Le gaz de schiste au Québec

2010/07/23 | Par Lucie Sauvé et al.

Parmi les signataires,

Lucie Sauvé, Ph.D., titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement, Université du Québec à Montréal

Pierre Batelier, coordonnateur développement durable et responsable pédagogique du DESS

gestion et développement durable, HEC Montréal.

André Bélisle, président et Kim Cornelissen, vice-présidente, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique

Johanne Béliveau, au nom du Regroupement « Mobilisation gaz de schiste »

Martine Chatelain, présidente, Coalition québécoise pour une gestion responsable de l'eau

Michel A. Duguay, Ph.D., Faculté des sciences et de génie, Université Laval


Les choix énergétiques du Québec ne seraient-ils qu’une affaire d’ « enthousiasme », de « conviction profonde », de foi joviale en somme, comme on peut lire dans la « libre opinion » d’André Caillé, publiée récemment dans Le Devoir (6 juillet 2010) et le Soleil (13 juillet)?

Les promoteurs se lancent dans une entreprise de « grande séduction » du public, qu’il importe de convaincre du bien fondé, de la nécessité et de l’urgence d’exploiter les hydrocarbures, en particulier le gaz de schiste (shale gas) au Québec.

Car le problème se situerait, non pas dans ce projet lui-même, qui annonce un nouvel Eldorado, mais dans l’ignorance et les préjugés des citoyens.

En vue de favoriser le développement de cette filière énergétique, on se hâte – en toute « transparence » – d’informer les incultes et de faire la démonstration de l’acceptabilité sociale du projet : l’exploitation des ressources gazières « est bon pour le Québec, tant sur le plan énergétique, économique qu’environnemental ». André Caillé dixit et le MRNF aussi.

Mais qui donc serait contre une telle vertu? Tous ceux qui examinent sérieusement ce dossier! Un nombre grandissant de citoyens, d’organisations et de groupes environnementaux – l’AQLPA en tête, avec Nature-Québec, la Coalition Au Secours!, la Fondation Suzuki, Équiterre, Greenpeace et autres – ont compris l’incohérence et les problèmes d’envergure inhérents à ce projet, et réclament d’urgence sa remise en question.

On apprend entre autres que les informations communiquées à la population par le MRNF proviennent des experts des compagnies gazières elles-mêmes et n’ont pas fait l’objet de vérifications.

Bien qu’il s’agisse d’une situation de risques majeurs, le développement du gaz de schiste a été soustrait à la démarche gouvernementale d’évaluation environnementale. La Loi sur les mines a préséance sur toute autre loi canadienne ou québécoise (dont la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur l’eau, la Loi sur le développement durable, etc.). Et le secret commercial scelle le couvercle.

A défaut de déconstruire ici un à un les arguments de monsieur Caillé et des porte-parole du MRNF, voici quelques affirmations qu’il sera possible d’appuyer dans un autre contexte.


1) L’exploitation du gaz de schiste implique de nombreux problèmes. Entre autres : utilisation et contamination de très grandes quantités d’eau (alors que les plans d’eau sont en bas des niveaux historiques); utilisation d'une quantité importante de divers produits chimiques (multipliée par le nombre de puits et par le nombre d’années) ; risques d’émanation de gaz nocifs (dont le radon et le méthane); problème d’acceptabilité sociale dans une zone d'exploitation densément peuplée, avec de nombreux conflits d'usage potentiels, dont l’usage industriel des meilleures terres agricoles; absence de réglementation; gestion des risques et mesures d’urgence inexistantes ou inadéquates; techniques d'extraction générant beaucoup de gaz à effet de serre et mise à disposition de nouvelles ressources en hydrocarbure, de nature à accroître la demande; absence d’études sur le bilan carbone d’une telle filière; retombées économiques douteuses en raison, entre autres, des nombreuses externalités; etc.


2) Les « leçons d’ailleurs » - via les médias et les rapports d’enquête - sont de nature à nous inquiéter vivement (fuites, explosions et incendies, fissures dans le ciment et les tuyaux devant contenir les boues de fracturation, etc.). En l’absence d’études rigoureuses et validées – connaît-on bien entre autres les spécificités du sous-sol de la vallée du Saint-Laurent et la dynamique de circulation des eaux profondes et des gaz souterrains ? - l’exploitation du gaz de schiste correspond à une vaste expérimentation, aux dépens des citoyens et des écosystèmes.


3) Les messages concernant les retombées économiques et les emplois potentiels de cette filière (beaucoup de camionnage!) se basent sur un scénario de développement à grande échelle, avec évidemment des impacts à grande échelle. Par ailleurs, les chiffres avancés (2 milliards de revenus pour le Québec) ne sont pas mis en perspective du budget global et au regard d’alternatives, et ils sont très contestables en termes de retombées collectives : tout au privé!


4) Aux « leçons d’ailleurs » s’ajoutent les « leçons du passé ». L’histoire de l’énergie au Québec montre qu’il y faut se méfier des « bulles » : souvenons-nous du nucléaire dans les années 60, de l’éthanol (maïs grain), du Suroît. Le développement du gaz de schiste est une « bulle » politico-économique qui pourrait être très préjudiciable au développement énergétique à long terme du Québec.


5) Le fait de privilégier les hydrocarbures empêche de mettre résolument l’accent sur le développement des énergies renouvelables en opérant une distorsion sur les forces du marché et en déviant les actions du gouvernement des objectifs fixés dans ses programmes relatifs à l’environnement et au développement durable, dont celui des changements climatiques.


6) Il n'y a pas d'urgence : le gaz ne s'échappera pas. Le seul véritable facteur qui pousse à une exploitation rapide est l'expiration des permis octroyés aux compagnies. Un moratoire s’impose, dès maintenant – sans attendre la nouvelle politique et le cadre législatif qui s’annoncent (et qui seront créés en collaboration avec l’industrie). Les activités gazières en cours deviennent le point de départ d'un engrenage fort inquiétant et qui pourrait s’avérer très coûteux pour le Québec s’il fallait racheter les droits de produire (qu’on pense aux échecs des centrales de Bécancourt ou de Gentilly).


7) En cohérence avec le principe de précaution, il faut exiger des études d'impacts aux échelles locale, régionale et macro-régionale de ce développement industriel majeur; ces études doivent être à l’abri de toute collusion politico-économique.


8) Une consultation publique (audience générique) doit être mise en place (BAPE), abordant tous les aspects de la problématique et aussi les solutions alternatives.


9) Des études comparatives de rendement énergétique et de rentabilité économique à long terme entre différentes filières devront être menées en vue de produire une nouvelle politique énergétique véritablement éclairée - qui ne se limite pas à générer des mesures réglementaires pour mieux permettre des choix inappropriés.



10) Il existe des liens étroits entre les différentes problématiques énergétiques au Québec : le gaz de schiste, le forage pétrolier, les ports méthaniers, les pipelines, le nucléaire, les petites centrales, le harnachement inutile des dernières grandes rivières, le développement chaotique de l’éolien, etc. Une réflexion en profondeur s’avère essentielle en cette étape d’un tournant énergétique majeur au Québec.

Voilà donc quelques-unes des bonnes raisons de s’opposer, de résister et surtout, de poursuivre la mise en place des conditions d’une véritable souveraineté énergétique, à long terme. Nous devons nous y appliquer « sans relâche ».