Certificats médicaux : Hydro-Québec contrevient à la Charte des droits et libertés

2010/06/17 | Par Maude Messier

Hydro-Québec s’immisce abusivement dans la vie privée des travailleurs et des travailleuses, telle est l’une des conclusions dans d’une décision du tribunal d’arbitrage rendue le 27 mai dernier par Me Nadeau. Une bonne tape sur les doigts pour la société d’État et une importante victoire syndicale qui fera assurément des vagues dans plusieurs milieux de travail.

En 2007, Hydro-Québec avise le Syndicat des technologues d’Hydro-Québec (SCFP 957) qu’elle modifie le certificat médical, prévu en annexe de la convention collective, aux fins de prestation du régime de sécurité de salaire en cas d’absence de plus de trois jours d’un travailleur pour des raisons de santé.

Marcin Kazmierczak, conseiller syndical au 957, a agit à titre de procureur du syndicat dans ce dossier. Il explique qu’Hydro-Québec s’est attaquée à des principes fondamentaux en droit du travail et que le syndicat estime que ce nouveau certificat contrevenait aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne. «L’employeur a choisi d’imposer unilatéralement sa vision, ses principes. Le 957 s’est ouvertement opposé à cette modification du certificat médical et a déposé un grief.»

Si la décision n’est rendue que deux ans et demi plus tard, c’est notamment parce que «les audiences ont dû être reportées à au moins deux reprises, l’employeur n’étant pas prêt à plaider le dossier».

Pour le conseiller syndical du 957, la déconfiture d’Hydro-Québec dans ce grief est à l’image de l’absence de bien fondé dans son initiative, «des tractations de médecins gratte-papiers, grogne-t-il en entrevue à l’aut’journal.

Un «certificat médical», vraiment?

Les modifications apportées au certificat médical soulèvent l’indignation de la partie syndicale parce que, comparativement aux pratiques antérieures, il  implique désormais un éventail d’informations d’ordre médical qui ne sont pas nécessairement reliées aux motifs de l’absence du travailleur.

Par exemple, le médecin traitant doit fournir un diagnostic principal de même qu’un diagnostic secondaire s’il y a lieu. Ce à quoi réagit fortement le syndicat: «L’employeur n’a pas à savoir par exemple qu’un travailleur a une maladie X ou encore un problème de jeu si ce n’est pas en lien avec l’absence à motiver. Ce type d’informations pourraient très bien se retrouver à son dossier, c’est dangereux!»

Pour les maladies à caractère psychologique, des précisions sur les maladies associées sont requises de même que des détails sur les stresseurs psychosociaux des douze derniers mois, la médicamentation, les problèmes personnels pouvant être reliés (conjugaux, alcoolisme, drogues, jeux, famille, etc.), les consultations de spécialistes et les établissements fréquentés.

Le travailleur doit également signer une autorisation de transfert de renseignements médicaux entre «tout médecin, tout autre professionnel ou intervenant ou du domaine de la santé et de la réadaptation, ainsi que tout établissement public ou privé de santé ou de service sociaux» et l’équipe de Gestion des invalidités ou «ses mandataires».

Marcin Kazmierczak estime que cette demande d’autorisation est abusive et que ses paramètres sont mal définis: «Même dans le secteur de la santé, les règles sur le cloisonnement sont très strictes. Ici, il n’y a aucune mesure de contrôle.»

Dans sa plaidoirie, l’employeur prétendait avoir besoin de ces informations pour faire un traitement efficace de l’invalidité. Pour le conseiller syndical, «personne ne devrait avoir à se mettre à nu devant son employeur aussi impunément et dévoiler un pan de sa vie privée alors que ça n’a rien à voir avec les raisons de son absence au travail. Un point c’est tout

L’arbitre donne raison à la partie syndicale. La décision est explicite à cet effet en insistant sur le fait qu’un certificat médical doit référer expressément à la maladie en cause de l’absence, à sa nature. Me Nadeau juge que les informations exigées par l’employeur «outrepassent ce qui devrait être requis dans un certificat médical».

M. Kazmierczak déplore que «des organisations qui se disent la crème de la société québécoise fassent une application aussi aberrante de la Charte encore en 2010.» Pour illustrer son propos, il note que «si une section du certificat médical demandait des informations relatives à la couleur de la peau, au pays d’origine, à la religion ou à l’orientation sexuelle, tout le monde grimperait dans les rideaux. Pourtant, les informations demandées ici sont tout aussi abusives.»

Une pratique qui se répand

D’après les informations du Syndicat des technologues d’Hydro-Québec, des certificats médicaux étrangement similaires seraient actuellement implantés dans différents secteurs et milieux de travail.

«On sait que d’autres syndicats sont aux prises avec des certificats médicaux presque identiques, explique Marcin Kazmierczak. Des griefs sont déposés et c’est pourquoi la décision de Me Nadeau était très attendue. Les employeurs se disent que si Hydro-Québec le fait, c’est correct… Et bien non! Nous sommes d’autant plus heureux et satisfaits de cette décision qui fera jurisprudence.»

Le conseiller syndical se dit préoccupé par cette tendance chez certains employeurs d’incursion dans la vie privée. «Je m’inquiète de ce qui se passe dans les milieux non syndiqués où les travailleurs n’ont pas nécessairement accès aux mêmes ressources pour défendre leurs droits. C’est préoccupant parce qu’on constate que ce type de certificat médical se répand.»

En effet, la même situation pourrait se présenter partout où un employeur fournit des congés de maladie payés aux employés et qu’un certificat médical est exigé pour recevoir les prestations.



Atteinte à la vie privée


Dans sa décision, l’arbitre conclut qu’Hydro-Québec exige d’un travailleur qui doit s’absenter «une renonciation déraisonnable et disproportionnée à l’égard de plusieurs volets de sa vie privée et contrevient donc à la Charte.»

Marcin Kazmierczak fait valoir que la vie privée est «un principe sacré dans notre société. Ce n’est pas parce que Hydro-Québec est un employeur majeur au Québec ou parce que c’est institutionnalisé qu’ils peuvent se permettre de requérir ces informations-là sans raison valable.»

Le syndicat se dit préoccupé par cette soif d’informations personnelles relatives au dossier médical des travailleurs. «On ne voudrait surtout pas voir des informations de cette nature sortir des dossiers médicaux et se retrouver dans des dossiers disciplinaires par exemple. On n’a aucune garantie légale qu’il y a un cloisonnement efficace.»

Certes, Hydro-Québec plaide le cloisonnement complet de son service médical, mais c’est loin d’être suffisant pour le syndicat. «Même si Hydro-Québec dit faire une gestion très serrée des certificats médicaux, n’en demeure pas moins qu’il s’agit du même employeur!»


Un seul chapeau


Ce n’est pas un hasard si le certificat médical proposé par Hydro-Québec a tous les airs d’une déclaration du médecin traitant, document généralement exigé par les compagnies d’assurances.

«C’est sous les bons soins du docteur Vaillancourt que les modifications au certificat médical ont été apportées. C’est son initiative.» Or, il appert que Dr Vaillancourt, médecin administratif d’Hydro-Québec et responsable de l’équipe médicale de la Gestion des invalidités, a déjà occupé les fonctions de médecin conseil auprès d’entreprises privées et de compagnies d’assurance, notamment pour la Sun Life du Canada.

Dans ses plaidoiries, l’employeur fait valoir qu’il doit être considéré, sur le plan juridique, à titre d’assureur puisqu’il assume en totalité le paiement du régime de sécurité de salaire et qu’il est donc en droit d’exiger les mêmes renseignements médicaux. «Hydro-Québec est un employeur, pas un assureur. Ils ne peuvent pas changer de chapeau quand ça leur tente!», ironise Marcin Kazmierczak.

L’arbitre aussi s’oppose formellement à la proposition d’Hydro-Québec. Il indique que le régime en question est en fait une compensation salariale et que, bien que l’employeur en paie les frais, cela ne lui permet pas de se soustraire aux dispositions de la convention collective pour exiger des renseignements requis par un assureur dans le cadre d’un régime d’assurance salaire de longue durée, par exemple.

Au moment d’écrire ces lignes, le syndicat ne

savait toujours pas si Hydro-Québec avait l’intention de se plier à la décision de l’arbitre ou d’aller en révision judiciaire. M. Kazmierczak précise qu’il ne voit rien d’attaquable ou de déraisonnable dans cette décision.

«Ils ont un délai de 10 jours pour le faire. Pour le moment, on n’a pas d’indication à cet effet, mais Hydro-Québec est déjà allée en Cour Suprême pour des dossiers concernant directement la Charte des droits et libertés par le passé