Le Québec doit s’affirmer dans l’Arctique

2010/08/30 | Par André Binette

L’auteur a été coprésident de la Commission du Nunavik, 1999-2001 et est membre du C.A. des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)

Le Canada a récemment rendu public un Énoncé de politique étrangère sur l’Arctique. Il se décrit comme une puissance de l’Arctique qui a des droits et intérêts majeurs à préserver dans cette partie du monde.

Par ailleurs, la souveraineté canadienne sur le Passage du Nord-Ouest, une voie maritime qui relie l’Asie à l’Europe et à l’est de l’Amérique du Nord, et qui est empruntée par un nombre croissant de navires chaque année, est contestée même par des pays amis tels que les États-Unis.

Ceux-ci concèdent la souveraineté canadienne sur les îles de l’Arctique, mais non sur une grande partie des eaux qui les entourent. Ce différend avait peu de conséquences lorsque ces eaux étaient gelées toute l’année, mais nous savons maintenant qu’il en sera désormais autrement. La délimitation du plateau continental permettra peut-être au Canada de revendiquer un territoire maritime plus important.

Plusieurs États, même non riverains, considèrent que le développement de l’Arctique est une priorité. Le Japon et la Chine savent que leurs cargos n’auront plus à emprunter le canal de Panama et pourront ainsi réduire leur trajet de milliers de kilomètres.

La France a nommé en 2009 l’ancien premier ministre Michel Rocard ambassadeur chargé des négociations sur l’Arctique. Lors d’une visite au Canada en juin dernier, M. Rocard a souligné les préoccupations de la communauté internationale relatives à la sécurité écologique, à la pêche, au pétrole et à l’exploitation des autres ressources dans cette région.

Les États riverains, particulièrement la Russie, ont même entrepris une militarisation de cette zone sensible, à laquelle le Canada contribue en priorité.

Le Canada affirme qu’il compte toutefois privilégier l’approche diplomatique au sein du Conseil de l’Arctique, une organisation internationale qui regroupe huit États : outre le Canada, on y trouve les États-Unis, la Russie, l’Islande et les quatre États scandinaves. De plus, le Conseil compte six participants permanents, des organisations qui représentent les peuples autochtones concernés.

Le Québec est actuellement la principale province arctique du Canada, comme un simple coup d’œil sur une carte permet de le constater. Le Grand Nord québécois, appelé le Nunavik, recouvre 500,000 kilomètres carrés, soit un tiers du territoire du Québec.

En vertu de la Constitution canadienne, son territoire s’arrête au rivage, ce qui conduit à la situation absurde où des îles situées à quelques centaines de mètres et fréquentées depuis des temps immémoriaux par les Inuit du Nunavik québécois ne font pas partie du Québec.

Ces Inuit détiennent des droits sur les eaux et les îles qui bordent le Québec. Ces droits leur ont été reconnus par le gouvernement fédéral, qui refuse d’en faire autant pour le Québec.

Les zones extra-côtières canadiennes sont de compétence exclusive fédérale, ce qui n’a pas empêché Ottawa de conclure des ententes fédérales-provinciales de cogestion et de partage des revenus pour les eaux situées au large de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse.

Le Québec, même dans le cadre constitutionnel actuel, doit assumer la responsabilité de défendre ses préoccupations environnementales et économiques justifiées dans l’Arctique, tout comme il doit le faire à l’égard du golfe Saint-Laurent, qui se trouve dans la même situation juridique.

Le Conseil de l’Arctique est le forum approprié pour discuter de ces questions. Le Québec cherche depuis longtemps à renforcer sa personnalité internationale. Le Conseil a créé un précédent majeur en permettant au Groënland et aux îles Féroé de siéger aux côtés du Danemark, dont ils font partie jusqu’à nouvel ordre.

Il est arrivé que le premier ministre du Groënland représente le premier ministre du Danemark dans les travaux du Conseil de l’Arctique. Tous les États membres du Conseil ont accepté ce précédent, dont le Canada, de même que les organisations autochtones qui sont des participants permanents.

Parmi ces organisations se trouve l’Inuit Circumpolar Council, dont les membres comprennent les Inuit québécois. Il n’est pas normal que les Inuit du Nunavik et le Groënland, un territoire peu peuplé (moins de 100,000 habitants) et peu développé soient représentés au Conseil de l’Arctique, mais que le Québec n’y soit pas.

Le Québec doit assumer dès maintenant et pleinement sa propre nordicité. Il doit sans plus tarder poser sa candidature à l’admission au Conseil de l’Arctique et demander aux autres États membres de l’appuyer.

De plus, l’entrée au Conseil de l’Arctique sera un exercice de diplomatie préventive afin de mieux gérer les effets prévisibles de l’indépendance du Groënland, annoncée pour le moyen terme dans l’entente avec le Danemark entrée en vigueur l’an dernier qui lui a accordé une autonomie très substantielle.

Plusieurs Inuit, y compris ceux du Québec, caressent le rêve d’une grande patrie inuite qui réunirait le Groënland, le Nunavut canadien et le Nunavik québécois. L’indépendance du Groënland, rendue financièrement possible par l’intensive exploration pétrolière qui y a lieu actuellement, ce qui lui permettra de mettre fin à sa dépendance envers les paiements de transfert du Danemark, sera un premier pas dans cette direction.

Le Québec devra se donner une politique arctique axée sur la clairvoyance, la sensibilité aux aspirations culturelles et économiques légitimes des Inuit du Nunavik et la fermeté au sujet de l’intégrité du territoire.

Enfin, le Québec devra s’assurer que le projet de traité sur l’autonomie gouvernementale du Nunavik, actuellement en voie de rédaction, ne donnera aucune prise à d’éventuels arguments partitionnistes semblables à ceux qui ont été mis de l’avant lors de la campagne référendaire de 1995.

Ces arguments sont de toute façon contraires à l’état présent du droit international et à la pratique internationale contemporaine, qui préservent dans son intégralité le territoire terrestre des nouveaux États souverains tout en permettant l’accroissement de leur territoire maritime.

Lorsque le Québec accèdera à l’indépendance, il aura droit par le fait même à un territoire maritime considérable en vertu des règles bien établies du droit international. Il aura d’abord droit à une extension de 12 milles marins où sa souveraineté s’exercera intégralement et à une zone économique exclusive de 200 milles là où la géographie le permet.

Les seules négociations avec le Canada qui seront nécessaires au sujet du territoire seront au sujet du tracé précis de la frontière maritime dans le golfe Saint-Laurent, la baie d’Hudson et le détroit d’Hudson dans l’Arctique.

L’indépendance réglera la question de nos eaux arctiques et permettra au Québec d’appuyer les Inuit du Nunavik sur le plan international dans la même mesure que le Canada avec ceux du Nunavut et le Danemark avec ceux du Groënland actuellement.


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