Israël : un ami de plus en plus encombrant

2010/06/14 | Par Claude G. Charron

«Monsieur Harper est un ami inébranlable d’Israël» s’est dernièrement écrié un Benyamin Netanyahou en  visite au Canada.  Donnèrent raison au premier ministre israélien les creuses paroles prononcées par «l’ami canadien » suite à l’abordage du «Mavi Marmara».

Un non-blâme qui fut âprement dénoncé par Christian Nadeau dans  Le Devoir du  3 juin : « En appuyant de manières inconditionnelle les activités de Tsahal et les décisions de Benyamin Netanyahou, Stephen Harper montre qu’il n’est pas un ami d’Israël. On ne saurait logiquement se prétendre tel en appuyant les autorités israéliennes, lesquelles bloquent toute possibilité d’un accord équitable entre elles et le peuple palestinien.» 

Il reste que cette amitié «inébranlable» d’un premier ministre canadien pour Israël est loin d’avoir débuté avec l’arrivée au pouvoir de Stephen Harper comme nous le démontre magistralement Canada and Israel – Building  Apartheid.

L’écrivain montréalais, Yves Engler, nous apprend que les racines du sionisme ne sont pas juives, mais chrétiennes. En 1649, deux puritains britanniques vivant à Amsterdam avaient sollicité l’aide de Londres afin que «la nation anglaise et les habitants des Pays-Bas soient les premiers à fournir un bateau à des enfants d’Israël pour qu’ils puissent retourner dans  la Terre promise de leurs ancêtres, Abraham, Isaac et Jacob, et  jouir de leur perpétuel héritage».

Un tel souhait, bien ancré dans l’âme d’une certaine forme de protestantisme, a semblé en  voie de réalisation quand, au milieu du 19e siècle, des non-juifs en firent l’objectif de leur vie. Ce qui fit qu’en 1775, l’homme d’affaire canadien H.W. Monk a investi une grosse somme pour qu’une première colonie juive s’implante en Palestine. L’échec ne le découragea nullement puisque, sept ans plus tard, il plaça une annonce dans le Jewish World pour que soit fondée une Bank of Israel devant servir à financer la colonisation juive en Palestine.

Les idées de Monk avaient  d’abord été celles du comte de Shaftesbury. Dès 1839, se scandalise Engler, celui-ci colportait l’infamant slogan: «une terre sans peuple pour un peuple sans terre».  Le comte entrevoyait le retour des Juifs en Palestine comme une autre façon de donner de l’expansion à l’Empire britannique. Et Monk de renchérir, lui qui souhaitait la création d’un Dominion d’Israël plus que simple copie du Dominion du Canada.  Jérusalem devant remplacer Londres comme capitale de l’Empire. 

En 1896, Monk aurait défendu sa cause en écrivant à Lord Balfour. Engler reste convaincu que cette lettre a eu une certaine influence sur la fameuse promesse que, vingt ans plus tard, fera aux Juifs un Balfour devenu ministre des Affaires étrangères alors que L’Angleterre était en guerre contre l’Empire ottoman

Engler donne les noms de trois autres énergumènes à avoir sillonné Canada et États-Unis dans l’intention de tracer la voie pour le  retour du Christ  sur terre. Quoi se surprendre alors qu’avec l’arrivée d’un Born Again Christian à la tête d’un pays aussi wasp que les États-Unis,  notre voisin au Sud soit plus que jamais devenu, du moins pour la période  pré-Obama,  grand ami d’Israël. Idem avec l’arrivée au pouvoir des Stephen Harper et Stockwell Day au Canada. 

Le chapitre 2 du livre d’Engler nous permet de saisir comment l’idéologie protestanto-sioniste des Monk et Shaftesbury avait teinté les actes de nos hommes politiques dans l’important rôle que le Canada devait jouer dans la création d’Israël. Et un de ces hommes-clé fut Lester B. Pearson.

Après avoir été ambassadeur du Canada à Washington, ce fils d’un pasteur méthodiste est, en mai 1947, nommé président du Comité spécial de l’ONU sur la Palestine. Engler nous révèle que Pearson donnera une orientation tout-à-fait sioniste à l’UNSCOP, rejetant les appels arabes pour que cesse immédiatement le mandat britannique de la Palestine et pour qu’on y établisse un pays démocratique. Devant l’idée que ce soit des représentants de pays complètement asservis aux diktats des États-Unis qui décident de leur futur, les Palestiniens ont alors décidé de boycotter l’UNSCOP.

Le représentant canadien à l’UNSCOP fut un personnage très connu de nos  milieux syndicaux : Ivan C. Rand.  Engler nous apprend qu’avec un autre membre du comité, l’ex-juge de notre Cour suprême a particulièrement privilégié les sionistes dans le partage du territoire palestinien. Plus qu’ils en demandaient.

Sitôt que la délégation arabe a connu les grandes lignes du rapport de l’UNSCOP, elle a fait appel à la Cour internationale de Justice. Elle s’apprêtait entre autres à lui demander : «S’il est pertinent que tout membre ou groupe de l’ONU puisse suggérer la partition de la Palestine sans le consentement de la majorité de sa population? Peine perdue : Ottawa s’opposa à ce recours à La Haye et c’est à 21 contre 20 que  les membres du Comité Ad Hoc lui donnèrent raison. 

L’amitié inébranlable du Canada pour Israël a donc commencé exactement huit ans avant que Pearson soit nobélisé pour sa merveilleuse  idée d’envoyer des casques bleus dans le Sinaï suite à la Crise du canal de Suez en 56.

Amitié qui, à quelques nuances près, a perduré pendant tous les termes de ses successeurs comme premier ministre du Canada. Lors de chacune des nombreuses résolutions présentées à l’Assemblée générale des Nations Unies dénonçant les exactions d’Israël contre les Palestiniens, le Canada s’est toujours automatiquement rangé du côté des États-Unis, soit en votant contre la résolution, soit en s’abstenant.

À  propos de l’invasion libanaise de 1982 qui mena aux massacres de 2000 Palestiniens des  camps de Saba et Chatila, c’est un Engler outré qui écrit : «Ottawa manqua à son devoir de condamner Israël comme il le fit quand l’Union soviétique envahit l’Afghanistan ou quand, la même année, l’Argentine envahit les îles Falkland.»

Mais ce qui scandalise davantage l’écrivain, c’est d’avoir appris par le Toronto Star en 1996 que des groupes utilisaient leur statut d’organisation charitable leur permettant d’émettre des reçus pour déductions fiscales et relaxer ainsi des fonds servant à la construction de maisons pour colons juifs en  territoires occupés.

Situation encore plus exécrable quand, en septembre 2002, un juge de la Cour d’appel renversant une décision d’une cour inférieure, s’est permis de commenter son jugement. Il ne voyait pas pourquoi la charité doive s’arrêter à la frontière d’un Israël d’avant 1967.

Un juge non élu, souvent nommé pour des raisons politiques et n’ayant aucun état d’âme sur le fait que sur les 100 millions de dollars pouvant s’envoler pour Israël par simple générosité individuelle, 25 millions de cette  somme sortait de la poche des contribuables canadiens. Et serviront à bulldozer les maisons palestiniennes pour faire place à celles plus modernes de familles juives qui, la Loi du retour aidant, avait été sollicitées par des Jewis Foundation de leur pays d’origine, pour qu’elles viennent  s’établir en Israël. 

Engler nous apprend qu’Israël a nommé Canada Park, un vaste espace de Cisjordanie où, pour ce faire, on a dû démolir plusieurs maisons appartenant à des Palestiniens. Un parc pour célébrer la grande amitié entre le Canada et Israël. N’est-ce pas là une amitié qui devient de plus en plus gênante?

Amitié plus que gênante : encombrante quand Engler nous apprend qu’Israël a fait un héros du Canadien Dunkelman qui, pendant la guerre de 1948, dirigeait la septième brigade, cette brigade «anglo-saxonne» réputée pour son terrorisme et sa barbarie, qui avait littéralement rasé les villages de Jish, Sa`sa, Safsaf et Salita tuant de 60 à 94 Palestiniens dans ce dernier petit bastion de quelque deux mille habitants.

Nos leaders politiques nous ressassent les oreilles en nous disant que nos soldats risquent leur vie en Afghanistan pour apporter la démocratie à ce peuple. Pour y combattre l’intégrisme religieux. Et on se dit ami inconditionnel d’un État théocratique qui se sert de passeports canadiens afin de pratiquer en pays tiers l’assassinat sélectif des chefs du Hamas?

Le 6 juin dernier, le National Post nous présentait un long texte de Bryan Mulroney dans lequel l’ancien premier ministre du Canada nous démontrait comment, dans la décennie 1930, le pays avait été infecté par l’antisémitisme. Et que, même après être au courant des atrocités des nazis envers les Juifs, le Canada a longtemps fermé sa porte aux réfugiés.   

The Lede, un blog du New York Times, nous signale que de nombreux Israéliens établissent maintenant un parallèle entre les difficultés du navire Exodus en 1947 et ceux du «Mavi Marmara» le 31 mai dernier. Les temps changent. Si Israël ne veut aucunement changer son attitude envers les Palestiniens, eh bien le Canada se devra de se libérer quelque peu de ce gênant et encombrant ami.