Les CPE : Un modèle en péril ?

2010/09/15 | Par Luc Allaire

L’auteur est conseiller à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ)

Il était une fois, dans un pays très près d’ici, des parents très heureux d’avoir accès à des services éducatifs de qualité pour leurs enfants à un prix abordable. Un jour, le parti qui avait mis ce service sur pied perdit le pouvoir aux mains d’un autre parti qui avait pris ce service en grippe et qui était décidé à tout faire pour nuire à leur développement.

Toute ressemblance à des personnes ou à des organismes réels est loin d’être fortuite. Au contraire, il est de notoriété publique que, dès le départ, le Parti libéral du Québec n’était pas d’accord avec la mise sur pied des centres de la petite enfance (CPE). Lors de leur implantation en 1997, Daniel Johnson a dénoncé ce « modèle unique », qui avait bien entendu le tort d’être une création du Parti québécois, mais surtout de ne pas respecter le libre choix des parents, prétendait-il.

Cependant, il est apparu très rapidement que la population aimait les CPE à 5 $, qui sont des organismes à but non lucratif, administrés par les parents et accessibles dans toutes les régions du Québec, leur seule critique étant qu’il n’y en a pas assez.

Ce réseau a d’ailleurs connu un développement accéléré. En 1997, le Québec disposait de 78 864 places en services de garde régis. En juillet 2003, il en comptait presque 90 000 de plus. Et, en 2004, le nombre de places en services de garde régis au Québec représentait près de 37 % de la totalité des places en services de garde régis offertes au Canada1.

« Par rapport aux autres provinces, le Québec fait donc figure d’exception en ce qui a trait au nombre de places régies et au tarif unique à contribution parentale réduite, mais également à cause du mode de financement qu’il a adopté », souligne Christa Japel de l’Institut de recherche en politiques publiques. Pendant qu’ailleurs au Canada l’accent est mis sur les subventions offertes aux demandeurs de service (les familles), le Québec, lui, alloue une proportion importante du budget de l’aide à la garde des enfants aux offreurs de services, notamment les centres de la petite enfance.

Les parents les apprécient pour plusieurs raisons. Il s’agit d’un bon service éducatif pour leurs enfants et, comme il est abordable financièrement, il représente l’un des meilleurs outils de conciliation travail-famille. Il a d’ailleurs facilité le retour au travail d’un très grand nombre de mères de jeunes enfants.

En effet, le taux d’emploi des mères ayant un enfant de 3 à 5 ans a connu une progression fulgurante depuis l’implantation des CPE en 1997, passant de 63 % à 75 % pour les mères faisant partie d’un couple et de 46 % à 69 % pour les mères monoparentales ! (Voir tableau 1)

Cette augmentation du taux d’emploi a eu un effet positif sur la réduction des écarts entre les revenus disponibles des familles riches et des familles pauvres. Alors qu’au Canada, l’écart s’agrandit entre les riches et les pauvres depuis plus de 20 ans, il a cessé de croître au Québec depuis l’énoncé des politiques familiales en 1997. On peut donc en conclure que celles-ci ont permis de lutter contre la pauvreté des familles. (Voir tableau 2)


Le taux d’emploi des mères ayant un enfant de 3 à 5 ans a connu une progression fulgurante depuis l’implantation des CPE en 1997, passant de 63 % à 75 % pour les mères faisant partie d’un couple et de 46 % à 69 % pour les mères monoparentales. 

Source : Institut de la statistique du Québec




L’augmentation du taux d’emploi des mères ayant un jeune enfant a eu un effet positif sur la réduction des écarts entre les revenus disponibles des familles riches et des familles pauvres. Alors qu’au Canada, l’écart s’agrandit entre les riches et les pauvres depuis plus de 20 ans, il a cessé de croître au Québec depuis l’énoncé des politiques familiales en 1997.



Avec des conséquences aussi positives, il n’est pas surprenant de constater, comme le faisait Michel David dans Le Devoir, que « pour la première fois depuis longtemps, les Québécois ont eu le sentiment de voir une grande réforme dont ils pouvaient être fiers. À l’Assemblée nationale, le premier ministre Lucien Bouchard se faisait un plaisir de brandir les nombreux articles de la presse étrangère qui louangeaient cette nouvelle merveille »2.

Constatant le succès des CPE, le Parti libéral du Québec a effectué un virage spectaculaire et a renoncé à la possibilité de démanteler le réseau des CPE. Lors de la campagne électorale de 2008, Jean Charest est même allé jusqu’à tenir un point de presse dans un centre de la petite enfance. Il a annoncé qu’il allait créer 20 000 nouvelles places et il s’est engagé à ne pas hausser les taris au-delà de 7 $, alors que son gouvernement avait procédé à une hausse de 5 à 7 $ dans son mandat précédent.

Il visait alors à répondre aux attentes des familles à l’égard des services de garde éducatifs qui sont principalement de trois ordres :

  • en finir avec les listes d’attente et obtenir une place à 7 $ rapidement dans un CPE;

  • avoir accès à des services plus souples et mieux adaptés à leurs besoins (garde à temps partiel, horaires flexibles et atypiques, etc.);

  • recevoir des services éducatifs de qualité favorisant le développement global de leurs enfants et la réussite de leurs parcours éducatif.

Jusqu’à maintenant, le gouvernement Charest a tenu son engagement de ne pas hausser les tarifs. Concernant l’octroi de nouvelles places, le PLQ a décidé d’en octroyer davantage aux garderies commerciales qu’aux centres de la petite enfance, justifiant cette décision par le fait qu’il veut donner le choix aux parents.

Le virage libéral s’est traduit par un accroissement important des garderies commerciales. En 2003, après six ans de développement des centres de la petite enfance, qui constituent un réseau d’entreprises d’économie sociale sans but lucratif, les CPE offraient 84 % des places en services de garde éducatifs au Québec. Notons qu’à ce moment-là, les CPE offraient deux modes de services de garde : la garde en installation et la garde en milieu familial.

Ce modèle est disparu en décembre 2005, lorsque le gouvernement Charest a fait adopter sous le bâillon le projet de loi 124 qui enlevait la responsabilité des services de garde en milieu familial aux CPE pour les confier à des bureaux coordonnateurs. Depuis ce temps, les CPE n’offrent que le service en installation.

Aujourd’hui, cette prédominance du modèle des CPE s’est effritée dramatiquement :

  • Les CPE offrent maintenant 34 % des places en service de garde éducatifs;

  • Les responsables de services de garde en milieu familial offrent 39 % des places;

  • Le secteur commercial à but lucratif s’est accaparé plus de 26 % du marché.

«  Ce constat est d’autant plus inquiétant que le nombre de familles ayant besoin de services de garde est en nette augmentation, principalement en raison de la hausse marquée des naissances au cours des dernières années, affirme Violaine Ouellette, de l’Association québécoise des centres de la petite enfance. De plus en plus, les familles en recherche de solutions doivent donc se tourner vers le secteur commercial, voire vers la garde non régie, pour avoir accès à une place. Ce retour au développement tous azimuts des services de garde risque de diluer les efforts consentis depuis nombre d’années pour offrir des services éducatifs de grande qualité à tous les jeunes enfants du Québec.3 »

Ce développement des garderies commerciales à but lucratif est largement encouragé par le gouvernement libéral qui a augmenté substantiellement leurs subventions. En effet, le financement des enfants de 0 à 17 mois fréquentant une garderie commerciale a augmenté de 43 % depuis 2001, passant de 41,61 $ à 59,50 $. Pour les enfants de 18 à 59 mois, cette hausse a été de 39 %, la subvention quotidienne passant de 30,71 $ à 42,66 $.

Pendant ce temps, dans les CPE, la subvention pour les enfants de 0 à 17 mois n’a augmenté que de 20 %, passant de 57,83 $ à 69,19. Celle pour les enfants de 18 à 59 mois a augmenté de 17 %, passant de 41,63 $ à 48,79 $.




En somme, le financement des garderies privées s’est accru plus de deux fois plus vite que celui des CPE. Cela a pour résultat que les économies réalisées auparavant par le gouvernement en favorisant les garderies commerciales, sont devenues marginales.

Notons que les programmes de services éducatifs à l’enfance représentaient pour le gouvernement du Québec, en 2009, des investissements de plus de deux milliards de dollars.

Nicolas Girard, porte-parole du Parti québécois en matière de petite enfance, a mené une lutte de tous les instants sur cette question au cours de la dernière année, talonnant le ministre de la Famille, Tony Tomassi, et sa remplaçante, Yolande James, après que M. Tomassi ait dû démissionner pour une histoire de carte de crédit fournie par un donateur libéral.

Sous la gouverne de M. Tomassi, le ministère de la Famille a pris un virage afin de favoriser les garderies commerciales qui privilégient la recherche de profit à un service de qualité. La marge bénéficiaire moyenne d’une garderie commerciale est de 12 % par an, alors que les CPE dégagent en moyenne des profits estimés à 2 % par année qui sont ensuite réinvestis.

La marge bénéficiaire dégagée par les garderies commerciales vient du fait qu’elles paient moins leurs employées. Ainsi, le salaire annuel moyen d’une éducatrice qualifiée dans une garderie commerciale est 15 % inférieur à celui offert dans les CPE : 31 345 $ comparativement à 35 577 $. Pour les éducatrices non qualifiées, les salaires sont 16 % inférieurs dans les garderies commerciales : 24 965 $ par rapport à 28 984 $.





« Au lieu de donner la priorité aux experts que sont les CPE, les libéraux favorisent le développement de chaînes de garderies qui sont parfois la propriété de personnes sans expérience comme des agents d’immeuble ou même une entreprise d’abattage de bovins », affirme le député Nicolas Girard.

À ce sujet, l’ex-ministre Tony Tomassi avait promis, avant de démissionner, de confier à nouveau la tâche d’accorder les places à des comités régionaux où siègent différents représentants. Cependant, ce projet de loi n’a toujours pas été adopté et, encore aujourd’hui, cette responsabilité est assumée par le ministère de la Famille et des Aînés, qui a été accusé de favoritisme.

En effet, la démission du ministre Tony Tomassi avait été précédée de nombreuses allégations de favoritisme dans l’attribution des places en garderie à l’égard de donateurs libéraux. Tommy Chouinard, journaliste à La Presse, révélait, le 12 février 2010, que « selon des recherches qu’a menées le Parti québécois, 1600 places ont été accordées à 32 garderies privées, dont les administrateurs ont versé 112 000 $ au Parti libéral du Québec depuis 2003. Certains ont contribué pour la première fois au PLQ en 2008, au moment même où ils ont obtenu de nouvelles places.4 » De plus, 400 de ces 1600 places ont été accordées à des donateurs, organisateurs ou proches du ministre, qui résident dans LaFontaine, la circonscription de M. Tomassi, et dont les projets avaient obtenu de mauvaises notes de la part de fonctionnaires du ministère de la Famille qui avaient évalué ces projets.

Plus inquiétant encore, le dernier budget libéral ne souffle mot sur le développement de nouvelles places pour la petite enfance. Où iront les parents ? Plusieurs n’auront d’autre choix que d’inscrire leur enfant dans des garderies commerciales non subventionnées qui connaissent actuellement un développement fulgurant. Depuis 2007, le nombre de places offertes dans ces garderies est passé de 4751 à 11 173. En 2009-2010, il s’est créé plus de places non subventionnées (4219) que de places subventionnées (4196).

Selon Nicolas Girard, « cette tendance est sans aucun doute due à la bonification du crédit d’impôt pour le service de garde. Elle ne devrait pas s’estomper, bien au contraire, considérant l’intention du gouvernement de verser les remboursements mensuellement. »

Pour les parents, cela représente toutefois une facture très élevée. En effet, au lieu de payer 7 $, il n’est pas rare que des parents doivent payer 50, 55 voire 60 $ par jour pour faire garder leur poupon dans une garderie.

Ces crédits d’impôt coûtent de plus en plus cher au gouvernement du Québec. En 2009, l’État a remboursé environ 100 millions de dollars en crédit d’impôt pour la garde des jeunes enfants. Actuellement, le coût d’une place dans une garderie commerciale à plein tarif oscille entre 25 et 60 $ par jour. En moyenne, le gouvernement rembourse aux parents, via le crédit d’impôt, 60 % des frais. Par exemple, pour une place à 35 $ par jour, l’État rembourse 21 $. Sur une base annuelle, cette place coûte donc aux contribuables 5460 $. Ces remboursements se font sans distinction pour une place en garderie régie ou pour un milieu non réglementé.

Ce virage idéologique des libéraux en faveur des garderies commerciales, subventionnées ou non, risque d’avoir des répercussions très graves sur la qualité des services offerts aux enfants. « Les conditions de travail dans les garderies privées sont déplorables et cela se répercute sur la qualité des soins aux enfants », affirme Nathalie Bigras, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« La bataille pour la qualité des services est centrale, ajoute-t-elle. Nous avons beaucoup de données solides depuis 30 ans, notamment dans les recherches menées par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui démontrent qu’investir dans la petite enfance est un facteur de développement des pays. Toutes ces données de recherches plaident en faveur d’un réseau de qualité. »

Or, un réseau de qualité, il y en a un au Québec : celui des centres de la petite enfance, entreprises d’économie sociale contrôlées par les parents, dont le seul objectif est de répondre aux besoins des jeunes enfants et de leur famille, auquel s’ajoute celui des responsables de services de garde en milieu familial.

Car la qualité, ça compte ! comme l’indique le titre d’une étude menée par l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) sur le développement des enfants du Québec concernant la qualité des services de garde5.

Les auteurs de cette étude, Christa Japel, Richard E. Tremblay et Sylvana Côté, ont analysé la qualité des services offerts dans les centres de la petite enfance, les services de garde en milieu familial, les garderies privées à but lucratif et les milieux familiaux non régis. Ils ont observé clairement que les CPE et les services de garde régis en milieu familial, sont généralement de meilleure qualité que les autres types de service.

En effet, quand ils ont examiné de plus près la qualité d’ensemble des milieux en installation, soit les CPE et les garderies à but lucratif, ils ont constaté la supériorité des CPE : deux fois plus de CPE obtiennent un score de 5 à 5,9, correspondant à une bonne qualité, (28 % versus 14 %). De même, le pourcentage de CPE de qualité très bonne à excellente (un score de 6 et plus) est nettement supérieur à celui des garderies à but lucratif ; en fait, seulement 0,3 % de ces dernières ont obtenu un tel score, alors que c’est le cas de plus de un CPE sur 20 (6 %). De plus, 7 % des garderies à but lucratif ont été jugés inadéquates, comparativement à seulement 0,6 % des CPE (voir Tableau 5).

En conclusion, les auteurs suggèrent de développer davantage le réseau des CPE, notamment dans les quartiers défavorisés.


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1 Source : Christa Japel, Richard E. Tremblay, Sylvana Côté. « La qualité, ça compte ! Résultats de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec concernant la qualité des services de garde », Choix IRPP, www.irpp.org/fr/choices/archive/vol11no4.pdf

2 Michel David, « La bataille des garderies », Le Devoir, samedi 13 mars 2010, p. C3.,

3 Violaine Ouellette, Association québécoise des centres de la petite enfance, Commercialisation et services de garde non régis / Le modèle d’économie sociale est-il en péril ?

4 Tommy Chouinard, « Allégations de favoritisme dans l’attribution des places en garderie », La Presse, 12 février 2010, p. A8.

5 Christa Japel, Richard E. Tremblay, Sylvana Côté. « La qualité, ça compte ! Résultats de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec concernant la qualité des services de garde », Choix IRPP, www.irpp.org/fr/choices/archive/vol11no4.pdf

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