J’habite une ville laide, défigurée : Ville Saguenay

2010/10/01 | Par Pierre Demers

J’habite une ville laide, défigurée, qu’on défigure un peu plus à chaque saison estivale pour justifier la raison d’être de l’appareil municipal voué au culte de l’asphalte et de la démolition des vieux bâtiments.

J’habite une ville laide et défigurée par des plans d’aménagement urbain fantômes des nouveaux arrondissements si ce n’est la volonté poussée à sa limite des architectes, des ingénieurs, des contracteurs et autres démolisseurs amis du régime d’en profiter pendant que ça passe tout ça.

Pendant que les programmes provinciaux et fédéraux y contribuent à raison de tiers, tiers, tiers ou plus. Comme si le métier de politicien municipal consistait essentiellement à raser le passé.

J’habite une ville laide et défigurée où l’on se fait un devoir municipal de démolir tout ce qui semble usé ou vieillot pour construire du neuf avec des matériaux plus ou moins à la mode politique sans aucune harmonie avec l’entourage.

J’habite une ville qui détruit allègrement son passé architectural sans aucun remords tout simplement parce que la mémoire de ces décideurs qui nous gouvernent est aussi poreuse qu’un champ de terre glaise et leur culture urbaine encore plus creuse.

J’habite une ville où l’on n’hésite pas à payer le fort prix pour se porter acquéreur d’une petite maison blanche (Propriété de Ville Saguenay) quelconque résistante aux intempéries du moment alors qu’on laisse démolir des maisons et des filatures centenaires sans la moindre hésitation.

J’habite une ville laide et défigurée où on laisse pousser jusqu’au ciel des gratte-ciels de vieux et de vieilles partout et ailleurs aussi dissimulant l’horizon et le soleil de tous les voisins autour.

J’habite une ville laide et défigurée qui laisse apparaître des nouveaux quartiers de mccastels (Maison châteaux toutes pareilles) drabbes et sans âme. Qui ont comme seul intérêt architectural de multiplier les taxes municipales et de renflouer le budget de la ville de plus en plus serré.

J’habite une ville qui coupe les arbres sans les remplacer. Ou quand ils le font c’est par des chicots qui passent difficilement l’hiver.

J’habite une ville qui rénove des quartiers comme Kénogami en rasant des maisons encore viables (Ex. l’ancien restaurant Gosselin) sans consulter personne et en délogeant tous ceux qui y vivent depuis des années.

Pourquoi ? Pour les remplacer par des promoteurs de l’extérieur qui vont encore une fois y installer une autre banque, une autre pharmacie, un autre bureau d’ingénieurs et d’avocats et des trottoirs neufs pour le bien-être des triporteurs.

J’habite une ville où l’on croise sur les pistes cyclables mal entretenues des VTT, des triporteurs, des motos, des motoneiges et parfois des cyclistes intrépides et suicidaires.

J’habite une ville où l’on érige à tous les coins de rue des bureaux touristiques dispendieux pour attirer les touristes. Alors qu’on sait très bien que ces édifices servent avant tout à entretenir l’image du régime en place tout en fournissant aux fonctionnaires et élus municipaux des bureaux confortables.

J’habite une ville où l’on a construit un pavillon de croisiéristes inaccessible à ceux et celles qui l’ont payé. Là encore le régime affiche ce monument comme sa réussite architecturale tout en démolissant toutes les maisons et édifices autour. Coupant aussi la vue sur la baie et l’horizon.

J’habite une ville laide et défigurée qui dissimuler tout derrière des pots géants à fleurs et des petites haies de cèdres qu’on remballe à la fin de l’été. Comme dans les salons funéraires pour nous faire oublier qu’on devait y construire là une bibliothèque municipale ou un autre édifice public en gestation dans les cartons de la ville.

J’habite une ville où Tim Horton, MacDonald’s, Jean Coutu et toutes les quincailleries du moment déterminent le paysage urbain de notre ville avec la bénédiction des élus municipaux qui n’y voient que du feu et de nouvelles taxes.

J’habite une ville laide et défigurée où ceux et celles qui empruntent les transports en commun anémiques sont considérés très souvent comme des pauvres sans avenir et sans destination qui ne peuvent avoir accès au plaisir suprême des autres : l’automobile individuelle ou le pick up familial.

J’habite une ville laide et défigurée où l’on rase tout ce qui dépasse du passé pour construire n’importe quoi pourvu que les architectes, les ingénieurs, les démolisseurs, les notaires et les consultants du régime aient de quoi s’alimenter.

J’habite une ville laide et défigurée qui «construit l’avenir» et «démolit le passé» allègrement sans jamais consulter personne et encore moins les citoyens d’abord qui l’habitent et la traversent à chaque jour.

J’habite une ville laide et défigurée qui est aussi la vôtre.

Pierre Demers, cinéaste et poète d’Arvida où il reste encore quelques arbres et quelques maisons et vieux édifices debouts.

n.b. Un film des Poèmes et Vues animés sortira bientôt en octobre à Chicoutimi sur ce sujet. TROUS DE MÉMOIRE de Pierre Demers. La bande annonce est disponible sur Youtube :Trous de mémoire, bande-annonce.



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