Journal de Montréal et loi anti-scabs

2010/06/18 | Par Maude Messier


 Photo : Alain Décarie - Rue Frontenac

Compatissante envers les 253 employés à la rue du Journal de Montréal, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, n’aurait toutefois pas «l’intention de pousser fort pour que des modifications soient apportées à la loi anti-briseurs de grève», selon Rue Frontenac.

Chose certaine, les aléas du conflit de travail qui perdure depuis seize mois au Journal de Montréal ont fait la démonstration des lacunes de la loi anti-scabs de 1978. Un sérieux coup de rajeunissement et un effort d’adaptation aux réalités de 2010 pourrait certainement permettre aux lock-outés de faire respecter leurs droits.

Le conflit au Journal de Montréal serait-il en voie de devenir le nouveau United Aircraft? Symbole confirmé d’une période d’effervescence dans l’histoire des relations de travail du Québec, le conflit de 1974-1975 est généralement admis comme l’un des plus longs et des durs que le Québec ait connus.

Les travailleurs s’insurgeaient notamment contre les briseurs de grève embauchés pour que l’entreprise puisse poursuivre ses activités malgré le conflit. Aux grands mots les grands moyens, la violence draconienne de ces évènements témoigne de l’indignation et de la colère des travailleurs lésés.

 

Du pareil au même

Ces bouleversements ont mené au dépôt du projet de loi 45 en 1977 par Pierre-Marc Johnson, «inflexible devant le patronat» à l’époque (Le Devoir, 9 novembre 1977). Préparée en grande partie par Raymond Bachand - l'actuel ministre des Finances -, la loi anti-scabs est finalement adoptée par le Parti québécois en 1978. Le Code du travail s’en trouve substantiellement modifié et le recours aux briseurs de grève pendant un conflit de travail est interdit.

Tollé général du côté des employeurs, le projet de loi 45 a fait couler beaucoup d’encre et soulevé bien des émois. Un regard en arrière permet de constater à quel point le discours patronal, appuyé par des principes néo-capitalistes, a peu changé en trente ans.

À l’époque, pour l’Association des manufacturiers comme pour le Conseil du patronat, les mesures de la loi anti-scabs nuiront irrémédiablement à l’économie québécoise: «Aussi, a-t-on raison de s’alarmer (…) qu’il soit de plus en plus difficile pour les produits canadiens de concurrencer ceux des autres pays.» (Le Devoir, 30 octobre 1977, p.3)

Ils vont même jusqu’à prétendre à la légitimité des scabs, en vertu de l’offre et de la demande: «La possibilité d’engager des ''travailleurs substituts'' pour remplacer les grévistes démontre justement, selon les manufacturiers, que l’offre patronale est raisonnable puisqu’un certain nombre de travailleurs sont prêts à l’accepter.» (Le Devoir, 30 octobre 1977, p.3)

Pour les employeurs, la loi anti-briseurs de grève déséquilibre le principe de justice qui prévaut dans les relations de travail. Ils estiment par ailleurs que cela représente une faveur inéquitable pour la partie syndicale qui, à leur avis, jouie déjà d’un trop grand pouvoir. «(…) une telle disposition rompt l’équilibre des forces contre les parties.» De plus, le projet de loi 45 ne ferait qu’envenimer les tensions existantes et aurait pour effet de «prolonger la duré des conflits et des multiplier le nombre de grèves et de lock-out» (Le Devoir, 18 août 1977, p.3)

Gérard Dion, professeur de relations industrielles de l’Université Laval, déclarait en 1977 que les PME québécoises courraient un grand danger: «Celles-ci en souffriront davantage, en étant à la merci totale des syndicats, ce qui pourrait être un désastre pour notre économie. Qui, dans ces conditions, osera investir pour créer de nouvelles entreprises?» (Le Devoir, 7 novembre).

Les voix les plus radicales se sont toujours élevées contre les luttes ouvrières. Le Frère Untel (Jean-Paul Desbiens) déclarait sans vergogne que le pouvoir des «establishments syndicaux d’idéologie marxiste» se trouvaient renforcé impunément par une loi anti-scabs. Il dénonce au passage le fait que cette lutte s’apparente à celle «menée aux cieux contre Lucifer par les anges restés fidèles à Dieu» (Le Devoir, 18 octobre 1977).

Finalement, ce discours déchaîné des chevaliers de l’apocalypse sur l’entrave que constitue le syndicalisme à la bonne marche du capitalisme nous est bien connu. «Le projet de loi 45 pourrait compromettre l’existence de nombreuses petites et moyennes entreprises, selon le Centre des dirigeants d’entreprises (CDE)» (Le Devoir, 18 août 1977, p.3) Un discours similaire en tous points avec celui des Instituts économiques de Montréal de ce monde, véhiculé ad nauseam sur les plateformes médiatiques de Quebecor.

 

La nouvelle économie

Dans cette perspective, le conflit au Journal de Montréal incarne lui aussi les nouvelles réalités d’une société en mutation. Dans la société d’information que le Québec est devenu, le secteur des communications occupe une place prépondérante et influente dans la sphère économique.

Si justement souligné par Valérie Dufour de Rue Frontenac, comment expliquer sinon cette gênante hésitation de Pauline Marois à condamner le double rôle de Sam Hamad qui, «comme ministre du Travail, doit encourager un règlement du conflit mais qui, en tant que ministre responsable de la région de Québec, courtise le président de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, pour la venue d’un club de hockey professionnel à Québec»?

Ces réactions, tout comme les réponses évasives du Premier ministre, en disent long sur les préoccupations des élites politiques quant au sort des lock-outés. Pourtant, à sa façon, le conflit au Journal de Montréal est (et c’est bien là toute la question) tout aussi important que celui de la United Aircraft.

Le silence autour du conflit est sidérant, les appuis sont fuyants et la présence des «chroniqueurs» sur toutes les tribunes est gênante. Si PKP incarne un dinosaure des relations de travail pour certains, il s’avère aussi être un redoutable rouleau compresseur idéologique. Coûte que coûte, il s’affère à l’atteinte de «ses objectifs». Il n’y a qu’à considérer la multiplication d’injonctions qui bâillonnent les lock-outés.

À l’ère de la société d’information, il faudrait vraiment être fou pour ne pas comprendre le rôle central qu’est appelé à jouer le secteur des communications. Téléphonie, Internet, cablôdistribution, télévision, presse écrite… la liste des activités de Quebecor est longue. Pourtant, après 16 mois de lock-out, le Journal poursuit ses activités sans réelle perturbation, l’agence QMI prend ses aises et l'entreprise annonce en grandes pompes le lancement prochain d’une chaîne télévisuelle de nouvelles en continue à tendance fortement idéologique.

La portée de ce conflit dépasse largement les murs du quotidien de la rue Frontenac, c’est de la diversité et de la qualité de l’information au Québec dont il est question, des droits et du respect des travailleurs et des travailleuses.

Force est de constater que la législation visant à protéger les travailleurs demande à être rafraîchie, ce que les 500 jours de lock-out au Journal de Montréal démontre clairement.