Réquisitoire contre l’amiante

2010/05/17 | Par Dr Fernand Turcotte, Louise Vandelac et al.

Présentement, la Stratégie minière du Québec appuie l’industrie de l’amiante et entraîne le gouvernement du Québec à soutenir financièrement la promotion de l'utilisation de l'amiante chrysotile.[1] Or, l’amiante chrysotile compte pour 100% du commerce global contemporain de l’amiante et constitue 95% de tout l’amiante qui ait jamais été commercialisé.

1- Le Québec continue à éprouver une épidémie de maladies provoquées par l'amiante qui constitue l’une des principales causes de mortalité professionnelle et dont le nombre des victimes ne cesse d’augmenter.[2]

2- L’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) s’oppose à la politique promulguée par la Stratégie minière du Québec qui encourage une plus grande utilisation de l'amiante[3]. Une recherche réalisée par plusieurs agences officielles du Québec a conclu qu’il y avait un taux d'échec de 100% des  pratiques « d'utilisation sécuritaire » dans les industries au Québec qui continuent à utiliser l’amiante chrysotile[4]. L'INSPQ a publié quinze rapports au sujet de l’amiante et en est venu à la conclusion que « l'utilisation sécuritaire » de l'amiante est probablement impossible au Québec, particulièrement pour les travailleurs de la construction[5].

3- La politique du Québec au sujet de l’amiante est en parfaite contradiction avec l’avis des experts de santé publique du Québec[6] et des experts de la santé au Canada[7], et même avec celle de l'Association médicale du Canada[8], de la Société canadienne du cancer[9] et de l'Organisation Mondiale de la Santé[10] qui demandent  que le Québec cesse d’exploiter et d’exporter l'amiante chrysotile. Ils soulignent tous que l'utilisation sécuritaire de n'importe quelle forme d'amiante s’est avérée impossible à mettre en œuvre. Nulle part dans le monde, y compris au Québec, on ne peut prétendre qu’il y ait un usage sécuritaire de l’amiante.

4- Dans le Tiers-monde, où le Québec exporte son amiante, les mesures de sécurité n’existent pratiquement pas. Pour cette raison, des scientifiques de l’Inde ainsi que les syndicats et les groupes militant pour la protection de la santé, ont récemment demandé au Premier ministre Charest que le Québec cesse d’exporter l’amiante en l’Inde[11], qui reçoit déjà plus de la moitié de l’amiante exportée par le Québec.

5- La Confédération syndicale internationale, qui représente plus de 160 millions de travailleurs de 155 pays, demande que l’utilisation de l’amiante soit interdite.[12]

6- L'Association internationale de la sécurité sociale (AISS)  dit que l'amiante est « une bombe à retardement et que son interdiction à terme est inéluctable ». L'utilisation de l'amiante, dit AISS, est « une politique qui privilégie des intérêts à court terme » et qui crée des « conséquences catastrophiques pour les décennies à venir, tant au plan humain qu'économique. »[13] 

 7- La Banque mondiale recommande  qu’on évite d’utiliser d’amiante dans la construction ou dans la rénovation[14]. Presque la totalité de l’amiante qu’exporte le Québec est utilisé dans la construction. La publication de la Banque mondiale, Good Practice Note: Asbestos: Occupational and Community Health Issues, admet que les produits de substitution coûtent à peu près 10 à 15 % de plus à manufacturer, ce qui est toutefois négligeable en comparaison des frais additionnels des mesures de protection et de suivi exigées, quand un produit contient de l’amiante, lors des travaux de construction, de rénovation et de démolition pour les travailleurs et les résidents, sans parler des coûts de santé.

8- Les citoyens du Québec paient des sommes effarantes pour enlever l’amiante chrysotile et d’autres formes d’amiante des bâtiments publics et notamment dans les écoles et les hôpitaux[15]. Chaque fois qu’on utilise l’amiante chrysotile, il faut adopter des mesures spéciales de protection des travailleurs et maintenir ces mesures pendant des décennies pour protéger les citoyens. C’est aussi ce qui explique qu’enlever le revêtement d’asphalte d’une route qui contient de l’amiante chrysotile coûte dix fois plus cher[16]. Les coûts et contraintes sont aussi nettement plus élevés lors de la rénovation ou de la démolition d’un bâtiment contenant de l’amiante chrysotile ou d’autre forme d’amiante.

9- L’exportation de l’amiante par le Québec a baissé de 332 406 tonnes en 1999 à 152 571 tonnes en 2009, ce qui représente une réduction de 54% en dix ans (Global Trade Atlas). Les salaires des 340 mineurs d’amiante qui travaillent dans la seule mine d’amiante encore en opération, ont été réduits de moitié à environ 14 $ l’heure. LAB Chrysotile Inc. qui opère cette mine a dû invoquer la protection de la loi sur la faillite.

10- La Mine Jeffrey, qui a dû, elle aussi se placer sous la protection de la loi sur la faillite, demande une aide de 58 $ millions au gouvernement du Québec[17].

11- L’industrie québécoise de l’amiante risque fort de finir par être condamnée par des tribunaux à payer d’énormes compensations aux victimes de l’amiante chrysotile exporté par le Québec. Ainsi, on apprenait  le 6 avril 2010 qu’un jugement de la Cour d’appel de New Jersey ordonnait à une compagnie québécoise d’amiante (Asbestos Corp.) et à Borg-Warner Corp. de payer 30.3 $ millions de compensation en raison du décès d’un travailleur exposé à l’amiante chrysotile du Québec qui a péri du mésothéliome[18]

12- La désinformation au sujet des risques de l’amiante chrysotile qui entoure l’exportation de l’amiante à travers le monde[19], opération sanctionnée par le gouvernement du Québec, ternit la réputation internationale du Québec et suscite la condamnation de tous les scientifiques indépendants ayant étudié l’impact sur la santé de l’amiante[20].

13- Il est impératif et urgent que le gouvernement du Québec aide les derniers salariés de cette industrie et se dote d’un programme d’action pour soutenir en toute justice les communautés toujours dépendantes de l’industrie de l’amiante, à achever la diversification de leur économie, une entreprise qui est d’ailleurs déjà bien lancée[21].

 

CONCLUSION

Nous recommandons que le projet de loi 79 exige que le Québec cesse d’exploiter, d’utiliser et d’exporter l’amiante chrysotile.

Des points de vue économique, de la protection de la santé publique et de la réputation internationale du Québec, l’industrie de l’amiante n’est plus défendable.

C’est le moment pour la Commission parlementaire révisant le projet de loi 79 de respecter le devoir que l’honneur et l’éthique imposent au Québec comme à toute société civilisée de protéger la santé publique et  qu’en conséquence la commission recommande que le Québec cesse d’exploiter, d’utiliser et d’exporter l’amiante chrysotile.

 

DÉPOSÉ PAR:

Dr Fernand Turcotte, Professeur émérite au département de médecine sociale et préventive, Faculté de Médecine, Université Laval, Québec

 

DE LA PART DE :

- Louise Vandelac, professeure titulaire, département de sociologie et Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal; chercheure au CINBIOSE

- Dr Yv Bonnier VigerMédecin spécialiste en santé communautaire, Professeur au département de médecine sociale et préventive de l'Université Laval, Président de l’Association des médecins spécialistes en santé communautaire du Québec, Beauceville

- Abby Lippman, PhD, Professor, Department of Epidemiology, Biostatistics and Occupational Health, McGill University, Québec

- Dr Pierre Biron, professeur retraité, Faculté de médecine, Université de Montréal, Québec

- Micheline Beaudry, Ph.D., professeure retraitée de nutrition publique (Université Laval), Laval

- Dr. David Mandel, Professor, Université du Québec à Montréal

- Dr Pierre Gosselin, professeur de clinique, Faculté de médecine, Université Laval

- Dr Gilles Paradis, professeur au Département d’épidémiologie, biostatistique et santé au travail , Université McGill

- Maria De Koninck, PhD, Professeure titulaire, Département de médecine sociale et préventive, Université Laval

- Dr Daya Varma, MD, PhD, Prof Emeritus, Pharmacology, McGill University

- Dre Ak'ingabe Guyon, Médecin spécialiste en santé communautaire, Direction de santé publique et des soins de santé primaires, Agence de la santé et des services sociaux du Bas-St-Laurent

- Dr Gérald Létourneau, Médecin spécialiste en santé communautaire, Rouyn-Noranda

- Dr Louise Lajoie, Médecin spécialiste en santé communautaire, DSP Montérégie

- Dr Louise Galarneau,  Médecin conseil, Direction de la santé publique Estrie

- Dr Jean-Pierre Courteau, Médecin spécialiste en santé communautaire, Direction de santé publique de l'Outaouais

- Dr Jacques Levasseur, Regroupement des médecins pour un environnement sain et médecin de famille, Clinique médicale de St-Henri de Lévis

-  Hélène Julien, Montréal

- Dr Yun Jen, Médecin spécialiste en santé communautaire, Montréal

- Dr Geneviève Tremblay, Médecin spécialiste en santé communautaire, Direction régionale de santé publique de la Capitale-Nationale

- Dr Barbara Tessier, Médecin conseil, Direction de santé publique de Chaudière-Appalaches

- Kathleen Ruff, Conseillère senior pour les droits de la personne à l’Institut Rideau des affaires internationales

- Dr Elizabeth Robinson MD, CSPQ, médecin spécialiste en santé communautaire, Montréal

- Dr Benoît Gingras, médecin-conseil, Direction de santé publique Chaudière-Appalaches

- Dr Pierre.L. Auger, médecin spécialiste, Multi-clinique des Accidentés 1465 Inc.  Montréal

- M. Denis Bégin, chimiste, Faculté de médecine, Université de Montréal

- Dr Laurent Marcoux, médecin spécialiste, Joliette

- Dre Anne Andermann, médecin spécialiste, Woodrow Wilson School of Public and International Affairs, Princeton University

- Dr André Dufresne, directeur, Département de santé environnementale et santé du travail, Faculté de médecine, Université de Montréal

- Dr Michel Gérin, Professeur titulaire, Département de santé environnementale et santé au travail, Faculté de médecine, Université de Montréal

- Dr Benoit Lévesque, professeur de clinique, Faculté de médecine, Université Laval

- Dre Lyne Judd, médecin omnipraticien, Gaspé

- Dre Dalal Badlissi, médecin spécialiste en santé communautaire, Chef du département de médecine préventive, ASSS Lanaudière

- Dre Audrey Smargiassi, professeure de clinique, Faculté de Médecine, Université de Montréal

- Dre Ariane Courville, médecin-conseil, Direction de santé publique Gaspésie - Îles-de-la-Madeleine

- Dr Denis Loiselle, médecin-conseil, Direction de santé publique Gaspésie - Îles-de-la-Madeleine

- Dr Patrick Levallois, médecin spécialiste en santé communautaire, Chef du département de santé publique, CHUQ

- Dre Nathanaëlle Thériault, médecin spécialiste en santé communautaire, Direction régionale de santé publique de la Capitale-Nationale

- Dr Denis LalibertéMédecin spécialiste en santé communautaire, Professeur au département de médecine sociale et préventive de l'Université Laval

- Daniel Green, co-président, Société pour Vaincre la Pollution (SVP)

- Dr Pierre Deshaies, professeur de clinique, Faculté de médecine, Université Laval

- Dr Robert Plante, Médecin-conseil en santé au travail et environnementale, Direction de Santé Publique de l'Outaouais

- Georges Langis, PhD., docteur en éducation, Québec

- Paul Malouf, MBA, écologiste, Montréal

- Cécile Sabourin, Professeure, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

- Claire Vanier, PhD, Québec

- Ana María Seifert, MSc sciences, doctorante en santé communautaire Université Laval

- Marie Vanier, PhD, Professeure, École de réadaptation, Université de Montréal

- Johanne Béliveau, étudiante à la maîtrise en histoire appliquée, Québec

- Daniel Breton, écologiste, président de MCN21

- Pierre Jasmin, pianiste et professeur titulaire à l’Université du Québec à Montréal

- Harvey L. Mead, PhD., ancien Commissaire au développement durable du Québec

- Mme. Rohini Peris, Présidente, Association pour la santé environnementale du Québec

- Donna Mergler PhD, Professeure émérite, CINBIOSE (Centre de recherches interdisciplinaires sur la biologie.santé, environnement et société); Centre collaborateur OMS-OPS pour la prévention des maladies reliées à l'environnement et au milieu de travail, Université du Québec à Montréal

- John Bennett, directeur général, Sierra Club Canada

 

NOTE: Institutions nommées pour raisons d'identification seulement


[1] Stratégie Minérale. Voir page 17, http://www.quebecminier.gouv.qc.ca/publications.asp

[2] Confédération des syndicats nationaux, 28 avril 2010 ; 18 oct. 2009.

[3] Bulletin INSPQ, L'utilisation de l'amiante chrysotile au  Québec, pages 11 & 14, Juin 2005.

[4] Gouvernement du Québec, Projet Provincial – Amiante, 31 déc. 2007 (PDF).

[5] Bulletin INSPQ, L'utilisation de l'amiante chrysotile au  Québec, pages 11 & 14, Juin 2005 (PDF)

[6] « Cessons le mensonge », La Presse, 16 sept. 2009.

[7] Lettre au Ministère Fédéral de la Santé, Ministre Leona Aglukkaq, Association Canadienne des Médecins pour l'Environnent et al, 1 déc. 2009 http://www.rightoncanada.ca/?p=465

[8] Résolution, Association Médicale Canadienne 19 août 2009.

[9] Société Canadienne du Cancer, position sur l'amiante 

[10] Organisation Mondiale de la Santé, Élimination  des maladies associées à l'amiante (PDF).

[11] Lettre disponsible sur demande

[12] Les syndicats exigent la santé et la sécurité pour tous les travailleur.

[13] L’Amiante: vers une interdiction mondiale, Association internationale de la sécurité sociale. 

[14] Good Practice Note: Asbestos: Occupational and Community Health Issues, Banque mondiale, mai 2009 (PDF) ; Environmental, Health, and Safety General Guidelines, Banque mondiale, 30 avril 2007 (PDF).

[15] « Le retrait de l'amiante dans certaines écoles a coûté 75 millions », Le Devoir, 21 juin 2002, « L'amiante pose problème dans 36 établissements scolaires de la CSDM », La Presse, 24 novembre 2008

[16] “Des travaux routiers 10 fois plus coûteux”, Radio-Canada, 12 avril 2010.

[17] « Une aide de 58 millions de dollars demandée », Radio-Canada, 4 février 2010 

[18] LAW.com

[19] Utilisation sécuritaire du chrysotile

[20] International Journal of Occupational and Environmental Health, April-May 2010.(PDF)

[21] De la mine à la manufacture, Université Laval, Le journal de la communauté universitaire, 14 mai 2009, Volume 44, numéro 31,