiliaires d’enseignement est requise. Déjà en 2006, le syndicat faisait des demandes en ce sens, mais la proposition était à l’époque jugée trop complexe et inapplicable par la direction de l’université.»

Le syndicat revient à la charge en 2010 et obtient finalement qu’un comité tripartite, où seront représentés la direction, les professeurs et les chargés de cours, fixe des seuils pour l’attribution d’auxiliaire d’enseignement pour chaque département et faculté. «La taille des groupes-cours est une question fondamentale tant pour la charge de travail que pour la qualité d’enseignement», ce à quoi acquiescent également les étudiants qui ont appuyé les chargés de cours sur ce point.

La définition du statut de double emploi a aussi été précisée et balisée de façon à assurer plus d’équité pour les chargés de qui ne comptent que sur ce travail pour gagner leur vie.

L’université aurait aussi souhaité abolir la limite fixée à 4% de l’ensemble des cours offerts ceux dispensés par des enseignants retraités, des cadres, des professionnels et des stagiaires postdoctoraux. Le syndicat a obtenu qu’elle soit maintenue pour assurer aux étudiants doctorants un accès au travail, «une avancée importante pour assurer la relève

Le renvoi pour désistement de même que la possibilité pour la direction d’annuler un cours sans paiement forfaitaire ont été écartés de l’entente finale. Finalement, des avancées ont aussi été réalisées en ce qui concerne l’accès général au départ à la retraite.


Coup d’envoi de la grève dans une controverse


Au lendemain du premier jour de piquetage, des allégations de dissension au sein des membres ont circulé dans les médias. «C’est dommage et déplorable. Certains médias ont donné la parole à un groupuscule, sans vérifier au préalable les informations reçues.»

Francis Lagacé assure qu’il s’agit d’une situation isolée qui s’est dégonflée d’elle-même rapidement. «Nous avons fait notre travail. Chaque membre a été dûment convoqué à toutes les assemblées par plusieurs voies. L’heure, le lieu, la date et la mention d’un vote de grève figuraient toujours sur la convocation.»

Le président du syndicat insiste sur la cohésion des membres quant au déclenchement et aux reconductions de la grève: «Chaque vote de reconduction acquérait toujours une plus grande majorité, soit 71%, 77% et 84%.»

Pour M. Lagacé, nul doute que la grève était toute indiquée dans ce conflit. «On est parti de loin. Avec cette grève, nous avons exposé au grand public la situation des chargés de cours, les avons fait connaître un peu plus. Maintenant, les gens savent qu’ils sont indispensables à l’enseignement de qualité dans nos établissements universitaires

Le SCCCUM a été créé à la fin des années 1970, mais les chargés de cours ont dû attendre 1987 avant d’obtenir leur première convention collective, l’université s’opposant farouchement à la création du syndicat. «Ce règlement est assurément une victoire historique pour le SCCCUM. Les années 1990 et 2000 ont été marquées par des négociations en continue, période qui a surtout profité à l’employeur. La négociation de 2010 nous a donné un souffle nouveau

Francis Lagacé conclut en insistant sur l’importance de l’aide, des conseils et du soutien obtenu par la FNEEQ-CSN qui a permis de «mener cette bataille de façon sereine et intelligente