Tragédies romaines d’Ivo Van Hove

2010/05/31 | Par Kevin Williamson

Après avoir mis en scène Maxime Gorki, Albert Camus, Sopocle, Eugène O'Neill et Frank Wedekind pour ne nommer que ceux-là, le directeur de la plus grande compagnie des Pays-Bas s'attaque une fois de plus à l'univers de William Shakespeare.

Avec les Tragédies Romaines, Ivo Van Hove met en scène trois pièce de Shakespeare: Coriolan, Jules César et Antoine et Cléopâtre. Montée pour la première fois en 2007, au Holland Festival, la pièce a ensuite été sélectionnée pour le Wiener Festwoche, le Braunschwig Theaterformen et le Festival de Théâtre néerlandais et flamand. Le spectacle a aussi été nominé pour le prix national du théâtre des Pays-Bas 2008.

Cette adaptation contemporaine des pièces de Shakespeare démontre notre soif pour la politique et l'information dans un monde hautement informatisé et technologique. La pièce s’attaque au comportement des politiciens dans leur recherche du pouvoir. Tout les coups sont permis. Une pièce où le politique et l'intime s'entrechoquent. Aujourd'hui, rien n'arrête, la politique se déroule sans arrêt, 24h sur 24.  

Van Hove et son scénographe Jan Versweyveld emménagent un espace scénique imposant. La scène représente un centre de congrès où tout peut se passer en tout temps. La salle peut se transformer en studio de télévision, en salon intime. Sur scène, on retrouve des fauteuils, des lumières de bureau qui descendent du plafond, des télévisions, un poste Internet, des tables avec des boissons et de la nourriture (crudités, sandwichs, petits déserts, etc.).

La scène devient le centre de tout. Les téléviseurs proposent des images d'actualités comme la guerre ou des ouragans. Sinon, l'action sur scène envahit les écrans pour s'assurer que rien n'est perdu. Sur scène, on regarde le spectacle comme si on était dans son salon. Les comédiens se font maquiller sur scène, ils discutent entre eux, rient, s'amusent, vont prendre leurs courriels. Tout roule.

Pour boucler le tout, sur l'écran géant devant la scène, des nouvelles défilent, des nouvelles de Montréal ou internationales. Van Hove a même jugé bon de pousser l'interaction plus loin en incorporant le phénomène Twitter. Nos twits sont retransmis en direct sur l'écran à l'avant scène. De plus, une cadreuse reste sur scène, elle filme les comédiens, question d'afficher la théâtralité. Le quatrième mur n'existe pas chez Van Hove comme si le peuple pouvait s'afficher et s'exprimer quand bon lui semble dans notre société.

Deux musiciens de chaque côté de la scène assurent l'ambiance sonore du spectacle. Cette dernière soutient impeccablement l'action. Durant les scènes de guerres, les percussions jaillissent, les lumières scintillent. Le tout devient ahurissant et étourdissant. Les faits de guerre défilent sur l'écran géant dans le brouhaha lumineux et sonore. Les éclairages de Jan Versweyveld offrent une ambiance tout aussi prenante que la musique de Blindman. Belle réussite pour cette production de Van Hove. 

Tragédies Romaines s'étire sur 5h30, et ce, sans entracte. Par contre, des petites pauses fréquentes permettent les changements de décor et aux spectateurs de changer de place. Van Hove préconise un jeu lent et réaliste qui colle à l'atmosphère de la production. Les comédiens jouent avec des micros pour leur permettre une intimité de cinéma. Ils peuvent chuchoter, parler normalement. Le jeu devient plus près du naturel cinématographique. Avec les hommes en costards et les femmes en tailleurs, nous sommes en plein monde des affaires, dans l'image réaliste du monde des puissants. Le réalisme demeure la clé pour illustrer le tragique contemporain de la politique. Ce faisant, Van Hove nous interpelle directement.

Tragédies Romaines mérite d'être vu et revu. La durée du spectacle se fait à peine sentir. Étrangement, après les 5h30, notre cerveau en redemande. Même si parfois on décroche, on arrive à garder le rythme du spectacle. Et comme dans la vie, tout va à une vitesse effrénée, on prend ce qui nous parait utile. Un spectacle qui fait réfléchir sur l'être humain et le pouvoir. Être acteur ou voyeur des malheurs des autres ? L'être humain qui veut vivre des sensations fortes sera comblé par cette nouvelle création du Toneelgroep Amsterdam. Du grand art.


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