Afghanistan : Coalition Ignatieff-Harper ?

2010/06/18 | Par Pierre Dubuc

Au cours des dernières semaines, on a beaucoup parlé et écrit sur une possible coalition – voire même d’une fusion – entre le Parti libéral du Canada et le Nouveau Parti démocratique. C’est Jean Chrétien qui a lancé le bal en faisant allusion à des discussions qu’il aurait eu à cet effet avec le néo-démocrate Ed Broadbent.

Quelle crédibilité doit-on accorder à cette rumeur? Aucune tant que Michael Ignatieff demeure à la tête du Parti libéral. Par contre, il faut y voir une tentative de déstabilisation du leadership du chef libéral menée par le camp Chrétien.

Sur un sujet aussi fondamental que la guerre, Michael Ignatieff nous rappelle, avec sa prise de position en faveur du prolongement de la mission militaire en Afghanistan après 2011, qu’il est aux antipodes de la position du NPD qui réclame depuis longtemps le retrait des troupes.

Depuis sa rentrée politique au Canada, Michael Ignatieff a été un farouche va-t’en guerre et il a été au cœur des tractations qui ont présidé aux deux prolongements précédents. Trois mois après l’élection qui porte les conservateurs au pouvoir  en 2006, c’est Michael Ignatieff qui permet de justesse l’adoption de la motion prolongeant la mission en regroupant autour de lui deux douzaines de députés libéraux. Stephen Harper traverse alors le parquet de la Chambre pour aller lui serrer la main.

Deux ans plus tard, lorsque John Manley, nommé par Stephen Harper à la tête d’un comité « indépendant », recommande un nouveau prolongement de la mission en Afghanistan, Michael Ignatieff court-circuite son chef Stéphane Dion en prenant l’initiative de rédiger un long amendement que Stephen Harper s’empresse d’incorporer à sa motion, ce qui en assure l’adoption.

Avant son retour au Canada, Michael Ignatieff était directeur du Carr Center for Human Rights Policy à l’Université Harvard où il a apporté son soutien à George W. Bush et aux guerres en Afghanistan et en Irak, de même qu’aux mesures d’exception qui ont suivi les attentats du 11 septembre. C’est à partir de juin 2003 qu’il effectue des visites de plus en plus nombreuses au Canada pour s’adresser aux hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et aux cadres du Parti libéral.

Le Pentagone et l’establishment militaire canadien avaient pris en grippe le Parti libéral par suite de son opposition à la guerre en Irak sous Jean Chrétien. Son successeur Paul Martin ne comblait pas non plus leurs attentes en ne considérant pas l’Afghanistan comme une priorité et en refusant d’adhérer au projet de bouclier antimissile.

C’est pour contrer cette « dérive pacifiste » du Parti libéral du Canada qu’un groupe de jeunes libéraux, gravitant autour de John Manley, le plus proaméricain des libéraux, se rend alors chez Michael Ignatieff à Boston pour lui demander de venir prendre les rênes du Parti libéral.

Qui se surprendra aujourd’hui que Michael Ignatieff s’appuie sur les remontrances de Hillary Clinton à l’égard du gouvernement Harper, lors de sa dernière visite à Ottawa, pour proposer la poursuite de la mission militaire en Afghanistan. Bien sûr, il déclare que ça ne sera pas à Kandahar et que les soldats se limiteront à former l’armée et la police afghanes. Mais il est reconnu que cette formation ne peut se faire qu’en accompagnant les troupes afghanes au combat.

Stephen Harper maintient toujours que la mission devra avoir un caractère exclusivement civil après 2011, mais il a ouvert la porte à un réexamen de sa position suite aux déclarations de Bob Rae et Michael Ignatieff.

Sachant l’importance que Stephen Harper accorde à la participation du Canada à des missions militaires – il a exprimé à plusieurs reprises son intention de remodeler l’identité canadienne à partir de la Défense, de la Politique étrangère et de l’Armée –, personne ne croit que son refus exprimé jusqu’à date d’un prolongement de la mission militaire est motivé par des considérations pacifistes.

En excellent tacticien politique qu’il est, Harper voulait sans doute laisser les libéraux se mouiller les premiers, sachant fort bien que Michael Ignatieff ne ferait pas faux bond à ses commanditaires américains, afin d’éviter que la question ne devienne un enjeu électoral entre les deux principaux formations politiques.

Du côté libéral, la position de Michael Ignatieff risque d’être mal reçue par une partie de la députation, toujours fidèle à Jean Chrétien. On se souviendra qu’au congrès de 2006, ces délégués, qui appuyaient principalement Bob Rae, avaient préféré soutenir Stéphane Dion plutôt que de se rallier au dernier tour de scrutin à Michael Ignatieff.

C’est cette opposition que Jean Chrétien est venu re-dynamiser par ses propos au sujet d’une éventuelle alliance avec le NPD. Comme quoi, les luttes internes au sein du Parti libéral entre les factions pro-américaines et plus nationalistes sont toujours présentes.

 

Pierre Dubuc est l’auteur de Michael Ignatieff au service de l’empire, une tradition familiale, publié aux Éditions Michel-Brûlé, 2010.